Le prêcheur Taib Socé hume l’air de la liberté, à la satisfaction générale. La page judiciaire est ainsi tournée après le SOS lancé par ses pairs prêcheurs. Pourtant, cette issue heureuse ne devrait pas être le point final d’une histoire dont le dénouement mérite d’être passé à la loupe. En effet, si la libération du religieux soulage la famille et les proches de Taib Socé, elle ne manque pas de susciter des interrogations sur la marche de notre société et partant de notre système judiciaire.
Une condamnation, une liberté provisoire puis une contrainte par corps
La liberté n’a pas de prix mais il faut payer très cher pour la recouvrer. Etre dans une geôle, voir ses mouvements limités, ne plus être maître de son horloge, est la pire sentence qu’un homme peut vivre sur terre. De ce point de vue, la libération du célèbre prêcheur Taib Socé est une excellente nouvelle qu’il faut saluer. Mais s’agit-il vraiment de la victoire de la justice ?
Cette question vaut son pesant d’or puisque le mis en cause avait crié sur tous les toits son innocence. Quand bien même il serait une victime dans cette affaire, la justice a établi sa responsabilité, sa culpabilité devrait-on dire, pour le condamner à une peine de 5 ans de prison dont 3 ans fermes dans une affaire d’escroquerie sur de l’or où il aurait joué le rôle d’intermédiaire. Arrêté une première fois en 2011 et placé sous mandat de dépôt, le prêcheur avait finalement été jugé le 3 août 2015 avant de bénéficier d’une grâce présidentielle le 3 avril 2016.
Cela n’empêchera pas pour autant l’exécution de la sentence pécuniaire consistant à verser 160 millions de FCFA à l’imam Mouhamadou Bassirou Sall. Pour éviter la contrainte par corps, les avocats du prêcheur ont voulu verser 10 millions de FCFA à la partie civile le 9 août 2019 mais le juge avait rejeté. La partie plaignante avait même accepté de renoncer aux 60 millions restants en exigeant le versement de 100 millions. A défaut d’argent, la contrainte par corps finira par être appliquée au début du mois d’août passé.
Les prêcheurs tordent la main à la justice pour libérer Taib Socé
Dans la plupart des sociétés africaines, le système judiciaire est assimilé à un filet dont les mailles sont assez petites pour retenir les petits poissons et assez grandes pour laisser passer les requins. Il relève d’un euphémisme que de dire que la justice au Sénégal ne fait pas office d’exception. Pour le cas du prêcheur Taib Socé, sa sortie de la cathédrale du silence a été possible grâce au paiement d’une rançon, que dis-je, d’une caution qu’il devrait régler impérativement. Son séjour en prison, à cause de sa popularité, avait suscité une vive émotion auprès de l’opinion. Sans même chercher à savoir comment Oustaz Taib Socé s’est retrouvé condamné dans une affaire de transaction portant sur de l’or, les gens lui ont non seulement exprimé leur compassion mais aussi leur soutien.
Contrairement au commun des résidents de la prison de Rebeuss, le prêcheur doit donc sa sortie à sa renommée de prestige, son statut d’homme de foi. D’ailleurs, il n’est pas le seul détenu « de classe » dont l’aura aura contribué à l’élan de solidarité exprimé à son endroit. D’autres comme Guy Marius Sagna, Adama Gaye et même Khalifa Sall pour ne citer que ceux-là, ont bénéficié de l’avantage du nom. Contrairement aux anonymes, ces personnalités ont véritablement pu tirer leur épingle du jeu sans coup férir.
Pour revenir au cas de Taib Socé, sa libération est une preuve que la liberté est un luxe que seuls les fortunés peuvent « acheter ». L’implication de ses confrères prêcheurs a été un facteur décisif dans sa libération, eux qui ont organisé un téléthon pour « acheter » sa liberté. Il faut vraiment saluer la solidarité corporatiste dont Iran Ndaw et Oustaz Alioune Sall ont fait montre, pour une levée de fonds à hauteur de 100 millions en moins de trois semaines, et cela a surpris la religion des juges. Les prêcheurs ont tordu la main à la justice pour l’extirpation de Taib, une prouesse inédite.
Cependant, il nous faut pousser la réflexion au-delà du simple constat pour penser à ces détenus de moindre envergure, incarcérés pour des délits moindres et qui n’ont pas eu le même privilège. Ce serait une faillite collective de se résigner à dire : « Oustaz Taïb Socé a payé sa dette à la partie plaignante- et à la société aussi ?- un point c’est tout ».
Pendant ce temps, les prisonniers anonymes s’entassent comme des sardines
Tout comme les prêcheurs ne doivent pas se limiter à la seule satisfaction d’avoir extirpé un des leurs de prison, le système judiciaire doit être repensé pour ménager les infortunés. Tous autant qu’ils sont doivent continuer de prêcher la bonne parole en ayant à l’esprit ces démunis, ces oubliés du système judiciaire, ces auteurs de péchés véniels que la justice devrait au mieux avertir au pire redresser sans entraver à leur liberté. On ne peut dénombrer les prisonniers, victimes de leurs petits errements d’une part et d’erreurs judiciaires d’autre part, les juges étant peccables comme tous les autres humains. Mêmes ceux dont l’implication dans des cas de vols est prouvée doivent avoir en face d’eux une batterie de mesures autres que la privation de liberté. Ce sera là l’avènement d’une justice humanisée et plus sensible.
Pour ces gens du bas de la pyramide, la liberté demeure un luxe bien au-dessus de leurs moyens. A cause de leur dénuement, ils ne peuvent recourir au service d’un avocat, ni bénéficier d’une médiatisation de leurs dossiers, encore moins d’un téléthon à l’instar des plus fortunés. La prison est de ce fait, à l’image de la société, où les favorisés s’aident entre eux sous le regard médusé des pauvres. Naturellement, cette opération de sauvetage de Taib par ses pairs- quand bien même elle est juste- créera une sorte d’injustice, un sentiment de frustration et de colère dans la conscience des autres condamnés.
En vérité, de petits brigands- il n’est jamais dit que le prêcheur en est un- n’ont jamais été enjoints l’ordre de rendre l’objet ou le prix de l’objet volé. Ils sont souvent jetés dans les maisons d’arrêt et de correction et parfois sans faire face au juge au préalable. Même si la plupart des condamnés ont une dette envers la société et expient leurs péchés en prison, l’établissement d’un paiement généralisé de caution devrait permettre d’éviter les mandats e dépôts tous azimuts. Pour réussir à désengorger les prisons et d’y établir des conditions de vie acceptables, il est nécessaire de privilégier les sanctions pécuniaires au détriment des sanctions pénales dès lors qu’il ne s’agit pas de crimes de sang, d’agressions ou de viols.