Souvent pour mettre en garde le président de la République Macky Sall contre les effets d’une troisième candidature, certains n’hésitent pas à convoquer la période préélectorale de 2012, qui avait provoqué des pertes en vies humaines. Mais, à en croire certains spécialistes, du point de vue du droit, aucune confusion n’est possible entre les deux situations.
Si c’était une tentative de divertissement, histoire de donner aux Sénégalais épris de débats démocratiques un gros os à ronger, c’est tout réussi. Entre dimanche et maintenant, l’opinion ne semble en avoir que pour le mandat. Pour beaucoup d’observateurs, c’est l’histoire qui se répète. En 2012, en effet, le Sénégal avait déjà vécu le mal africain, avec le président de la République Abdoulaye Wade, qui voulait proroger son bail, après deux mandats consécutifs.
Mais si l’on en croit l’enseignant-chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Ndiogou Sarr, les deux situations sont loin d’être identiques. A l’époque, soutient-il, il y avait bel et bien conflit de loi dans le temps. Car le premier mandat d’Abdoulaye Wade était sous l’emprise de la Constitution de 1963. ‘’Quand on change de Constitution, on anéantit toutes les dispositions antérieures. Au nom du principe de la non-rétroactivité de la loi, la Constitution adoptée en 2001 ne pouvait pas s’appliquer au premier mandat de Wade. Au plan du droit, cela était bien défendable. Même si l’esprit de la loi pouvait nous faire penser qu’il n’en n’avait pas le droit. D’autant plus que lui-même l’avait dit. Les gens s’opposaient à ce troisième mandat pour des raisons surtout éthiques et morales’’.
Pour le juriste, Macky Sall, lui, n’a pas changé de Constitution, il a simplement modifié la Constitution qu’il avait trouvée sur place, uniquement sur certains aspects. ‘’La réforme de 2016 visait la durée du mandat et non le nombre de mandats. Par rapport au nombre de mandats, rien n’a changé’’, ajoute-t-il, dégoûté par le débat en cours. A l’en croire, seuls les gens de mauvaise foi veulent entretenir la confusion. Il affirme : ‘’Ceux qui disent que Macky Sall a droit à un troisième mandat sont des juristes politiciens ou qui ont des intérêts à préserver. Tout juriste de bonne foi sait que la Constitution est très claire sur cette question.’’
Quid des Sénégalais qui auraient souhaité qu’il y ait des dispositions transitoires pour éviter ce genre de confusion ? Il rétorque : ‘’Ce serait superfétatoire. A l’époque, quand le débat s’était posé, un de mes collègues avait dit que ce n’était pas pertinent de mettre des dispositions transitoires et il avait raison. On met des dispositions transitoires si on avait changé de Constitution. Mais là, non seulement on n’a pas changé de Constitution, mais aussi, les dispositions sont très claires. Il n’y avait donc pas besoin de dispositions transitoires. Pourquoi on veut nous amener à interpréter ? Cela n’a aucun sens. Ceux qui l’animent ont un dessein inavoué, à mon avis. Ce sont ceux qui sont affamés de pouvoir qui veulent entretenir cette confusion.’’
Ce que disait le Conseil constitutionnel
Et comme si c’était une malédiction qui tend à devenir bien sénégalaise, en 2016, également, la question de la rétroactivité ou non d’une loi constitutionnelle s’était posée avec véhémence. Partisans et opposants d’une réduction de la durée du premier mandat du président de la République Macky Sall s’étaient affrontés sur tous les fronts. Dans sa décision n°1/C/2016, le Conseil constitutionnel tranchait dans son considérant n°25 que : ‘’La sécurité juridique et la stabilité des institutions, inséparables de l’Etat de droit dont le respect et la consolidation, sont proclamées dans le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001, constituent des objectifs à valeur constitutionnelle que toute révision doit prendre en considération, pour être conforme à l’esprit de la Constitution.’’
On en déduit qu’aucun président de la République ne peut, selon ses humeurs, réduire ou augmenter la durée de son mandat. Pour les mêmes motifs, aucun ne devrait pouvoir, non plus, s’arroger le droit de faire plus de mandats que ce que lui permet la charte fondamentale. Comment un président de la République, élu pour deux mandats, peut, par le biais d’une simple modification de la Constitution, se permettre d’en faire plus ? Si une telle forfaiture prônée par certains de la galaxie Apr passe, cela signifierait qu’il suffirait, après 2024, d’apporter de nouvelles modifications sur la durée pour se donner encore le droit de se représenter.
Ainsi, l’on retournerait à des années-lumière, quand le régime du président Diouf faisait sauter le verrou sur la limitation du nombre de mandats présidentiels. Le Conseil constitutionnel, toujours dans sa décision susvisée, soulignait : ‘’Pour la sauvegarde de la sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions, le droit applicable à une situation doit être connu au moment où celle-ci prend naissance… Ce droit s’entend non seulement des règles constitutionnelles écrites, mais aussi de la pratique qui les accompagne et des précédents qui éclairent les pouvoirs publics sur la manière de les interpréter… Au moment où le mandat en cours était conféré, la Constitution fixait la durée du mandat du président de la République à sept ans’’.
Au moment où Macky Sall était porté à la tête du Sénégal en 2012, par le peuple souverain, la Constitution ne prévoyait que deux mandats. Dimanche, quand Sorry Kaba le réaffirmait, rien n’a changé par rapport à cette volonté du peuple.
Mais ce n’est certainement pas au président Macky Sall, alors candidat, qu’il faudra rappeler les péripéties ayant mené aux pertes en vies humaines de 2012. Acteur clé du processus à l’époque, il disait à son adversaire et non moins ex-mentor : ‘’Le président de la République n’a pas droit à un troisième mandat. C’est clair comme l’eau de roche...’’