Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Au Sénégal, AKON veut forger une nouvelle ville « AKON CITY »
Publié le dimanche 8 decembre 2019  |  samarew.com
Akon
© Autre presse par dr
Akon inaugure une usine de lampadaires solaires
Comment


Avec leur dizaine d’étages, les studios de Power 106 dominent la ville cali­­for­­nienne de Burbank. Akon a parcouru des milliers de kilo­­mètres avant de se retrou­­ver confiné dans ce cube aux couleurs sombres, mais il semble détendu. Restée hors de la pièce inso­­no­­ri­­sée où se dressent quelques micros, Heidi observe son frère.


Dans un look céleste aux cinquante nuances de blanc, le chan­­teur de RnB part dans un grand rire quand son inter­­­locu­­teur se montre incrédule. « S’il y a bien une chose que je n’ai jamais enten­­due de la part d’un artiste, c’est l’idée de construire sa propre ville , s’ex­­clame Nick Cannon. « Raconte-moi un peu, elle s’ap­­pel­­le… Akon­­land, c’est ça, Akon­­ville ? » Le sourire d’Akon s’élar­­git un peu plus : « C’est Akon City. »

En une décen­­nie de colla­­bo­­ra­­tions musi­­cales épiso­­diques, l’ar­­tiste américain d’ori­­gine sénéga­­laise a multi­­plié les actions philan­­thro­­piques, si bien que sa géné­­ro­­sité est désor­­mais presque aussi connue que sa voix nasillarde. Cette inter­­­view mati­­nale accor­­dée à la fin du mois de novembre 2019 au rappeur et présen­­ta­­teur Nick Cannon lui a ainsi permis d’af­­fir­­mer une fois de plus son enga­­ge­­ment pour le pays de ses ancêtres.

Prenant le Wakanda en exemple, le royaume tech­­no­­lo­­gique fictif de Black Panther, Akon a imaginé une ville afri­­caine futu­­riste, à un jet de pierre de Dakar, qui permet­­trait de redon­­ner « le pouvoir au peuple ». La bien-nommée Akon Crypto City n’a ni plus ni moins pour ambi­­tion que de trans­­for­­mer en profon­­deur le Séné­­gal et ses voisins.

Entre deux télé­­phones
L’aven­­ture Akon Crypto City a débuté en juin 2018. À l’oc­­ca­­sion du Festi­­val inter­­­na­­tio­­nal de la créa­­ti­­vité à Cannes, Akon a révélé un projet d’en­­ver­­gure : la créa­­tion d’une cryp­­to­­mon­­naie, l’akoin, qu’il pense pouvoir deve­­nir « la sauveuse de l’Afrique à bien des égards », en ce sens qu’elle pour­­rait rendre auto­­nome la jeunesse afri­­caine et soute­­nir l’en­­tre­­pre­­neu­­riat.

Cette monnaie virtuelle, dont la sortie est prévue pour les premiers mois de 2020, a été conçue sur le modèle de ses grandes sœurs bien établies, le bitcoin ou l’ethe­­reum pour ne citer qu’elles, avec toute­­fois quelques légers ajus­­te­­ments. « La plate­­forme est conçue pour être mondiale, mais je cible l’Afrique en parti­­cu­­lier, car c’est là que les besoins sont les plus criants », explique Akon. « Je pense que cela redon­­nera la main à l’Afrique non seule­­ment sur ses ressources, mais aussi sur ses idées. »

Grâce à cette cryp­­to­­mon­­naie, les utili­­sa­­teurs·­­rices pour­­ront ache­­ter, conser­­ver ou dépen­­ser des akoins entre parti­­cu­­liers (peer-to-peer) sans passer par un orga­­nisme central, comme le fait le franc CFA par exemple. Cela permet­­trait tout d’abord aux citoyen·­­ne·s d’être plus indé­­pen­­dant·e·s des systèmes moné­­taires afri­­cains très fluc­­tuants. Au Séné­­gal, au mois d’août 2019, l’in­­fla­­tion a bondi de 1,9 % par rapport au mois de juillet, indiquait l’Agence natio­­nale de la statis­­tique et de la démo­­gra­­phie (ANSD).

