Le Club Convergences Plurielles, un cercle de réflexion regroupant un certain nombre d’intellectuels et d’acteurs culturels, a organisé ce week-end, un panel sur «Le commun vouloir de vivre ensemble» sur l’ile de Ngor. Cette rencontre vient à son heure parce que le Sénégal de 2019 inquiète à plus d’un titre et plusieurs comportements observés dans la société justifient cette inquiétude : la montée du radicalisme, des indices du communautarisme, l’insulte gratuite, parfois ethniciste proférée via les réseaux sociaux et la désertion des institutions de la République de certaines communautés. Toutes choses qui sapent et hypothèquent le vivre ensemble dans une société apaisée, avec des citoyens responsables, ayant à cœur la préservation de l’unité nationale et la cohésion sociale. Cette première rencontre marque le lancement officiel des «Rendez-vous de l’île de Ngor», un cadre de réflexions et d’analyses pour un meilleur Sénégal.
Le consensus multiséculaire fort sur lequel s’est bâti le Sénégal moderne tient-il encore ? La question est grosse de sens et mérite que l’on y médite dans un contexte de montée des radicalismes, de l’apparition des communautarismes et des replis identitaires, qui menacent dangereusement le commun vouloir de vivre ensemble, et met à rude épreuve l’unité nationale et la construction de l’État nation. Ce sont ces problématiques entre autres, qui étaient au chœur de la première édition des «Rendez-vous de l’île de Ngor», un cadre de réflexion initié par le «Club Convergences Plurielles». C’est un rendez-vous d’échange entre personnalités du monde Universitaire et culturel, des acteurs politiques et de la société civile marque le lancement . Le diagnostic fait aussi bien par des panélistes de très (Penda Mbow, Mamoussé Diagne, Abdoul Aziz Kébé, etc.) haut niveau ainsi que les discutants de ce panel est sans appel : plusieurs comportements menacent le vivre ensemble au Sénégal aujourd’hui et il est urgent d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
En effet, le vivre ensemble est de plus en plus problématique ces dernières années au Sénégal. Une situation qui inquiète au plus haut niveau les intellectuels conscients de leur devoir et de leur responsabilité vis-à-vis de la société. Ces comportements qui menacent le vivre ensemble transparaissent très clairement aussi bien dans les médias classiques que les médias sociaux. Ainsi, l’explosion médiatique et l’ essor des technologies de l’information et de la communication pose un problème de régulation de la parole publique dans la mesure où, les journalistes n’ont plus le monopole de la production et de la diffusion de l’information. Cependant, tout citoyen étant potentiellement son propre média, il est devenu difficile de réguler la parole publique.
Dans ce rôle de «citoyen médias» dont peut se prévaloir tout Sénégalais, il n’y a pas le processus de filtre, de traitement responsable de l’information qui doit être diffusée. «Les compétences des journalistes sont disputées tous les jours si bien que le cout de l’info est quasi nul. Il suffit d’avoir son smartphone d’être son propre média», note le journaliste et ministre conseiller El Hadj Hamidou Kassé. D’autre part, l’explosion médiatique de ces dernières décennies aidant, il y a une tendance des médias à donner la parole à n’importe qui. Or pour la plupart des panélistes, la parole publique doit avoir une certaine légitimité. « La parole publique ne peut pas appartenir à tout le monde car si elle appartient à tout le monde, elle devient dérégulée. Les médias sont dérégulée», estime le Pr. Abdoul Aziz Kébé.
La perversion des réseaux sociaux
Les médias sociaux au-delà de tout ce qu’ils ont de positif expose aussi la société dans la mesure où il n’y a plus de « frontières» ni entre les individus, ni entre « les lettrés et les illettrés ». Avec les réseaux sociaux, il y a une sorte de cristallisation des identités. «On peut être plus proche de quelqu’un qui est aux États-Unis que de quelqu’un dont on est plus proche physiquement et géographiquement». Dans le même temps, malheureusement, avec la « garantie de l’anonymat», on se cache derrière son téléphone et insulter, s’offusque El Hadj Hamidou Kassé.
