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El Hadj Hamidou Kassé : «La liberté d’expression ne doit pas tuer l’expression elle-même»
Publié le jeudi 10 octobre 2019  |  SeneNews
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© aDakar.com par DF
Le ministre-conseiller, responsable du Pôle de communication de la Présidence rencontre la presse
Dakar, le 28 juin 2016 - Le ministre-conseiller, responsable du Pôle de communication de la Présidence, El Hadj Hamidou Kassé, a rencontré des journalistes pour aborder la récente grâce accordée par le chef de l`État à Karim Wade.
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Le mode de fonctionnement des réseaux sociaux avec des plateformes totalement ouvertes et un coût de l’information quasi nul favorisent la libre production et la diffusion large et instantanée de l’information par tout citoyen sans aucun filtre. Faute de régulation, on assiste aux abus de la part de ces «citoyens-médias» : prise de parole intempestive, insulte gratuite, calomnie, diffamation, diffusion des messages de haine et de cristallisation de velléités de communautariste, identitaire dans cet exercice. Toutes choses qui éprouvent la citoyenneté et compromet le vivre ensemble et provoque des tensions sociales. Pour le ministre-conseiller El Hadj Hamidou Kassé, il est difficile de réguler cet espace certes, mais il faut que chaque citoyen tienne une parole «responsable et citoyenne». Quant aux médias classiques fortement concurrencés de nos jours par les médias sociaux, ils ont le devoir de s’adapter en révisant leur approche du journalisme à travers les angles de traitement et même des canaux de diffusion parce que la concurrence ira crescendo . M. El Hadj Kassé a été interrogé ce week-end en marge d’un panel sur «le commun vouloir de vivre ensemble» tenu sur l’île de Ngor par le «Club Convergences Plurielles». Entretien.

Le facile accès aux réseaux sociaux est aujourd’hui source d’abus dans la prise de parole dans l’espace public. Comment parvenir à réguler idéalement cet espace pour limiter les dérives sans porter atteinte à la liberté d’expression?

Je vais peut-être vous décevoir. Je ne pense pas qu’il puisse y avoir une régulation idéale des réseaux sociaux pour la bonne et simple raison que c’est un nouvel espace où interviennent ce que j’ai appelé «les citoyens-médias. En d’autres termes, chacun devient collecteur, traiteur et diffuseur de l’information parce qu’avec le smartphone, vous n’avez plus la contrainte, ni du déplacement sur le terrain, ni de la vérification de l’information, encore moins de la validation ou du protocole de validation d’une école de journalisme ou d’une expérience de terrain. C’est donc un espace totalement libre qu’il est, à mon avis, extrêmement difficile de réguler. Sauf si comme dans certains pays telle que la Chine, l’État intervient dans les dispositifs technologiques pour limiter et les accès et les modes de diffusion.

Est-ce que ce scenario à la chinoise est souhaitable dans le contexte sénégalais ?

Je ne suis peut-être pas dans les jugements de valeurs. Mais je pense qu’il est important de noter qu’il y a une libéralisation de la parole, une démocratisation de la prise de parole dans l’espace public. Puisque ça peut être un progrès comme ça peut être aussi une mise à l’épreuve de la citoyenneté, du vivre ensemble. Les effets d’instantanéité, d’amplification et de diffusion extrêmement rapide de telle ou telle nouvelle peuvent mettre à l’épreuve et la société et la citoyenneté parce que tout simplement les réseaux sociaux sont aussi des déclencheurs de cristallisations, des déclencheurs de violences qui peuvent atteindre un certain seuil, dont la conséquence est de livrer la société à une justice tout à fait laissée aux personnes : «œil pour œil dent pour dent ». C’est pourquoi il est important que nous réfléchissions sur un modèle d’éducation à la base et de manière horizontale, afin que chaque citoyen prenne conscience du fait qu’il a une lourde responsabilité dans la prise de parole qu’on ne peut pas limiter, mais qui doit être, tout de même, encadrée et ça, c’est de l’auto-responsabilité. Ça relève de l’intériorité, de l’individu. Et chacun justement doit se comporter… – et là je suis un peu kantien-, comme s’il souhaitait que tout le monde se comporte de la même manière que lui.

