En dépit de l’argumentaire de l’hôte, la tradition ne sera pas violée. Abdoulaye Wade aura droit à un accueil chaleureux. En retour, il devra repartir avec des réponses réservées et des contentieux vidés ou pas avec certains chefs de communauté religieuse.
Abdoulaye Wade est en tournée de confession de ses misères et amertumes depuis qu’il a quitté le pouvoir, auprès des khalifes généraux. Malgré le cahier de doléances fourni, ces derniers ne dérogent pas à la tradition. Celle-ci s’articule autour de deux valeurs : hospitalité et reconnaissance à un ancien chef d’Etat. Et puis basta ! La responsabilité et l’histoire leur imposent de ne pas jouer en public la musique que le «Pape du Sopi» veut entendre : la condamnation de la réactivation de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) et un réquisitoire contre le régime de Macky Sall. En appelant Wade à œuvrer pour la «paix» et à considérer Macky Sall comme un de ses fils, Serigne Cheikh Maty Lèye s’est voulu courtois et diplomatique dans sa réponse aux complaintes de l’ancien chef d’Etat. Depuis son départ du pouvoir, les porte-parole de la communauté mouride n’ont jamais raté une occasion pour considérer Abdoulaye Wade comme un des leurs et pour magnifier son œuvre à l’endroit de la confrérie. Pour autant, il n’a jamais été question de honnir le régime de Macky Sall tout comme ce fut la conduite avec ses prédécesseurs. Par tradition, les guides religieux sénégalais ménagent les régimes. Là où le chef de l’Etat Abdoulaye Wade n’a pas obtenu un ndiguël (consigne) politique, il serait illusoire de l’envisager pour le néo-opposant. Les va-et-vient de l’émissaire Me Madické Niang n’ont rien pu changer. D’ailleurs, le khalife général des mourides a évité un tête-à-tête pour s’épargner de suspicions. Toutefois, Abdoulaye Wade a eu droit à un accueil populaire, à une sympathie renouvelée de nombre de jeunes marabouts à qui il accordait plusieurs avantages durant son règne
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Le contentieux avec Al Makhtoum
Ses militants et sympathisants lui réserveront une telle réception à Thilmakha où l’affaire Alioune Aïdara Sylla, président dudit Conseil rural, aura de l’effet sur les cœurs. Ce sera de même à Tivaouane. Dans la cité des tidianes, le porte-parole n’a jamais caché sa complicité et son affection à Me Abdoulaye Wade. Cependant, il ne fera pas plus que Touba. Abdoul Aziz Sy Al Amin connaît les mots à utiliser pour ménager son hôte sans indisposer le régime de Macky Sall (voir ailleurs). Dans tous les cas, il ne porte que la parole du nouveau khalife général des tidianes de Tivaouane. Abdoulaye Wade ne pourra pas s’attendre à des cajoleries et promesses démesurées. Il n’a pas encore vidé son contentieux à Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum devenu khalife depuis décembre 2012. Les deux anciens compagnons ont partagé des années de braise et la prison au lendemain des évènements du 16 février 1994. Le divorce d’avec Idrissa Seck, considéré comme un disciple, n’avait pas facilité les retrouvailles. Le secrétaire général du Parti démocratique sénégalais n’a pas profité de son règne pour réchauffer ses relations avec Al Makhtoum. Mais le péché de la profanation de la Zawiya Tijane lors des violences électorales de 2012 est encore frais dans la mémoire de la famille de El Hadj Malick Sy. Ousmane Ngom, ministre de l’Intérieur à l’époque se souviendra à jamais sa séquestration par les disciples de Tivaouane.
L’émissaire de Cambérène
L’ancien président de la République peut poursuivre son périple politique chez le khalife général des Layennes. Si ses relations avec le maître de Cambérène ne sont pas froides, cette cité garde un mauvais souvenir du régime libéral. Le projet d’élargissement de l’émissaire de Cambérène, la répression violente que les jeunes de cette localité ont subie pour la circonstance dictent que Abdoulaye Wade y ferait moins dans le héroïsme. Quant à ses doléances centrées sur l’emprisonnement de son fils et ses collaborateurs, il ne pourra point s’attendre à un soutien formel et catégorique. La particularité de la communauté layenne demeure qu’elle est parmi les plus réservée du pays malgré les frustrations vécues durant le régime libéral. Elles étaient particulièrement alimentées par les traitements inéquitables à l’égard des familles religieuses du pays.
Odeur de non-sainteté avec l’Eglise
Abdoulaye Wade et son régime avaient un autre contentieux, non pas avec une confrérie, mais avec une communauté religieuse : l’Eglise. D’aucuns n’ont pas manqué de relever le fait que le leader du Pds n’ait pas mentionné le nom du Cardinal Théodore Adrien Sarr sur la liste des guides religieux à rendre visite lors de son discours à la permanence de son parti, vendredi dernier. En effet, même si la culture du pardon lui est sacrée, la communauté catholique garde en mémoire la sortie du Président Wade justifiant sur le plan religieux le Monument de la Renaissance africaine par l’usage de statue de Jésus par l’Eglise. C’était la première fois qu’un archevêque est sorti de sa réserve pour tirer à boulets rouges sur le pouvoir. Les médiations de l’architecte Pierre Goudiaby Atépa étaient parvenues à éteindre le feu, mais pas à dissiper les amertumes. Le cardinal était parmi les illustres leaders d’opinion qui prenaient en charge dans ses discours les souffrances des populations sous l’ère libérale. Toutefois, Abdoulaye Wade peut avoir droit à une visite de courtoisie. Dans toutes les communautés religieuses, il ne pourra s’agir que de cela.