Et c’est avec une appli­­ca­­tion pour télé­­phone, outil de tran­­sac­­tion répandu sur le conti­nent afri­­cain, que les utili­­sa­­teurs·­­rices pour­­ront s’échan­­ger des akoins. La péné­­tra­­tion du « mobile banking » sur le conti­nent est plus prégnante que jamais, alors que seule­­ment 10 % des personnes vivant en Afrique subsa­­ha­­rienne disposent d’un compte en banque.

Il faut dire que la popu­­la­­tion a davan­­tage tendance à faire confiance aux opéra­­teurs mobiles qu’aux monnaies pour leurs opéra­­tions bancaires, le télé­­phone prenant depuis une décen­­nie le relais des banques pour trans­­fé­­rer de l’argent via un simple SMS. « La magie de la banque mobile réside dans sa simpli­­cité et son faible coût », confirme Jay Rosen­­gard, maître de confé­­rence adjoint en poli­­tique publique à la Harvard Kennedy School. « Vous pouvez ensuite envoyer et rece­­voir de l’argent par SMS, sans smart­­phone ni appli­­ca­­tion spéciale. »

Avec l’akoin, en effec­­tuant des tran­­sac­­tions sans inter­­­mé­­diaires, les Séné­­ga­­lais·es pour­­raient profi­­ter de frais de tran­­sac­­tion négli­­geables. Selon Tricia Marti­­nez, la PDG et fonda­­trice de l’ap­­pli­­ca­­tion de services finan­­ciers WALA, parte­­naire du lance­­ment de la cryp­­to­­mon­­naie dala en 2018, une part sans cesse plus impor­­tante de consom­­ma­­teurs·­­rices en Afrique est non banca­­ri­­sée par choix. Iels n’ont pas recours aux banques, lassé·e·s « des inef­­fi­­ca­­ci­­tés du secteur finan­­cier » et afin d’évi­­ter les frais de tran­­sac­­tion. Et c’est en reti­­rant les frais factu­­rés par les insti­­tu­­tions finan­­cières qu’A­­kon compte « commen­­cer à chan­­ger ce compor­­te­­ment ».

Cette monnaie virtuelle permet­­trait égale­­ment de gagner en trans­­pa­­rence, car l’au­­teur de « Locked Up » veut contri­­buer à lutter contre les malver­­sa­­tions. « Un de nos plus gros problèmes et des plus gros problèmes sur le conti­nent a toujours été la corrup­­tion », explique l’ar­­tiste. « La corrup­­tion est la raison pour laquelle le conti­nent n’a jamais été construit pour deve­­nir une super­­­puis­­sance. » La tech­­no­­lo­­gie de la block­­chain permet­­trait de propo­­ser un système plus trans­­pa­rent et d’ame­­ner ainsi plus de « sécu­­rité dans le système moné­­taire ».

Et Akon n’en est pas à son coup d’es­­sai sur le conti­nent afri­­cain. Il y a quelques années, le produc­­teur a décidé de prendre à bras-le-corps les problèmes de distri­­bu­­tion d’élec­­tri­­cité du conti­nent, frein évident à l’uti­­li­­sa­­tion d’In­­ter­­net et des cryp­­to­­mon­­naies.

Après avoir cofondé la Konfi­­dence Foun­­da­­tion en 2007, un orga­­nisme de bien­­fai­­sance destiné à soute­­nir la santé et l’édu­­ca­­tion d’en­­fants défa­­vo­­ri­­sés aux États-Unis et sur le conti­nent afri­­cain, son projet Akon Light­­ning Africa a vu le jour avec pour objec­­tif ambi­­tieux de four­­nir en élec­­tri­­cité, à un prix abor­­dable, les 600 millions d’Afri­­cain·e·s qui en sont privé·e·s.

« Cette initia­­tive afri­­caine née en 2014 avait pour objec­­tif de démo­­cra­­ti­­ser l’ac­­cès à l’éner­­gie », explique Samba Bathily, PDG de Solek­­tra Inter­­na­­tio­­nal, la société qu’il a créée avec Akon et l’en­­tre­­pre­­neur malien Thione Niang, à l’ori­­gine de cette initia­­tive. « Elle devait permettre aux popu­­la­­tions de croire au bien-fondé des éner­­gies renou­­ve­­lables, et aujourd’­­hui, notre pari est réussi. » C’est ainsi qu’en commer­­cia­­li­­sant notam­­ment des panneaux solaires domes­­tiques et des lampa­­daires, Akon Light­­ning Africa a entre­­pris d’élec­­tri­­fier l’Afrique de l’Ouest dont il est origi­­naire.

