Se taire, se ranger ou se casser ! Voilà le mot d’ordre dans les rangs de Bennoo Bokk Yaakaar ; point d’autre alternative. Ceux qui chantent faux n’ont qu’à aller se trouver d’autres chorales. Parce que le chef d’orchestre de la majorité présidentielle ne badine pas : on chante comme il veut ou on déchante vite. Depuis 2012, c’est ainsi que les choses marchent et il n’y a point de raisons que cela change. Au regard de ces limogeages tous azimuts, la liberté de ton est un crime de lèse-majesté. Alors, « muut mbaa mott » (se taire ou se casser).
Bien qu’étant issu d’un parti qui s’est toujours réclamé « démocratique », en l’occurrence le PDS, le président de la République ne semble pas accepter la contradiction. Pis, il ne tolère guère ceux qui s’adjugent le luxe ou l’intrépidité de dire leur opinion. Et sur plan, il faut bien le dire, Sall emboîte le pas à son mentor Wade. Au vu du sort réservé aux « grandes gueules », on comprend mieux la raison pour laquelle nombre de voix qui tonnaient avant 2012 sont devenues aphones au point où l’on se demande si elles vivent toujours. Journalistes, activistes dans le cadre du M23, jadis très visibles et très audibles, se sont retrouvés réduits à l’écoute et à l’omerta. Sacrée coalition.
Idrissa Seck s’éloigne pour avoir dit « doxagul ».
Après un an d’aventure avec le régime Sall, le chef du parti REWMI, arrivé 5ème lors de la présidentielle de 2012, reste sur sa faim par rapport aux engagements et aux actes posés. Invité à se prononcer sur le bilan de Macky Sall une année après son investiture, mars 2013, Idrissa Seck dira au micro de la Rfm dans une sortie très médiatisée : « doxagul » (ça ne marche pas encore). Se gardant de faire des critiques approfondies, de peur peut-être de se mettre à dos un peuple qui vient juste de signer un bail avec un nouveau président dans l’espérance de redresser le pays, l’ancien premier ministre réussira tout de même à secouer le cocotier.
Des attaques fusent de tous bords, de la part des souteneurs du président qui veulent davantage entrer dans les grâces de celui-ci. Seck en prendra pour son grade, pour avoir osé ramer à contre-courant de la majorité à laquelle il appartient jusqu’ici. Mais la réaction la plus forte viendra du ministre Mor Ngom, lequel dira sans ambiguïté : « muut mbaa mott » (se taire ou se casser). Voilà pourquoi quelques mois plus tard, Seck et ses partisans décideront de rompre le compagnonnage avec le Bennoo Bokk Yaakaar pour retrouver l’opposition. Si des ministres « de Rewmi », en l’occurrence Pape Diouf et Oumar Guèye refusent de le suivre, d’autres comme Dr Abdourahmane Diouf, directeur de l’Office national de l’assainissement (ONAS) seront limogés à cause de la liberté de ton d’Idrissa Seck et leur loyauté à cet allié-rebelle.
Ibrahima Abou Nguette et Ali Mouhamed Camara sabrés pour avoir créé des listes parallèles
Aux législatives de 2017, le président Sall avait déclaré urbi et orbi qu’il ne tolèrerait aucune liste parallèle. Lors d’une rencontre avec les alliés, avril 2017, le chef de la Coalition Bennoo Bokk Yaakaar s’est voulu clair : « cela doit être dit avec force, autant pour les locales nous avions pris la décision de laisser les gens s’ils n’étaient pas d’accord de présenter leur liste, parce que les enjeux étaient locaux. Il ne faut pas que l’on confonde les enjeux d’une législative à ceux d’une élection locale. Autant il s’agira ici de mettre tout en œuvre pour n’avoir qu’une liste Bennoo Bokk Yaakaar ». Et le président d’avertir, « nous ne tolèrerons aucune liste parallèle ».
Cette mise en garde ne sera pas perçue de la même façon chez tous les alliés. Usant de la liberté que leur confère la constitution, mais qui est aux antipodes des intérêts du parti au pouvoir, Ibrahima Abou Nguette et Ali Mouhamed Camara mettent en place respectivement la liste « Ak IPD Sénégal Ci Kanam » et celle du Mouvement pour le parti de la construction.
Aussitôt sa volonté affichée, M. Nguette, jusque-là Directeur de la construction au ministère du Renouveau urbain, de l’Habitat et du Cadre de vie, sera tout bonnement remercié. Mais c’était sans compter avec une partie du peuple qui le réhabilite aux législatives de juillet 2017 en faisant de lui un représentant à l’Assemblée nationale avec plus de 20 000 voix.
Quant à Ali Mouhamed Camara, secrétaire exécutif du Conseil national de la sécurité alimentaire, il n’a jamais été ébranlé par son limogeage politique. Il en sort d’ailleurs plus libre de ton et critique ouvertement le mélange des genres politiques et administratifs en déclarant lors de sa passation de service que : « c’est dangereux de voir les autorités mélanger la gestion administrative et les rapports politiques ».