On a notamment vu ces derniers temps, des citoyens au Sénégal comme à l’étranger proférer des insultes gratuites à l’endroit des autorités publiques. Selon l’historienne Penda Mbow, il y a un certain radicalisme » qui émerge dans le pays. Et curieusement «ceux qui reviennent des pays occidentaux sont plus radicalisés car ils reviennent avec cet islam nouveau que nous ne connaissions pas et c’est en rapport avec la violence qui existe dans les pays occidentaux», s’inquiète l’historienne.
Radicalisme rampant
Inquiète du chemin glissant que le Sénégal actuel a emprunté, le plus préoccupant c’est que l’élite a disparu et on note de plus en plus une désaffection de l’éducation dans certaines régions du Sénégal (Touba, Thiès) et même dans certains quartiers de Dakar. A ce rythme, il y a fort à parier que l’université en arrive à être elle aussi marginalisée. Ce qui est dangereux. Aussi, l’ancienne ministre de la Culture s’insurge de ce qu’au nom de la religion non seulement qu’on se permette d dire ce qu’on veut mais qu’on ne tolère pas le débat, qu’on développe un discours contre les femmes. Après Macky Sall, Penda Mbow se demande ce que le prochain président du Sénégal proposera pour maintenir les fondements de la république. «Je ne sais pas qui sera le prochain président. Le modèle qu’on va nous proposer après Macky Sall risque d’être un modèle religieux parce que ce modèle est en train de se construire, s’inquiète l’historienne. Pour elle n’est pas question de mettre en question outre mesure le modèle laïc de la république. «Ce contre pourquoi je me battrai c’est la préservation du modèle laïc et surtout pour nous les femmes. Les femmes sont les premières victimes, on leur déni la capacité de parler».
Quel avenir pour l’école sénégalaise ?
Le système éducatif est, lui, aussi devenuproblématique dans ce pays. L’historienne se demande quel type de citoyen veut-on créer avec des modèles éducatifs aussi divers : modèle occidental, turc, iranien, etc. Elle note pour se désoler de ce que de plus en plus en plus à Touba, Thiès, les zone de forte présence wolof il y aitmoins d’engouement à envoyer les enfants à l’école. Ici même à Dakar, le cas du quartier populaire de Médina est assez illustratif de la situation. «A la médina, seuls sont les enfants des étrangers (Guinéens)vont à l’école. La wolof envoie de moins en moins les enfants à l’école française ».Pour le Pr. Abdoul Aziz Kébé, « cettedésaffection de l’école dans certaineszonesdu pays est dû au fait que les gens ne se reconnaissent pas dans ce qu’on leur propose comme modèle d’éducation ».
Selon lui, le projet éducatif au Sénégal pose problème et l’État devait y revenir sur cette problématique puisque la citoyenneté se construit de l’éducation et de la formation que l’on reçoit. Le Pr. Kébé relève en outre que l’on tente d’opposer l’élite arabophone et l’élite francophone. Ce qui met en conflit deux visions différentes qui ne sont pas notre conception de l’éducation parce que «nous ne sommes ni de l’Occident, ni de l’Orient». «Nous sommes Sénégalais» Sur la question de la citoyenneté, les jeunes devraient se donner corps et âme pour futur de ce pays. «La citoyenneté n’est pas encore une réalité chez nous. C’est un projet en construction». Mais pour Abdoulaye Diallo, la question des modèles éducatif est un faux problème parce que quel que soit le système éducatif, les savoirs demeureront les mêmes.
D’éminents intellectuels notamment philosophes, des historiens, ministres et anciens ministres étaient à ce rendez-vous de l’île de Ngor. On pouvait noter la présence des professeurs Mamoussé Diagne, Magueye Kasse, Abdourahme Ngaide, Abdou Aziz Kébé, Penda Mbow, le ministre El hadji Hamidou Kassé , l’Abbe Henri Cissé, El Hadj Ibrahima Sall, Abdou Fall, président de Club Convergence Plurielle, Abdoulaye Diallo, le secrétaire général, etc. Cette rentre n’est que le lancement d’une série de réflexion de ce genre. Les réflexions seront collectées pour en faire «Des cahiers de île de Ngor» afin d’aider à la réflexion. Et pour cause ‘Sunnugal’, notre pirogue prend de l’eau de partout et nous n’avons pas le droit de regarder ailleurs. C’est ce que semble dire Club Convergence Plurielle.