Né en 1973 à Saint-Louis, dans l’État améri­­cain du Missouri, Alioune Badara Thiam, de son vrai nom, a grandi à Dakar, où il a baigné dans la musique grâce à un père percus­­sionniste. Comme quatre Séné­­ga­­lais sur dix aujourd’­­hui, la petite famille vivait sans accès à l’élec­­tri­­cité. À 7 ans, Akon a traversé une nouvelle fois l’At­­lan­­tique, pour s’ins­­tal­­ler défi­­ni­­ti­­ve­­ment aux États-Unis.

La musique, en parti­­cu­­lier le hip-hop, a été comme une bouée de sauve­­tage pour le jeune Alioune, qui s’était embarqué sur des chemins sinueux. « J’étais têtu et j’étais juste méchant, mais le rap m’a donné une oppor­­tu­­nité, parce que fina­­le­­ment sans la musique, je me serais proba­­ble­­ment retrouvé dans le couloir de la mort », explique l’ar­­tiste qui se souvient de ses diffi­­cul­­tés à trou­­ver un travail avec un casier judi­­ciaire garni.

Mais Akon n’a jamais oublié sa terre natale, même après avoir atteint les sommets du show busi­­ness. La musique ayant été pour lui un outil d’éman­­ci­­pa­­tion, il s’est décidé à utili­­ser sa noto­­riété pour aider à l’au­­to­­no­­mi­­sa­­tion de l’Afrique. À ce jour, Akon Light­­ning Africa a fourni « des solu­­tions d’éner­­gie solaire à échelle réduite dans 18 pays d’Afrique ».

Sans lever le pied sur ses actions huma­­ni­­taires, Akon est sur le point de lancer une version bêta de l’akoin et ses projets conjoints lui permettent de se montrer plus ambi­­tieux encore. Pour lui, l’akoin n’est que la première étape vers la construc­­tion d’une ville futu­­riste, sorte de « vrai Wakanda » qui verrait le jour au Séné­­gal.

Nick Cannon fait mine de ne pas en reve­­nir, les mains sur la tête, comme pris de vertige. « Mais là on ne parle pas de jouer aux Sims, on parle d’un lieu qui exis­­tera vrai­­ment, que les gens pour­­ront visi­­ter », s’écrie Cannon en agitant les mains vers Akon qui, une fois les rires estom­­pés, explique ses plans d’une voix suave. La construc­­tion d’Akon Crypto City a débuté au mois de mars 2019 et devrait s’ache­­ver dans dix ans. En l’état, le projet est encore bien mysté­­rieux et Akon recon­­naît ne pas encore avoir tous les détails tech­­niques sur la block­­chain de ce projet de crypto-ville. « Je viens avec des concepts, et je laisse les geeks les comprendre ! » sourit le chan­­teur.

Si sa sortie de terre relève d’un futur encore incer­­tain, cette ville servira de terrain d’ex­­pé­­ri­­men­­ta­­tion pour ses futurs projets de déve­­lop­­pe­­ment et, comme le Wakanda, elle sera réso­­lu­­ment « futu­­riste ». Pour construire cet ambi­­tieux projet, Akon affirme avoir 800 hectares en sa posses­­sion, gracieu­­se­­ment « offerts » par le président du Séné­­gal, Macky Sall. « 100 % crypto avec l’akoin au centre de la vie tran­­sac­­tion­­nelle », la ville aura la parti­­cu­­la­­rité d’uti­­li­­ser les éner­­gies renou­­ve­­lables et de se situer à deux pas du nouvel aéro­­port inter­­­na­­tio­­nal.

