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Centrale à charbon de Sendou : Dans l’enfer des riverains
Publié le mercredi 16 octobre 2019  |  Enquête Plus
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© RFI par Igor Strauss
La nouvelle centrale au charbon de Bargny
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Défaillances techniques, difficultés financières, conflits entre actionnaires, la Compagnie d’électricité du Sénégal (Ces) est à l’agonie. Plongeant ses propriétaires dans l’expectative, les populations de Bargny et de Miname, hostiles à son érection, dans la grande joie. Dans ce reportage entamé au mois de juillet, les habitants crient, impuissants, leur grand désespoir.

Miname se consume. De la poussière, des résidus de charbon, de la cendre, des machines qui grondent presque 24 heures/24, distillant dans le voisinage, des dizaines et des dizaines de décibels. L’ambiance, dans cette zone balnéaire du département de Rufisque qui, autrefois, attirait des touristes venus de divers horizons, est désagréable, parfois affolante. Ici, environ 160 tonnes de cendres sont secrétées tous les jours par la centrale électrique à charbon de Sendou. En une semaine, c’est donc pas moins de 1120 tonnes de déchets. Une bombe écologique qui semble, pour le moment, être ignorée les décideurs.

En cette matinée caniculaire du mois de juillet, à environ 10 mètres du mur de l’infrastructure située dans le village de Miname, debout pendant quelques minutes sur les amas de sable pour observer l’activité intense à l’intérieur de l’usine, on a les larmes aux yeux, à cause des particules fines qui s’échappent de l’usine, transportées par le vent fort de ce jour. En un laps de temps, nous voilà enrhumé avec des yeux qui n’arrêtent pas de piquer, de pleurer, des narines qui n’arrêtent pas de couler. Quelques heures plus tard, vers la fin de l’après-midi, nos yeux commencent même à enfler. Difficile de regarder l’écran du téléphone pendant 30 secondes. Et la toux et les larmes persistent. Il faudra du Frakidex pour se sentir mieux, le lendemain. ‘’Vous qui venez de la centrale, vous avez pu constater les désagréments qu’elle peut causer. Nous vivons l’enfer’’, lance le vieux Mamadou Diouf trouvé au ‘penc’ de Miname, sur les bordures de la mer.

Quelques instants avant cette inspection, on peinait à croire aux témoignages accablants de certains ouvriers rencontrés dans les alentours. Visage poussiéreux, gilet sur le dos et casque à la main, l’un d’eux disait : ‘’Nous travaillons dans des conditions exécrables. Nous sommes surexploités par les sous-traitants qui amassent l’argent et nous paient des miettes. Parfois, il faut entrer en rébellion pour avoir mêmes des masques.’’ Debout juste à ses côtés, un collègue renchérit de sa voix enrouée : ‘’Regardez, depuis 8 mois que nous travaillons ici, on a les mêmes tenues. On ne fait pas non plus les visites médicales régulièrement, alors qu’on nous avait dit qu’elles doivent se faire chaque mois. Vous voyez comme nos yeux ont rougi. Moi, je ne peux même plus manger correctement. Ce n’est pas un travail ça, mais on n’a pas autre chose.’’

Chez le voisinage, la question qui taraude le plus reste celle de la gestion des déchets toxiques. Où vont toutes ces quantités de cendres ? Quels impacts sur leur organisme dans 10, 20 ans, etc. ? A en croire les riverains, une bonne partie de ces cendres s’échappe de l’usine et atterrit dans leurs maisons. Teint clair, taille moyenne, la mareyeuse Fatou Thiombane, trouvée au bord de la plage, décrit leur calvaire : ‘’La centrale nous a tout pris. Nos terrains, nos champs, nos poissons… Avant, il y avait des poissons jusque-là (elle désigne du doigt la plage). Même les enfants pouvaient venir ici et trouver du poisson. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas.’’

