Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Économie
Article
Économie

Alla Kane, ex-inspecteur des impôts :‘‘Ce long suspense des 94 milliards n’aurait pas existé, si l’Etat...’’
Publié le mercredi 6 novembre 2019  |  Enquête Plus
Conférence
© aDakar.com par SB
Conférence de presse de Me El Hadj Diouf
Dakar, le 26 août 2019 : L`avocat du directeur des Domaines a animé une conférence de presse pour donner la version des son client dans l`affaire dite des 94 milliards soulevée par le leader de``Paste``
Comment


L’affaire du titre foncier 1451/R de Rufisque et le paiement subséquent de 94 milliards vous semblent compliqués ? Cette interview du directeur du Cabinet international de sécurité immobilière et foncière (Cisif) Alla Kane est faite pour vous. Inspecteur des impôts à la retraite, il explique de manière claire les mécanismes qui ont mené à cet imbroglio.

Pouvez-vous nous faire la genèse du titre foncier 1451/R ?

Il faut d’abord savoir que nous sommes en plein dans l’expropriation pour cause d’utilité publique. Elle est encadrée par une loi qui date de 1976, un décret d’application qui date de 1977 et le décret de 2010 qui fixe le prix des terrains nus et des terrains bâtis.

C’est quoi l’expropriation ? La loi l’explique ainsi qu’il suit : ‘‘L’expropriation pour cause d’utilité publique est la procédure par laquelle l’Etat peut, dans un but d’utilité publique, et sous réserve d’une juste et préalable indemnité, contraindre toute personne à lui céder la propriété d’un immeuble ou un droit réel immobilier.’’ On voit que c’est axé sur la propriété immobilière. Si l’on est propriétaire d’un immeuble, nu ou bâti, la Constitution garantit le droit à la propriété. Quand l’Etat en a besoin pour cause d’utilité publique, il peut vous contraindre à la lui céder. Donc, il y a trois éléments pour l’expropriation : l’Etat qui est l’expropriant, le propriétaire qui est l’exproprié et le bien qu’on exproprie. Ici, il s’agit du fameux titre foncier 1451/R qui est dans la commune de Rufisque et qui a une superficie de 267 hectares 113 ares 14 centiares.

Ce Tf a une longue histoire. Il a été immatriculé le 4 mai 1959. Il a donc 60 ans ; plus âgé que beaucoup qui en parlent. Quarante ans après 1959, soit en 1979, les propriétaires l’ont vendu à une société appelée Saim Indépendance qui appartenait à feu Djily Mbaye. Donc, en 1978-79, le Tf n’appartenait plus aux héritiers Ndoye, mais à la société Saim. Le 4 mai 1978 et le 28 avril 1979, il y a eu une cession devant feu Me Amadou Nicolas Mbaye qui était notaire à Dakar. Et tout ça était consigné dans le livre foncier de Rufisque, car le terrain se trouve dans cette commune. A partir de là, c’est une propriété qui va passer d’une main à une autre.

En septembre 1988, survient un évènement important sur ce Tf : un échange entre Saim Indépendance et l’Etat du Sénégal. Le principe est de diviser le terrain de 267 hectares 113 ares 14 centiares en deux parcelles. On va les appeler parcelle A et parcelle B. Les deux parties décident de procéder à un échange de parcelles. Elles conviennent d’échanger la Parcelle B avec une autre parcelle C qui est à Fann-Mermoz. L’Etat a donné à Saim Indépendance la parcelle C pour prendre la parcelle B du Tf 1451/R. Donc, en 1988, la superficie du Tf a diminué, car une parcelle a été détachée. La parcelle A demeure toujours la propriété de Saim Indépendance. En 1997, l’Etat du Sénégal a un projet d’utilité publique qui est un programme de Parcelles assainies de la Sn-Hlm à Rufisque. Le site visé et la parcelle A du Tf en question. On a pris alors un décret d’expropriation pour pouvoir réaliser le projet d’utilité publique de la Sn-Hlm. A cet instant, si l’on prend la parcelle B, qui est la propriété de l’Etat, et qu’on y rajoute la parcelle A, l’ensemble du Tf 1451/R appartient à l’Etat du Sénégal.

Dans le cadre de l’expropriation, il y a l’indemnité. L’Etat ne vient pas prendre la propriété sans contrepartie. Il faut une juste réparation. Pour ça, il y a une commission de conciliation prévue par la loi, qui se réunit avec les propriétaires pour discuter sur le montant de l’indemnité. La première phase est administrative où il y a le propriétaire, le représentant de l’Etat, c’est-à-dire les Domaines, et le gouverneur qui préside la commission. On discute et si on tombe d’accord sur un montant, on fait un procès-verbal qu’on envoie à la Direction des domaines qui va prendre un autre acte. Si on n’est pas d’accord, on va en phase judiciaire. On voit le juge qui, en définitive, va fixer le montant de l’indemnité. Mais ici, Saim Indépendance et l’Etat sont tombés d’accord sur le prix de 500 F le mètre carré. Ils ont donc calculé la superficie de la parcelle A pour un montant de 605 millions de F Cfa et quelque. Maintenant, il faut un Pv où signent le gouverneur, les membres de la commission de conciliation et le propriétaire. Par la suite, on envoie le Pv à la Direction des domaines dont le directeur signe un acte d’acquiescement. Lequel reconnait la dette de l’Etat, la créance de l’Etat sur l’exproprié. On envoie ça au Service de recouvrement de Rufisque pour ce celui-ci saisit le bureau de paiement pour payer. Ce n’est que le 17 mai 2001 que l’acte d’acquiescement de Saim Indépendance a été signé.