S’il compte implan­­ter sa ville du futur au Séné­­gal, la vision d’Akon est panafri­­caine et sa monnaie permet­­trait de connec­­ter de manière trans­­pa­­rente tous les pays du conti­nent entre eux et avec le reste du monde. Le produc­­teur espère que sa cryp­­to­­mon­­naie devien­­dra la devise commune à Akon City, mais pas seule­­ment. « Vous pour­­rez aller en Afrique pour des vacances et lorsque vous chan­­ge­­rez vos dollars améri­­cains en liquide, vous pour­­rez égale­­ment les chan­­ger en akoins », explique-t-il en souriant. « C’est l’objec­­tif. »

D’ici la fin des travaux, l’akoin aura eu le temps de faire ses preuves. D’après un rapport de la Confé­­rence des Nations Unies sur le commerce et le déve­­lop­­pe­­ment (CNUCED), l’Afrique est peut-être la zone du monde qui affiche la plus faible péné­­tra­­tion de l’In­­ter­­net haut débit, mais elle dispose aussi du taux de crois­­sance le plus élevé en la matière. L’éco­­no­­mie numé­­rique évolue rapi­­de­­ment et grâce à cette prédis­­po­­si­­tion à l’uti­­li­­sa­­tion de monnaies déma­­té­­ria­­li­­sées, les crypto-monnaies pour­­raient être faci­­le­­ment accep­­tées non seule­­ment dans le monde des affaires, mais égale­­ment dans la vie quoti­­dienne.

En dépit de la multi­­pli­­ca­­tion des projets de cryp­­to­­mon­­naies, la block­­chain reste toute­­fois encore un terrain rela­­ti­­ve­­ment peu exploré en Afrique, notam­­ment à cause d’es­­croque­­ries profi­­tant du manque d’in­­for­­ma­­tion des consom­­ma­­teurs·­­rices. C’est d’ailleurs ces mani­­gances qui ont causé la perte de la jeune cryp­­to­­mon­­naie dala, en juillet 2019. Les banques ont pris peur et « ont choisi de monter leurs consom­­ma­­teurs contre la block­­chain en raison de ces escroque­­ries afin de les proté­­ger », déplore Tricia Marti­­nez.

De fait, les cryp­­to­­mon­­naies n’ont pas encore été régle­­men­­tées par les diffé­­rents gouver­­ne­­ments afri­­cains, ce qui pour­­rait favo­­ri­­ser leur crois­­sance dans un premier temps. Toute­­fois, « les carac­­té­­ris­­tiques des cryp­­to­­mon­­naies rendent quasi-impos­­sible tout contrôle direct des États sur elles », expliquent les avocats Fortuné Ahou­­louma et Fabien Lawson, ce qui n’est pas sans risque. « Toute chute soudaine de leur valeur risque de lais­­ser les inves­­tis­­seurs sans alter­­na­­tive », aver­­tissent les Nations Unies, poin­­tant en guise d’exemple les régu­­lières et spec­­ta­­cu­­laires chutes de valeur du bitcoin. Mais qu’im­­porte les risques, pour Marti­­nez, la cryp­­to­­mon­­naie initiera une révo­­lu­­tion finan­­cière en Afrique, plaçant « le pouvoir entre les mains des consom­­ma­­teurs ».

Enfin, l’ac­­cès à une telle tech­­no­­lo­­gie reste sans doute l’un des plus grands défis. Étant basé sur un système décen­­tra­­lisé permet­­tant à chacun·e de l’uti­­li­­ser en perma­­nence quelle que soit sa posi­­tion, la monnaie numé­­rique peut être diffi­­cile d’uti­­li­­sa­­tion en cas de mauvaise connexion. C’est un autre problème que la dala avait rencon­­tré au cours de son année d’exis­­tence, et qui avait fragi­­lisé la confiance des utili­­sa­­teurs·­­rices dans son système. « Le plus gros obstacle en Afrique consiste à mettre en place une infra­s­truc­­ture de commu­­ni­­ca­­tion fiable, résis­­tante et rési­­liente, à partir de laquelle nous pouvons construire une block­­chain », approuve l’en­­tre­­pre­­neur Adrien Hope-Bailie ; un défi de prépa­­ra­­tion à l’éco­­no­­mie numé­­rique qu’A­­kon, tous projets confon­­dus, semble déter­­miné à rele­­ver
Commentaires