Dans un rapport de 2016, le Mécanisme d’inspection indépendant de la Banque africaine de développement (un des bailleurs du projet), soulignait que l’un des nombreux manquements qui ont été relevés dans l’étude d’impact environnemental, c’est qu’aucune évaluation des espèces et richesses marines n’a été faite. Ce qui fait qu’il est difficile de dire, avec certitude, quel effet ont sur l’écosystème marin les rejets en mer de la centrale.

Badara Guèye, responsable à CES : ‘’L’eau est refroidie avant d’être jetée en mer’’

Le responsable Environnement de la Compagnie d’électricité du Sénégal, lui, bat en brèche les accusations qu’il déclare injustifiées. Il met l’accent sur les améliorations nettes qui ont été apportées depuis le passage des experts de la Bad. ‘’Au départ, on utilisait un système à cycle ouvert. Pour le refroidissement des équipements, on prend de l’eau de mer avec un débit de 17 000 m3 et rejeter avec le même débit. Ce système a été changé pour un système semi-fermé. On pompe moins d’eau, donc moins de poissons. Et on a un filtre à l’inspiration qui permet de stopper les poissons’’, indique Badara Guèye, assis dans son bureau.

Ce système, selon lui, permet aussi à la centrale de ne pas avoir un écart de température entre l’eau de mer inspirée et celle rejetée. ‘’Dans le système qu’on avait auparavant, l’écart de température dépassait les 5 degrés Celcius. Aujourd’hui, vous ne constatez même pas la vapeur. L’eau est refroidie avant d’être jetée en mer’’, renchérit le chargé de l’environnement.

Dans la zone contiguë aux 29 hectares clôturés de la centrale, sont installées les braves femmes transformatrices de Bargny. Premières impactées de la centrale, leur présidente, Fatou Samb, allègue, elle aussi, une raréfaction des produits halieutiques : ‘’Notre activité a fortement régressé. A pareille heure, il y avait tellement de poissons qu’on recommandait aux pêcheurs, via la mosquée, de ne pas aller en mer pour permettre de produire l’offre. Honnêtement, je ne puis dire que c’est dû aux émissions de la centrale, mais la baisse de poissons depuis son implantation est effective.’’

Plus loin, sur la plage, Idrissa Guèye, 28 ans, embouche, furieux, la trompette de la contestation. ‘’Cette centrale, peste-t-il, est la source de tous nos maux. Nous nous sommes battus de toutes nos forces pour empêcher son érection dans notre quartier, mais en vain. Aujourd’hui, nous en subissons directement les conséquences désastreuses sur notre environnement et notre santé. Pire, ils ont pris nos terres, détruit nos mers et ils ne nous ont même pas dédommagés. Voilà le spectacle désolant que nous vivons au quotidien’’.

Ainsi, à Miname, les populations n’ont plus le temps de savourer le beau soleil. Ni d’admirer le climat enchanteur de l’océan. Ils s’emploient surtout, chaque matin, au nettoiement de leurs habitations salies par les déchets que rejette la centrale installée non loin des habitations. Débardeur noir sur un pantalon jogging de même couleur, Idrissa Guèye ajoute : ‘’Voyez-vous cet étage là-bas ? C’est comme s’il était peint en rouge, alors qu’il n’y a aucune couche de peinture. Les parents qui y logent n’osent même plus préparer leur repas dans la maison, à cause de la poussière. Ils vont dans la grande maison familiale qu’ils avaient quittée à cause de la promiscuité. C’est là-bas qu’ils passent la journée. Ils ne retournent dans leur maison que pour dormir. C’est devenu un dortoir pour eux.’’