Le DAGE de la présidence, Abdoulaye Ndour, évincé pour propos jugés déplacés
Parmi les victimes de la liberté de ton, il y a le sieur Abdoulaye Ndour, ancien DAGE de la présidence de la République. Sa sortie sur le cas du capitaine Dièye, en mai 2018, avait sonné comme une déloyauté pour un collaborateur de sa trempe. Au micro de la Rfm, « relayeur des dérives en la circonstance », il défendra une position qui indispose au plus haut sommet de l’Etat.
Selon le DAGE en question, le silence radio auquel on veut réduire les hommes de tenue et hauts fonctionnaires ne peut plus prospérer. A la décharge du capitaine Dièye, voué aux gémonies pour sa volonté de migrer de l’armée vers la politique, M. Ndour dira que la politique n’est plus un tabou pour un homme de tenue. Son opinion était que « l’armée est devenue aujourd’hui le milieu le plus politisé. Le soldat se sent comme un simple citoyen qui doit dire ce qu’il pense ». Des propos assez forts pour courroucer le chef de l’Exécutif qui se débarrasse de lui sans hésiter.
El hadji Hamidou Kassé brûlé à cause du pétrole
Se prononçant sur le scandale du pétrole dans lequel le nom d’Aliou Sall, frère de Macky Sall, est cité, le ministre conseiller glisse et enfonce son « protégé ». Sa mission de sauvetage se soldera par un échec cuisant à tel point qu’il finisse sur la sellette. Les aveux sont de taille, puisque M. Hamidou Kassé confirme avec conviction ce que le concerné et son frère de président réfutent énergiquement.
Sur un plateau de TV5, le porte-parole de la présidence annonce qu’Aliou Sall a bel et bien reçu la somme de 250 000 dollars (146 millions CFA) de Timis Corporation pour consultation par l’entremise de sa société Agritrans. Cette communication malheureuse lui vaudra le sabre du président de la République, lequel n’attendra pas longtemps pour le démettre, le 24 juin 2019. El Hadji Kassé est ainsi remplacé par Seydou Guèye parce qu’il a dit ce qu’il pense être LA vérité d’une question qui lui est posée.
Sory Kaba touche au fruit défendu, la question du troisième mandat, et se fait virer
Les derniers responsables à être mis au placard ne sont que des victimes de leur liberté de ton, même s’il faut reconnaître qu’ils n’ont pas toujours eu le courage de dire le fond de leur pensée. En vérité, ces glissades communicationnels, loin d’être de simples erreurs, révèlent la bonne foi des concernés. Hormis cette culbute, Sory Kaba a toujours défendu le régime de Macky Sall même s’il doit se montrer impertinent. Combien de fois n’a-t-on assisté au démenti de Boubacar Seye, patron de l’association pro-migrants « Horizon sans frontières), relativement à des chiffres ou faits annoncés par l’ancien directeur des Sénégalais de l’extérieur ? Tant qu’à le dire, l’homme n’a jamais manqué de solidarité et de loyauté.
Cependant, lors e son émission de dimanche passé sur la Rfm, M. Kaba a touché au fruit interdit, cette question du troisième mandat. En déclarant que le président de la République n’a pas droit à un troisième bail, ce collaborateur de Macky Sall ne mesurait pas les conséquences qui allaient en découler. Il y a fort à parier qu’il n’aurait pas tenu ces propos en toute connaissance de conséquences. Décidément, il apprendra à ses dépens, qu’il n’est pas toujours bon de répéter tout ce que le président dit, fût-ce son engagement à ne point briguer un troisième mandat.
Samba Ndiaye Seck et Moustapha Ka relevés à cause de Karim
Leur engagement auprès des Nations unies quant à la réhabilitation de Karim Wade, injustement condamné par la Crei, leur vaudra leur poste. Ces fonctionnaires, appelés désormais les « victimes de Genève », ont été perdus par leur rationalité et leur désir de bien faire. Mais la responsabilité endossée devant le comité des droits de l’homme des Nations unies, bien qu’étant en parfaite harmonie avec les conclusions dudit comité publiées le 22 octobre 2018, ne sera pas du goût du chef de l’Etat.
L’ex directeur de cabinet du secrétaire d’Etat chargé de la promotion des droits humains et de la bonne gouvernance, Samba Ndiaye Seck, et l’ancien directeur des droits humains, Moustapha Ka paient ainsi leur erreur. Malgré un contexte qui s’y prêtait pourtant, les retrouvailles Wade-Sall aidant, l’Etat du Sénégal refuse de cautionner un acte allant dans le sens de réviser le procès de Karim ou de le réhabiliter et indemniser.
Leur limogeage intervenu ainsi le 21 octobre 2019 sonne comme un avertissement aux grandes gueules du pouvoir, chat échaudé craignant l’eau froide. Le président n’est pas tolérant quand il s’agit de dérives qui gâtent son « business ». Ceux qui l’ont déjà compris ne parlent plus dans les médias, même pas pour le défendre, puisque le verrou de sûreté avec lui c’est de toujours donner sa langue au chat et non plus de la tourner sept fois avant de parler.