Pourquoi tout ce temps, entre la cession de la parcelle A et la signature de l’acte d’acquiescement ?

C’est le grand problème pour tout le monde. Ce sont les lenteurs. Et cela va expliquer, en partie, les 94 milliards. Vous avez vu combien de temps cela a pris. On y reviendra. Pour un acte d’acquiescement du 17 mai 2001, on n’a payé que le 26 octobre 2009. Huit longues années pour un paiement aux héritiers de Djily Mbaye. A partir de ce moment, l’Etat était devenu le propriétaire. Ce qui complique la donne est que les héritiers Mbengue et Ndoye avaient introduit, en 1995, une instance judiciaire pour annuler la vente de 1978-79 à Saim Indépendance (Saim Kébé). Ils ont introduit cette demande d’annulation de vente 17 ans plus tard.

Finalement, c’est le 9 février 2012 que l’arrêt n°01/12 de la Cour d’appel de Kaolack a radié la vente (celle de 1978-79)

Pourquoi les héritiers Ndoye et Mbengue ont attendu toutes ces années et surtout pourquoi l’affaire a été jugée par le tribunal de Kaolack ?

Ils voulaient certainement reprendre leur bien. Peut-être... mais le véritable problème est que la Cour d’appel de Kaolack a radié la vente de 1979. Vous voyez les difficultés que ça implique.

La vente s’était faite à Dakar, pourquoi c’est la Cour d’appel de Kaolack qui a tranché cette affaire ?

Peut-être parce qu’elle était compétente sur cette question, en 2012. Donc, en 2012, la situation s’est complètement renversée et on a rétrocédé la propriété de l’Etat car, entretemps, n’oublions pas, il est devenu propriétaire. N’oublions pas qu’il y avait l’échange, l’expropriation, la réunification des deux parcelles. Maintenant, on rétrocède la propriété de l’ensemble du Tf aux héritiers Ndiaga Ndoye et consorts.

L’Etat n’a pas contesté la décision ?

Pas du tout. Donc, en 2012, 2013, les héritiers ont constitué un pool de mandants. Ces derniers ont formé la société immobilière Thiandoum afin de faire les démarches sur leurs droits, actions et créances sur l’Etat qui avait exproprié en 1997. Ils ont demandé à être indemnisés de cette expropriation, car ils sont devenus propriétaires. C’est en juin 2016 que Seydou dit ‘’Tahirou Sarr’’ est entré dans la danse. Puisque ces héritiers ne pouvaient pas entrer dans leurs fonds d’expropriation, ils ont rencontré M. Sarr qui leur a proposé une cession de la créance qu’ils prétendent avoir sur l’Etat.

M. Sarr leur a racheté la créance ?

Oui.

Cela veut bien dire qu’il donne de l’argent aux héritiers et que lui va régler ça avec l’Etat ?

Exactement ! Mais le problème est que la créance n’existe pas. Pour la bonne raison que quand les héritiers Ndoye sont devenus propriétaires, toutes les opérations passées sur le Tf sont devenues caduques. A partir de ce moment, ils ne pouvaient plus prétendre à des actions, à des créances ou à des droits sur l’Etat. L’Etat n’a pas pris, depuis que les Ndoye sont redevenus propriétaires, un décret d’expropriation d’utilité publique sur le Tf en entier. Il n’y a pas d’acte de cessibilité qui définit les contours des immeubles qui sont expropriés. Quand on vend une créance qui n’existe pas, c’est une créance fictive. Trois cas de figure étaient possibles. Que les héritiers Ndoye rentrent en relation pour une vente directe du terrain à l’Etat, c’est-à-dire l’ensemble des 267 hectares. Le deuxième aurait été que l’Etat prenne un décret d’expropriation de l’ensemble du Tf pour cause d’utilité publique ou, troisièmement, qu’ils procèdent à un échange. Tant que l’une de ces options n’est pas faite, il n’y a pas de créance.

Si on les rejoint sur leur propre terrain, dans leur propre logique, Tahirou Sarr a acheté la créance à 2 milliards 500 millions. Sur quelle base ? La créance n’est pas encore fixée ; on ne connait pas encore le montant ; on n’est pas allé à la commission de conciliation pour discuter d’un montant... et on lui vend cette créance à 2,5 milliards. Lui-même dit qu’il prend en charge les frais et honoraires de l’avocat des héritiers. Il prend en charge les frais de courtage de l’opération. L’avocat des héritiers a empoché 300 millions, les frais de courtage 50 millions. On était le 10 juin 2016. Ils vont attendre le 21 août 2017 pour aller à la commission de conciliation prévue par la loi pour fixer le montant.

