L’Afrique fait sa rentrée. L’Institution Sainte-Jeanne-d’Arc, à Dakar, a finalement accepté des élèves voilées après les avoir refusées à la rentrée.
Il aura fallu une semaine de médiation et une réunion nocturne dans la nuit du 11 au 12 septembre pour venir à bout de l’affaire qui agite le Sénégal depuis la fin de l’été. En cause, un nouveau règlement intérieur de la prestigieuse institution Sainte-Jeanne-d’Arc (ISJA) de Dakar, imposant le port de l’uniforme « avec une tête découverte aussi bien pour les filles que les garçons ». Le texte a fermé la porte de cet établissement à vingt-deux jeunes filles voilées le 3 septembre, jour de rentrée. Depuis, le scandale s’est amplifié. D’autant que cet établissement qui scolarise de la maternelle à l’après-bac est intégré au réseau des neuf établissements français de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE).
L’éviction des jeunes filles a été contestée par les familles d’élèves voilées. Et la mesure a très vite suscité la controverse dans ce pays où plus de 95 % de la population est de confession musulmane. Si l’intervention du ministre de l’éducation nationale, Mamadou Tall, a abouti à un compromis en intégrant de nouveau les filles voilées, qui feront leur rentrée le 19 septembre, le problème de fond, celui de la gestion de l’enseignement religieux au Sénégal, reste en suspens.
Polémique et débats creux
« Ceci n’est qu’un saupoudrage en attendant qu’une autre affaire ressurgisse. L’Etat n’a pas de vision de long terme, mais tranche selon le rapport de force », estime Bakary Sambe, chercheur et directeur du Timbuktu Institute.
Plus qu’un foulard sur la tête, les crispations proviendraient de la dualité du système éducatif sénégalais avec, d’un côté, l’enseignement arabe ou coranique et, de l’autre, l’enseignement français dispensé dans les écoles privées et publiques. Aucun cadre législatif n’harmonisant l’ensemble.
« Afin d’éviter les polémiques et les débats creux comme cela a été le cas pour l’institution Sainte-Jeanne-d’Arc, il faut une refonte du système et une loi d’ordre général, pour organiser l’enseignement », préconise Moussa Sarr, avocat au barreau de Dakar. Un premier diagnostic a pourtant été établi dans les années 1980, lors des états généraux sur l’éducation et mis à jour en 2014 avec les assises sur l’éducation. Quelques évolutions ont été enregistrées, notamment avec la création d’écoles franco-arabes, la reconnaissance du baccalauréat arabe ou encore la modernisation des écoles coraniques appelées daaras. « Reste que le projet de loi portant sur le statut des daaras n’a pas été, depuis 2017, porté à l’Assemblée nationale », précise Adama Seck, secrétaire de la Fédération nationale des associations d’écoles coraniques.
Pourquoi, depuis l’indépendance, le dossier de l’enseignement religieux n’a-t-il pas été traité pour de bon ? « Manque de volonté politique, estime l’avocat Moussa Sarr qui ne cache pas son incompréhension. Pourtant, l’Etat y a tout intérêt afin de pérenniser la cohésion sociale qui existe au Sénégal. » En effet, l’interdiction du voile à l’école Jeanne d’Arc, une affaire de prime abord privée, a suscité des réactions de toutes parts, au point de sembler menacer le vivre-ensemble entre communautés musulmane et chrétienne du Sénégal.
Actes discriminatoires
Si le point d’orgue de cette affaire est la rentrée, le débat s’est ouvert dès le mois de mai, au moment où la nouvelle réglementation a été rendue publique, et a déjà fait beaucoup réagir sur les réseaux sociaux, entraînant même un communiqué du ministre de l’éducation nationale. Celui-ci y regrette alors que « depuis quelques années, des actes discriminatoires d’ordre socioculturel se manifestent de plus en plus dans l’espace scolaire » et juge la décision de l’ISJA non conforme à la Constitution sénégalaise. La sortie provoque l’ire de l’Eglise catholique avant qu’une rencontre entre les pouvoirs publics et une délégation du clergé ne rétablisse le calme.
Apaisement de courte durée puisque l’application du nouveau règlement, en cette rentrée scolaire, exclut vingt-deux jeunes filles arrivées voilées le jour de la rentrée. Le débat s’enflamme alors et dépasse rapidement le simple cas de l’institution Sainte-Jeanne-d’Arc. Sur les réseaux sociaux, certains rapportent des cas de discrimination à l’égard d’élèves chrétiens, qui seraient refusés dans certaines écoles. Côté musulman, on pointe du doigt les subventions reçues par les écoles privées catholiques et non par les écoles coraniques.
D’autres vont jusqu’à dénoncer une mesure dictée depuis la France, l’ISJA étant sous tutelle de la Congrégation des sœurs de Saint-Joseph de Cluny, dont la maison mère est à Paris. L’information doit même être démentie par l’école, une institution réputée de la capitale sénégalaise, créée en 1939, qui propose un cursus « sénégalais » et un cursus français amenant au bac et homologué par l’AEFE.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle affaire secoue le Sénégal. Depuis 2011, plusieurs écoles privées catholiques ont tenté de faire interdire le port du voile en milieu scolaire, avant de se rétracter face au tollé suscité par une telle mesure. Une fois encore, le calme est revenu et les vingt-deux élèves vont pouvoir faire leur rentrée. Mais quelle sera la prochaine affaire ?