La mort, ce lundi à Alger, du très influent Général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense nationale, chef d'Etat-major de l'Armée nationale populaire (ANP), ne va rien changer à la place centrale qu’occupe l’armée dans le système politique algérien. C'est ce que soutient, notamment, le journaliste et écrivain algérien Adlène Meddi, dans cet entretien exclusif à APA.
APA : Estimez-vous que le Général Ahmed Gaïd Salah a accompli sa mission avant de mourir ?
Adlène Meddi : Objectivement parlant, il avait tracé un plan depuis la chute de Bouteflika qui est le retour à l’ordre institutionnel entre guillemets. Sur ce plan-là il a réussi. Le deuxième défi qu’il avait c’était de maintenir une sécurité dans le pays qui connait des manifestations massives, et pendant des mois, malgré quelques incidents, il n’y a pas eu de gros dérapages comme on a pu le voir dans les scénarios Irakiens, récemment là où l’armée a tiré vraiment sur les gens, donc sur ce ton là on peut dire qu’il a mené sa mission, objectivement parlant.
APA : Comment envisagez-vous l’après-Gaïd Salah ?
Adlène Meddi : Gaïd Salah a été le chef d’une armée et dans l’armée la première consigne c’est la discipline et une hiérarchie très forte. Je pense sincèrement que l’Etat-major ne va pas beaucoup dévier de la ligne de Gaïd Salah qui est celle de soutenir le (nouveau) président élu Abdelmadjid Tebboune et de maintenir ce retour d’une normalité institutionnelle. Je pense que cela ne va pas beaucoup bouger notamment que l’actuel remplaçant de Gaid Salah est le Général-Major Saïd Chengriha. C’est un peu l’école de Gaid Salah ils se connaissent depuis très longtemps. C’est le chef des forces terrestres, donc un corps très sensible en Algérie. Alors, je pense qu’il y aura une certaine continuité que ça soit en politique ou stratégique.
APA : Peut-on attendre du successeur de Gaïd Salah la même influence sur le système politique algérien ?
Adlène Meddi : C’est très compliqué de parler du rôle de l’armée dans la vie politique. L’armée est intervenue en 92 et 99, et récemment pour de bonnes causes parce qu’en face d’elle, il y a eu un effondrement du système institutionnel civil qui n’est pas assez mûr par manque de démocratie, de transparence et de respect de l’institution. Donc, l’armée colmate des brèches, mais son rôle est d’agir dans l’urgence et son urgence à elle, c’est de retourner à la caserne parce que c’est très dérangeant et très perturbant pour elle de faire de la politique alors que les défis sécuritaires, militaires et terroristes de l’Algérie sont immenses. Je pense que les militaires eux-mêmes le perçoivent comme ça. Nous sommes cependant dans une situation encore délicate, on a des citoyens qui manifestent toujours à Alger et on a une opposition qui n’arrive pas à formuler clairement sa conception du futur du pays. On a aussi des tentatives de déstabilisation qui ne sont pas de la paranoïa. Donc, tant que ces défis-là sont là, l’armée sera toujours déployée politiquement entre guillemets.
La place centrale qu’occupe l’armée dans le système politique algérien ne peut pas changer. Vous savez, nous avons créé notre armée et nos services secrets avant de créer notre propre Etat. On a eu l’armée avant d’avoir des institutions, donc c’est un peu l’ADN même du système algérien.
Cela constitue un problème parce que les institutions civiles n’arrivent pas à murir pour devenir de vraies institutions démocratiques et représentatives. Et ça, c’est un grand problème. Tant qu’on n’arrive pas à asseoir une vraie démocratie, on laissera la porte ouverte aux militaires d’autant plus qu’ils doivent intervenir.
Le travail des militaires, c’est de protéger et de s’assurer qu’il n’y ait pas un effondrement total de l’Etat algérien. Cela n’est pas le pouvoir en soi. C’est cet équilibre-là qu’il faut trouver : des institutions démocratiques fortes et une armée qui ne s’occupe que des questions militaires.