Au Sénégal, ne dites plus facteur mais distributeur. Dans ce changement d’appellation se cache la mutation d’un métier qui, pour s’adapter au monde moderne, s’est départi de son image et d’une partie de ses activités laquelle, pourtant, faisait son succès auprès des populations.
Ainsi, le facteur des années 60, allant d’une maison à une autre pour remettre le courrier, vêtu d’une tenue kaki, la tête vissée dans un képi et le sac en bandoulière rempli de lettres, ne fait plus partie du décor des rues sénégalaises. Certains facteurs faisaient leur porte-à-porte à bord de mobylettes voire de ‘’Solex’’, l’un des ancêtres des actuelles motos.
Répondant à ceux qui ont tendance à enterrer les facteurs, Mamadou Bâ, chef du centre de distribution de la Poste, fait cette précision : « le métier de facteur existe toujours mais dans le jargon postal on ne les appelle plus facteur mais +distributeur+ ».
A en croire M. Bâ, il y a une centaine de distributeurs à Dakar, la capitale, sans compter ceux qui officient dans chacune des circonscriptions postales du pays.
Pour sillonner les rues, ils ont troqué le look du facteur d’antan contre une blouse bleue au dos de laquelle figure le logo de la poste.
De même, pour les différencier des vendeurs d’articles en promotion, nombreux eux aussi à faire du porte-à-porte, les distributeurs de la poste portent des badges, indique Mamadou Bâ, non sans ajouter que, tout comme leurs devanciers, certains ‘’facteurs de l’ère moderne’’ font leur travail via les deux-roues. Certainement avec les ‘’jakarta’’ pour faire moderne…
Côté activités, la distribution du courrier est toujours de mise, mais elle s’effectue plus à l’endroit des entreprises que des individus. Une perte de cible qui se comprend avec la quasi-disparition de la lettre, remplacée par le téléphone portable et le courriel.
Ainsi va le métier de distributeur dont le véritable problème à en croire, Mamadou Bâ, est relatif au manque d’adresse de beaucoup de destinataires de courriers.
Ancien facteur, El hadji Gorgui Séne, 59 ans, avait son secret quand il rencontrait pareille difficulté : il remettait les lettres au chef de quartier et à charge pour ce dernier de les faire parvenir à leurs propriétaires.
Par contre, c’était un plaisir de distribuer le courrier à la Cité ‘’Filao’’ de Rufisque (15 km de Dakar) où « les villas étaient numérotées, donc il n’y avait pas de problème d’adressage», se rappelle Gorgui Sène lui-même habitant ce quartier.
Quand M. Sène remettait en mains propres le courrier aux destinataires, l’instant était empreint de cordialité et de familiarité, allant même jusqu’à générer des dons de cadeaux.
Ce que confirme en ces termes Lassana Fall, un ancien facteur âgé aujourd’hui de 77 ans, : « On était, parfois, bien choyés par les clients ».
Fiers d’avoir contribué à donner au métier de facteur ses lettres de noblesse, MM. Sène et Fall soutiennent qu’« un facteur doit être discret, courtois, poli, simple, souriant et accueillant ».
Et M. Fall, de ressasser ce beau souvenir : « un jour, un prêtre satisfait de mon travail m’a offert un vélo que j’ai réparé. Je faisais ma distribution avec et, plus tard, quand j’ai été embauché à la poste je me suis payé une mobylette».
Avant son embauche, il avait un cachet de 75.000 FCFA, puis, une fois recruté, un salaire de 150. 000 FCFA.
De quoi permettre à Lassana, El Hadj Gorgui Sène et beaucoup de ses collègues d’entretenir leur famille et de ne pas regretter d’avoir choisi le métier de facteur.
Le lien est si fort que Lassana a du mal à tourner la page : « Maintenant je suis à la retraite, mais je fais la distribution en privé. Par exemple, s’il existe des gens qui organisent des cérémonies religieuses ou des réunions, ils me donnent les lettres d’invitation à distribuer».
Quand il ne distribue pas le courrier, Lassana initie aux ficelles du métier les jeunes de sa localité dont son fils, devenu distributeur à la poste.
A défaut de faire comme Lassana, beaucoup d’anciens facteurs se sont recyclés en distributeurs de repas pour certains restaurateurs de la place comptant parmi leurs clients des fonctionnaires qui, à l’heure de la pause, déjeunent au bureau.