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Franc CFA: «Patrice Talon est allé trop loin»
Publié le vendredi 15 novembre 2019  |  RFI
L`ancien
© Autre presse par DR
L`ancien Premier ministre Abdoul Mbaye a lancé son parti politique
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Il y a une semaine, le président béninois Patrice Talon a annoncé que, très rapidement, le franc CFA ne serait plus garanti par le Trésor français. Abdoul Mbaye a été haut fonctionnaire à la BCEAO puis Premier ministre du Sénégal. Aujourd'hui, il dirige le parti d'opposition ACT et met en garde contre des propos hâtifs.


« Le Trésor français ne doit plus garder les réserves de change des pays CFA », dit le président béninois Patrice Talon. Qu’en pensez-vous ?

Abdoul Mbaye : J’ai été surpris d’entendre une telle déclaration parce que cela correspond à une réforme majeure du franc CFA, puisque retirer les réserves de la Banque centrale auprès du Trésor français, c’est remettre en question le dispositif des garanties mises en place pour assurer la convertibilité du franc CFA en cas d’absence de réserves détenues par la Banque centrale [BCEAO]. Je pense que le président Talon est peut-être allé un peu loin. C’est peut-être une piste de réforme, mais, dès lors qu’il s’agit de question délicate -il s’agit de question monétaire, je vous le rappelle-, il est important, lorsqu’on commence à conduire de telles réformes, d’également évoquer les solutions alternatives.

Quand vous dites qu’il est « peut-être allé un peu loin », craignez-vous une réaction trop vive de la part des usagers du franc CFA ?

Exactement. En matière de monnaie, il faut craindre les comportements d’anticipation qui ont malheureusement des effets terribles, parfois massifs sur l’économie réelle. Je suis persuadé qu’il est allé un peu loin dans sa déclaration. Et dès lors qu’il s’agit d’une réforme majeure, et peut-être même, la plus importante qui pourrait affecter le franc CFA, je pense également qu’il aurait dû attendre, disons une décision unanime de la conférence des chefs d’État de l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine] avant de faire une telle déclaration.

Ce que dit le président Talon, c’est que cette réforme est souhaitée par tous, y compris par le gouvernement français actuel et par le président Macron ?

Vous me donnez l’occasion peut-être d’également souligner des propos qui ont été tenus par le président Macron et que je trouve aussi maladroits. Il avait dit : « Nous sommes ouverts à une réforme du franc CFA ». Mais la France n’a pas à être ouverte à une réforme du franc CFA. La réforme du franc CFA, elle dépend des chefs d’État qui sont membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, je crois que c’était cela la bonne réponse.

La réforme du franc CFA est devenue aujourd’hui nécessaire. Simplement parce qu’elle est réclamée par les citoyens de ces pays membres de l’UEMOA. Il y a une réforme qui doit notamment porter sur la dénomination : le « franc », je crois que ça gêne beaucoup. Une réforme qui est peut-être nécessaire concernant le principe de fixité [par rapport à l’euro]. Concernant la garantie de convertibilité donnée par la France, et il faut d’ailleurs nuancer, il s’agit d’une garantie de continuité de convertibilité en cas d’insuffisance de réserve, plutôt qu’une garantie de convertibilité, la convertibilité du franc CFA étant assurée par la Banque centrale grâce à ses réserves. Sur ce plan également, il y a peut-être des réformes qui peuvent être engagées, mais il faut les étudier sérieusement et se garder de déclarations qui pourraient conduire à des comportements dommageables de la part des usagers du franc CFA, comme vous le disiez tout à l’heure.

Ce que propose le président du Bénin, c’est que ces réserves, qui sont pour l’instant domiciliées auprès du Trésor français, soient déménagées auprès de diverses banques centrales : américaine, chinoise, japonais et européenne…

C’est une logique bancaire simple, pure. « Je compte sur vous pour me faire un découvert si jamais il arrive que je n’aie plus de réserves disponibles qui me permettraient de disposer à ce moment-là de devises pour continuer à assurer la convertibilité du franc CFA ». Et en réponse, celui qui prend cet engagement de découvert vous dit : « Oui, mais déposez chez moi une partie de vos réserves ». Et c’est le cas pour 50 %. Donc remettre en cause ce dépôt conduit à remettre en cause la garantie de continuité de convertibilité. Ça n’est pas une question simple, c’est une question technique. Je crois qu’il faut laisser la Banque centrale y travailler, faire des propositions à la conférence des chefs d’État et laisser la conférence des chefs d’État prendre une décision. Cela peut prendre la forme, comme c’est le cas aujourd’hui, d’une garantie de découvert. Mais cela peut prendre aussi la forme d’un crédit qui sera accordé par une banque centrale qui peut être la Federal Reserve Bank, qui peut être la BoJ du Japon [Banque du Japon], mais il faut préparer tout cela.

Et est-ce que justement la banque centrale des États-Unis ou celle du Japon peut offrir la même garantie de continuité de convertibilité à la BCEAO ?

Très sincèrement, ça ne peut pas être une négociation de quelques jours, cela ne peut pas être une négociation facile. Il est certain que les liens historiques qui existent entre les pays concernés et la France, également le passé d’un mécanisme qui jusqu’à présent fonctionnait dans les deux sens : Le sens le plus facile, celui du dépôt dans les comptes du Trésor français, mais également le sens du découvert accordé. Vous vous souviendrez qu’avant la dévaluation de 1994, nous avons été un moment dans ce contexte… Il est certain que demeurer dans le statu quo serait plus facile, mais il est possible également de négocier ailleurs. L’important, si la décision politique est prise, c’est de mener de nouvelles négociations de manière fort discrète et de les porter à la connaissance du public, lorsque tout sera fin prêt et que le public sera rassuré sur la continuité, le maintien de la convertibilité du franc CFA, même en cas d’épuisement des réserves de la BCEAO.
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