L’Agence des travaux et de gestion des routes est accusée (à tort ou à raison) par les municipalités d’interférer dans leur domaine d’intervention et de ne pas correctement remplir sa mission. Dans cet entretien le directeur de la Gestion et de l’Entretien du réseau routier (Dger) apporte des éclaircissements.
Il y a beaucoup d’amalgames entre vos compétences, votre domaine d’intervention et ceux des mairies. Qu’est-ce qui relève finalement de vos prérogatives ?
L’Ageroute est chargée de la construction, de la réhabilitation et de l’entretien des routes et des ponts du réseau routier classé, c’est-à-dire, en général, les routes nationales, régionales et départementales, les grandes artères et des voiries urbaines à grande circulation. Les voiries des quartiers, en général, n’en font pas partie, à l’exception du centre-ville où presque la totalité des routes sont classées. Au niveau national, on compte 5 956 km de routes revêtues, 10 539 km de routes non revêtues et 224 km d’autoroutes. Voici ce qui forme le réseau routier classé que nous inspectons intégralement, chaque année, avec des moyens modernes pour en ressortir, annuellement, un état de service du réseau routier.
Dans la région de Dakar, particulièrement, on a 455 km de routes revêtues. Ce réseau-là est géré par l’Ageroute. Toutes les interventions qui doivent se faire sur ces routes proprement dites ou sur l’emprise (espace entre les limites foncières des maisons de part et d’autre de la route) du réseau routier classé doivent avoir l’approbation de l’Ageroute. Parce qu’auparavant, on remarquait, à Dakar, qu’il y avait beaucoup de tranchées sur les routes qui sont faites et qui n’étaient pas réparées, par la suite, ou qui étaient mal réparées ; mais aussi des autorisations délivrées par les mairies pour des occupations de l’emprise du réseau classé.
Pour pallier tout cela, le décret 1445 du 10 novembre 2010 règlemente tout ce qui est pose et dépose de conduites et autres interventions sur le réseau routier classé. Dans l’application de ce décret, il y a toute une procédure à suivre et à respecter, pour avoir l’autorisation d’intervenir sur le réseau. Si les concessionnaires et autres privés veulent faire des traversées sur le réseau routier, ils doivent demander l’autorisation de l’Ageroute qui veille à ce que la route soit correctement remise en état. Donc, c’est également un travail de suivi que nous faisons, grâce à une division spécialisée. Les entreprises qui font des travaux sur le réseau classé déposent une caution qui est libérée de moitié, à la réception provisoire des travaux de réfection matérialisée par un Pv et l’autre moitié de la caution est libérée à la réception définitive, un an après. En d’autres termes, il ne pourrait avoir d’amalgame, parce que la liste de l’ensemble des routes classées existe et est disponible pour tout le monde. Par contre, l’Ageroute, en tant qu’agence du ministère des Infrastructures, peut être sollicitée par les services de l’Etat pour donner un avis technique sur des dossiers. Mais son intervention physique se limite au réseau routier classé.
Quelles sont les principales causes de dégradations des routes, particulièrement celles qui se trouvent dans les quartiers et communes ?
Le premier facteur, généralement, auquel toutes les routes sont confrontées, est le problème de surcharge gros-porteurs, surtout des camions. Cette situation est plus dommageable sur les routes de quartier qui sont le plus souvent réalisés par les promoteurs immobiliers avec des structures de chaussées très légères. Souvent, ces routes commencent à montrer leurs limites avant même que le quartier ne soit totalement habité. Ces voiries sont détériorées, dans ces cas de figure, par les camions surchargés qui approvisionnement les chantiers de construction.
Deuxièmement, les voiries de quartier sont souvent sujettes à des défauts d’assainissement, contrairement aux routes classées qui sont réalisées avec un assainissement routier. Pour preuve, en cas de stagnation d’eau dans les quartiers, les populations versent leurs eaux sur les routes du réseau classé après pompage. Cela veut dire qu’il y a un réseau d’assainissement qui existe et qui fonctionne très bien, à part quelques dysfonctionnements dus généralement à des exutoires ou regards qui peuvent être momentanément bouchés ou mal curés.