1 120 tonnes de cendres, chaque semaine, exposées à l’air libre

Dans l’étude d’impact qui avait présidé à la délivrance du quitus environnemental, cette épineuse question de la gestion des cendres avait bien été prise en compte par les autorités de l’environnement. Pour obtenir ce quitus qui vaut autorisation d’exploitation, la Compagnie d’électricité du Sénégal, propriétaire, avait assuré aux services du ministère qu’elle allait signer un contrat de vente avec la Sococim industrie. Celle-ci devait transformer les déchets en ciment. Selon nos interlocuteurs, toutes les dispositions avaient effectivement été prises : signature de la convention avec la cimenterie, installations dernier cri composées, entre autres, d’une cheminée de 150 m, de filtres pour capter les cendres et empêcher leur rejet dans l’air, un grand silo de 600 m3 pour les stocker, des camions bien fermés pour les récupérer et transporter à la Sococim... Tout semblait ainsi être mis en place pour que le plan se déroule comme sur des roulettes. Hélas, si l’on en croit les populations, les choses ne se seraient jamais passées de la sorte.

Ici, à chaque jour suffit sa peine. Les cendres, les résidus de charbon envahissent les concessions, perturbant la quiétude des populations qui ne savent plus à quelle autorité se fier. Interpellé sur cette question, le responsable Environnement de la Ces se défend : ‘’En fait, il faut savoir qu’aucun système ne peut être performant à 100 %. Durant les phases de transbordement, souvent, il y a des pertes, des fuites de poussière qui peuvent causer ce genre de désagrément. Il est vrai que nous sommes souvent saisis par les voisins. Et à chaque fois, on essaie de le gérer de façon routinière.’’

Mais le mal semble bien plus profond. Dernièrement, renseignent certains contacts, la cimenterie de Rufisque a refusé de prendre les cendres, faute de qualité. Du côté de la Ces, on réfute l’information. Monsieur Guèye tente d’expliquer : ‘’A ma connaissance, le contrat qui nous lie est toujours en cours. Et il stipule bien que la Sococim a l’obligation de prendre les cendres. En ce qui nous concerne, on s’en tient aux termes de cet accord. C’est d’ailleurs comme ça, par des rumeurs, que j’ai appris que la Sococim refuserait d’honorer le contrat pour une raison ou une autre. Pour moi, il n’en est rien.’’

Ce qui est sûr, c’est que dehors, à l’aile droite de l’usine, des tas de cendres sont exposés sur un vaste espace à ciel ouvert. Des camions faisant des va-et-vient incessants pour les asperger d’eau. A propos de ces stocks, M. Guèye rassure : ‘’C’est juste quand la Sococim tarde à envoyer des camions et que nos silos soient pleins. En pareil cas, on est obligé de les stocker temporairement dans la zone de stockage dédiée. C’est certes une zone à ciel ouvert, mais nous avons des camions citernes qui passent à tout moment pour arroser. C’est pour éviter que le vent ne puisse les transporter et incommoder le voisinage.’’

ABDOU KARIM SALL, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT

‘’Si le contrat entre la Ces et la Sococim était une condition pour la délivrance du quitus, nous allons veiller à son respect’’

Aujourd’hui, le grand défi des populations, c’est de tout faire pour que l’Etat ferme définitivement la centrale électrique à charbon. Interpellé au mois d’août sur cette question de la gestion de la cendre, le ministre de l’Environnement, Abdou Karim Sall, disait : ‘’Il faut savoir que des études d’impact ont été faites, avant la délivrance d’un quitus. Je ne manquerai pas de vérifier ce que vous dites (la Sococim refuse de prendre la cendre pour défaut de qualité).

Je ne veux pas m’immiscer dans les relations de privé à privé. Mais si la prise en charge de cette question a été une des conditions pour la délivrance du quitus, nous allons veiller à son respect strict.’’

Faisant confiance au professionnalisme de ses services, notamment la Direction de l’environnement et des établissements classés (Deec), il assure que tous les quitus qui ont été délivrés l’ont été conformément à la loi. ‘’Je ne pense pas qu’il puisse y avoir des difficultés à ce niveau. Je pense que l’Etat a pris les mesures qui s’imposent pour que cette centrale n’ait pas d’impacts négatifs majeurs sur les populations qui sont au centre de nos priorités. Nous n’avons pas d’inquiétude là-dessus’’, informait dans une interview celui qui venait d’être promu ministre de tutelle.
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