Vous dites que la créance a été achetée préalablement à la fixation de son montant ?

C’est exactement ça. Plus les frais de l’avocat et de courtage.

Comment est-on passé de 2,5 milliards à 94 milliards ?

Il faut noter qu’il y avait une partie des héritiers qui ont contesté la cession de créances à M. Sarr. Il s’agit des héritiers d’une veuve, appelée Gnivy Mbengue. C’est d’ailleurs à cause de cette contestation que le tribunal a refusé d’homologuer la cession. Donc, en allant à la commission de conciliation le 21 août 2017, il n’y avait que Tahirou, mais pas les représentants des contestataires de la vente. La composition de la commission même laisse place à des appréhensions. C’est le receveur des Domaines de Ngor-Almadies à Dakar, Meissa Ndiaye, qui représentait le service des Domaines. Alors que c’est celui des Domaines de Rufisque qui devait être là, car le terrain se trouve dans cette commune. C’est le receveur de Rufisque qui a présidé à l’enquête préliminaire et a suivi le dossier. Il ne pouvait pas être absent. Toujours est-il que c’est à cette occasion qu’ils ont fixé le prix du mètre carré à 37 mille F Cfa, contrairement aux 500 F Cfa de Saim. Ils ont appliqué ce barème sur l’ensemble du Tf de 267 hectares 113 ares 14 centiares pour arriver à plus de 94 milliards. Il y avait le gouverneur, le représentant des travaux publics ou de l’agriculture, le représentant du conseil municipal et Tahirou Sarr. Ils sont tombés d’accord sur 37 mille F Cfa le mètre carré. Le décret de 2010 qui fixe les prix, si l’on regarde bien pour Rufisque, c’est le chiffre T qui part de 10 000 à 3 000 F Cfa. Donc 10 000 F Cfa est le prix plafond fixé par le décret.

On ne comprend pas jusque-là quel est le niveau de participation du ci-devant directeur des Domaines ?

La commission s’est tenue le 21 août. Le jour suivant, le 22, le Pv est transmis à la Direction des domaines. Le même jour, le directeur des Domaines a signé deux actes d’acquiescement. L’un pour Sofico, l’autre pour Cfu, qui sont les deux sociétés de M. Sarr. Maintenant, il faut voir si, dans le contrat de cession, seule Sofico était partante ou s’il y avait Sofico, Cfu et les héritiers. Si c’était seulement Sofico, on aurait dû faire un seul acte d’acquiescement. Bref ! Le 23 août, les deux actes sont enregistrés au Service de recouvrement de Ngor-Almadies, chez Meissa Ndiaye. 21, 22, 23 ! Alors que pour Saim Kébé, ça a pris huit ans. Dans le cadre des règlements, Saim avait un acte d’acquiescement qui datait du 17 mai 2001. Il a été réglé le 26 octobre 2009. Ici, quand les actes d’acquiescement ont été déposés au bureau de Meissa Ndiaye, le premier paiement a eu lieu le 31 août 2017 sous le n°4015 ; le deuxième a eu lieu le 6 novembre 2017 sous le n°4810 ; le troisième versement est survenu le 6 avril 2018 sous le n°2069, le quatrième c’était le 11 juin 2018 sous le n°3408.

Donc il y a eu quatre versements avant un an. C’est à la suite de ça que Meissa a demandé qu’on arrête les versements, puisque le tribunal n’avait pas homologué.

Pendant tout le temps qu’ont duré les versements, le tribunal n’avait pas homologué à cause de la contestation des héritiers de Gnivy Mbengue ?

C’est ça !

Au quatrième paiement, la totalité des 94 milliards était-elle versée ?

Non, pas du tout. Ils ont juste versé 2 milliards 845 millions 875 mille F Cfa. Meissa a fait une demande au Dg des Domaines pour lui demander qu’on arrête les paiements, en attendant que la situation se règle. C’était en avril 2018. Quand on voit la célérité avec laquelle cette affaire a été traitée, le Sénégalais lambda a tout à fait le droit de se poser des questions.

Ousmane Sonko, qu’est-ce qu’il vient faire dans cette histoire ?

Il a commencé, le 4 mai 2018, en déposant une plainte pour détournement présumé de deniers publics. Ensuite, il a saisi l’Inspection générale d’Etat (Ige) et l’Ofnac d’une lettre de dénonciation. Il a cherché à actionner l’Etat qui a été saisi dans sa branche judiciaire et sa branche de contrôle. Mais il n’a pas réagi. S’il avait réagi de la même manière qu’il l’a fait avec Sory Kaba, Samba Ndiaye Seck et Moustapha Ka, ce long suspense de 94 milliards n’aurait pas existé.

Donc, suite aux quatre versements et à la non homologation de la vente par le tribunal, l’affaire s’arrête là ?

Pour le moment, oui. Mon interrogation demeure le sort qu’on va réserver au reliquat sur les 94 milliards. Pour moi, il est clair qu’il faut procéder à des remboursements au Trésor public. Il faut reprendre tout le processus.
Commentaires

Dans le dossier

Économie 2019
Sondage
Nous suivre
Nos réseaux sociaux

Comment