On ne dit pas que tout est rose, mais où passe toute cette eau ? Qu’en est-il du réseau d’assainissement dans les quartiers ? Evidemment, lorsqu’il est absent, il y aura des stagnations qui vont affecter les voiries. Quant à l’ensablement, il se trouve que des quartiers entiers sont construits sur des sites sablonneux et donc, naturellement, le sable est charrié par les eaux de ruissellement, vers les routes. On peut limiter les dégâts par, d’abord, la bonne construction des routes de quartier et la stabilisation du sable autour des routes avec des dallages en béton armé ou pavages. Cela est possible et on attend beaucoup les collectivités territoriales sur cet aspect. Un dernier facteur sur la dégradation des routes de quartier concerne les tranchées mal réparées faites après la construction des routes par des privés ou des concessionnaires pour raccorder des villas.
En termes d’entretien de ces routes, spécifiquement, y a-t-il une collaboration entre les mairies et l’Ageroute ?
Comme je l’ai dit, la gestion de certaines voiries, des routes au sein des différents quartiers, revient, en principe, aux municipalités. Toutefois, l’Etat du Sénégal, comprenant que ces mairies n’ont pas les moyens et que les usagers de la route ne distinguent pas le réseau classé du réseau non classé, fait des interventions pour améliorer ces routes. C’est le cas de Promovilles (Programme de modernisation des villes). Le citoyen qui voit un nid-de-poule (trou) sur la route est prompt à dire que l’Etat ne fait rien sur ces routes. Ce programme est donc destiné à améliorer le réseau routier, surtout au niveau des communes. Il est toujours en cours et il y a beaucoup de conventions qui sont signées avec les communes dans ce cadre, ce qui les aide à remettre en état leur réseau.
Également, l’Ageroute peut avoir des conventions avec les communes pour les appuyer dans la réalisation des routes relevant de leurs compétences. Évidemment, il y a une communication directe, permanente et très efficace avec certaines communes pour lever des incompréhensions et pour harmoniser des positions sur certains dossiers.
Pourtant, plusieurs mairies de la capitale se plaignent du fait que vous interrompiez souvent leurs travaux de réfection. Et que, dans ce cas, au lieu d’une collaboration, il y a très souvent des incompréhensions…
L’Ageroute, en tant que gestionnaire du réseau routier classé, doit veiller au bon usage de la route. Il est évident que si nos agents trouvent une entreprise autorisée par les mairies en train de faire des travaux sur les routes classées, sans l’accord de l’agence, on arrête les travaux et l’entreprise doit être poursuivie, à la limite. Nul n’est censé ignoré la loi, à fortiori les communes. Elles le font parfois pour d’autres raisons. Je pense qu’il serait judicieux qu’elles se rapprochent régulièrement de l’Ageroute, avant de donner certaines autorisations. Prenons, par exemple, le cas de la commune que vous venez de citer, d’une route non classée réalisée par l’État, dans le cadre de Promovilles. Les travaux ne sont même pas encore réceptionnés et une commune veut donner des autorisations à des privés pour couper la route, sans en informer Ageroute. Dans ces cas, nous sommes obligés d’intervenir, parce qu’au-delà même des problèmes de tranchées à faire, il s’agit d’une question de gestion de contrat en termes de responsabilité et de garantie entre l’Ageroute et l’entreprise privée qui a réalisé la route.
Le principe, dans ces problèmes de traversée de chaussée, est de faire le fonçage pour éviter de couper la route. C’est-à-dire faire passer les câbles ou conduites en dessous de la route à des profondeurs autour de 1m50 du sol, sans toucher la route. Les machines existent maintenant et suffisamment pour que les demandeurs de traversées en fassent usage.
Vu sous cet angle, ne pensez-vous pas que les mairies sont livrées à elles-mêmes, tant en termes de compétences techniques que de moyens financiers ?