La légitimité de la prise de parole dans l’espace public se pose également dans les médias classiques. Est-ce que les journalistes devraient revoir la manière dont ils distribuent la parole, en excluant peu ou prou certains, sachant que chacun pourrait prétendre la parole au nom du droit que lui confère la démocratie ?

Attention ! Il ne faudrait pas que ce qu’on appelle la liberté d’expression tue l’expression elle-même. Pourquoi ? Parce que la démocratie elle-même est une stratégie de pacification de l’espace politique et social au sens où on permet à chacun de prendre la parole, de donner son point de vue et de façon institutionnalisée ; et les lieux de la prise de parole sont des assemblées consulaires par exemple : c’est l’Assemblée nationale, le Conseil économique social et environnement (Cese), le Conseil municipal, les conseils départementaux, les Assemblées générales villageoises et les médias. Tout ça, ce sont des espaces, des instances de prise de parole. Mais encore faudrait-il que cette parole-là, soit une parole, responsable, une parole citoyenne, une parole qui n’agresse pas, au point de créer la cristallisation et la violence. Et c’est pourquoi la responsabilité des rédactions et des journalistes est engagée au sens où, on doit quand même avoir un filtre. Je ne dis pas censeure, mais des filtres qui doivent permettre d’insister plus sur la parole essentielle et responsable qui participe de la construction et de la consolidation du vivre ensemble que, justement, de laisser prospérer ce que je pourrais appeler de «l’anachro-democratie».

Aujourd’hui le consommateur de l’information est devenu lui-même producteur et diffuseur, au point l’où on parle de «consommActeur ». Ceci crée une concurrence entre le journalisme classique et un journalisme dit «citoyen». Que doivent faire les journalistes classiques pour se démarquer ?

C’est ce que j’appelais le «citoyen-médias» au sens où chaque citoyen peut créer son propre média et être producteur et diffuseur de l’information. Évidemment c’est une rude concurrence. Parce qu’avant, un journaliste collectait de l’information, allait sur le terrain pour vérifier. L‘information est traitée d’une certaine manière et elle est diffusée par des canaux précis : la radio, la télé, la presse écrite et même par les sites web. Mais aujourd’hui, ces espaces de support d’expression semblent mis à rude épreuves par l’essor des réseaux sociaux où, il y a des stratégies de contournement des circuits classiques, de contournement de l’information au profit d’une circulation de l’information horizontale entre les citoyens. Et ça va être de plus en plus difficile pour les journalistes de résister à cette concurrence. La preuve c’est qu’aujourd’hui le nombre de personnes présentes sur les réseaux sociaux est évalué à plus de 3 à 4 milliards à peu près dans le monde.

Qu’en est-il des statistiques chez au Sénégal ?

Dans un pays comme le Sénégal il y a plus de lignes que d’habitants. Parce qu’on a, à peu près, 16 millions et quelques lignes téléphoniques. Chacun a son smartphone, chacun peut produire et diffuser de l’information avec le maximum de supports. Vous avez Twitter, Facebook, Youtube, Instagram, Trumblr. Vous avez de plus en plus Tik Tok, … Bref, toute une palette de réseaux sociaux qui vous permettent de contrôler votre information. C’est pourquoi il est important aussi que les « journalistes classiques » ou ce qu’on pourrait appeler les «paléo-journalistes» s’adaptent au nouveau contexte. Il faut qu’ils s’adaptent non seulement, du point de vue des angles de traitement de l’information, mais également du point de vue des supports de diffusion de l’information. Pourquoi? Parce que les formes classiques de traitement de l’information – je ne dis pas que ça va disparaître -, mais ça ne peut et ne doit plus être sous l’ancienne forme sinon la presse quotidienne risque de disparaître : la radio, la télé… tout ça doit être repensé à la lumière des réseaux sociaux, afin que le journaliste classique ne laisse pas tout le champ, tout l’espace à ce que j’ai appelé «le citoyen-média».
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