En fait, la séparation du domaine d’intervention ne relève pas de notre ressort. Et les mairies ont la possibilité de saisir le Fonds d’entretien routier autonome, parce qu’elles sont éligibles au financement du Fera. En ajoutant un peu de leur budget, elles peuvent faire beaucoup de travaux sur leurs routes de quartier. Mais, souvent, certaines mairies ont d’autres priorités d’ordre social ou politique. Il faudrait également que certaines communes renforcent les compétences de leurs agents ou aillent recruter des ingénieurs ou d’autres profils qualifiés pour les aider à mieux gérer les infrastructures relevant de leurs prérogatives.
DEGRADATION DES ROUTES URBAINES
Un calvaire toujours sans réponse
L’état cahoteux des voiries est commun à plusieurs communes de la capitale. Tout comme hier le problème persiste voire s’aggrave et, pour l’heure, usagers et autorités municipales ne se sentent point responsables.
L’hivernage est loin derrière nous pourtant ici, de l’eau noirâtre émanant des égouts ruisselle de part et d’autre de la route. Chacun vaque à ses occupations dans un brouhaha digne des grands marchés. Sur ce tronçon reliant la commune de Patte d’oie à celle de Grand Yoff, l’odeur suffocante des eaux usées ne dérange plus, encore moins la poussière soulevée par les véhicules. Ces eaux stagnent, selon les habitants, depuis plusieurs semaines à l’intérieur des nombreuses dépressions observées sur cette route où le bitumage est en voie de disparition. A l’intérieur du marché, il faut beaucoup de patience aux automobilistes, parce qu’ici conduire rime à faire toutes sortes de manœuvres pour éviter les crevasses les plus profondes. Sur la voirie qui mène à la mairie annexe, le décor est le même. Pis, commerçants et menuisiers occupent les ‘’micros-trottoirs’’.
A Grand-Yoff, difficile de distinguer la limite des voiries ni même les trottoirs, parce que les débris de plusieurs bâtiments détruits pour réfection atterrissent sur la voie publique. Le matériel de ceux en construction (sable, béton, gravats…) est déposé çà et là. Les routes mal revêtues dans les différents quartiers de la commune sont en plus victimes d’un retrait de portions de terrains à plusieurs endroits. ‘’C’est à la mairie de refaire ces routes en piteux états, mais il n’en est rien. Ces eaux sont là depuis l’hivernage et personne ne réagit. A la descente des cars rapides ou clandos, on a des douleurs partout dans le dos tellement les routes sont dégradées. On se croirait dans la campagne’’, fulmine Aissatou Ndiaye, de retour de ses emplettes.
Si pour les populations, la responsabilité entière revient aux autorités municipales, elles semblent oublier les sacs de poubelle jetés en pleine route ou même les regards ouverts et bouchés par ces mêmes ordures. Sauf que là encore, on trouve des excuses. ‘’Le réseau d’assainissement est bouché par les riverains eux-mêmes, mais il ne faudrait pas oublier que les camions de ramassage d’ordures ne passent pas régulièrement dans les quartiers. Dans ces cas, les habitants sont bien obligés de se débarrasser de leurs poubelles’’, confie Mactar Diop de passage dans la commune. Visiblement pas pressé de démarrer sa voiture, en raison des embouteillages dans le coin.
L’homme habite l’unité 20 des Parcelles assainies. ‘’Là-bas, dès qu’il pleut, plusieurs quartiers sont coupés du reste du monde, parce qu’aucun véhicule ne peut y accéder. Aujourd’hui, on voit plus de terre rouge, de sable que de goudron sur nos routes. Au lieu de rouler de manière horizontale, on fait plutôt des montées et des descentes’’, ajoute-t-il exaspéré.
Pour beaucoup, l’argent des taxes récolté par la mairie ne sert finalement pas à grand-chose, puisque les voiries sont, depuis des années, dans le même état. Cependant la municipalité évoque plutôt une mauvaise coordination des actions entre les services de l’Etat qui interviennent dans l’entretien de ces routes secondaires.