Sur la longue liste de chefs religieux remerciés par Wade de retour vendredi dernier d’un exil volontaire de deux ans, il n’y a nulle part le nom du cardinal. De quoi se poser des questions sur les rapports entre les deux hommes.
S’agit-il d’un simple oubli ou alors de nuages qui ne se sont toujours pas dissipés entre Abdoulaye Wade et le Cardinal ? En tout cas le constat est là. Vendredi dernier, devant ses partisans venus nombreux l’accueillir à la permanence de son parti après deux ans d’absence du Sénégal, l’ancien président a cité, nommément pour certains, presque tous les chefs religieux qu’il a tenu à remercier. Même ceux qu’il a oubliés au passage lui ont été rappelés par ses proches collaborateurs.
Seulement voilà, sur cette longue liste de guides, il ne figure nulle part le nom du cardinal Théodore Adrien Sarr. Rien qui fait référence à l’Eglise. La question se pose de savoir si deux années de séparation n’ont pas réussi à réconcilier les deux hommes. Cette ‘’omission’’ de l’archevêque de Dakar vient rappeler encore combien les relations ont été difficiles à l’époque sur l’axe palais de la République-résidence les Badamiers.
En guise d’illustration, Jean Paul Dias déclarait sur l’Observateur du mardi 13 mars 2012 : « En 12 ans, Wade n’est jamais allé voir le cardinal. Il y est allé une seule fois, lorsque le cardinal Thiandoum a quitté ce bas-monde». Cette réaction de M. Dias faisait suite à une visite discrète qualifiée de politique de Me Wade chez le guide à la veille de l’élection présidentielle.
Si les rapports ont été aussi heurtés, c’est qu’une série d’évènements qui ne sont pas pour apaiser se sont succédé. Le premier est peut-être moins connu. « Wade est parti aux obsèques de Jean Paul II à Rome, mais a refusé de participer à la prière mortuaire, alors que les descendants du Prophète (Psl) étaient là », rappelle Jean paul Dias. Le deuxième a eu lieu le 14 avril 2006. Quelques éléments de la Division des investigations criminelles sont allés cueillir M. Dias en pleine messe à la cathédrale de Dakar.
Trois ans plus tard, la troisième et plus grave crise vient de Wade himself. Face aux enseignants libéraux au Cices le lundi 28 décembre 2009, défendant sa statue de Ouakam qualifié de ‘’xërëm’’ (idole) par les imams, il soutient : «Dans les églises, on prie Jésus qui n’est pas Dieu. Tout le monde le sait, mais personne n’a jamais dit quelque chose.»
Ce fut une déclaration de trop. Dans son message du nouvel an, le cardinal a protesté vivement. «Meurtris et humiliés, nous l’avons été par l’amalgame que le chef de l’Etat a établi entre le monument de la renaissance africaine et les représentations qui se trouvent dans nos églises. Il est scandaleux et inadmissible que la divinité de Jésus Christ, cœur de notre foi, soit mise en cause et bafouée par la plus haute autorité de l’Etat.»
Des jeunes étaient sortis dans la rue, occasionnant des tirs de grenades lacrymogènes dans la cathédrale. Considérant que celle-ci a été désacralisée, l’archevêque a dû la re-consacrer, après celle de 1935.
Principe de l’ordre public
Au Sénégal, il est désormais acquis que le peuple a une maturité politique supérieure à celle de ses dirigeants. L’accueil réservée à l’ancien président Abdoulaye Wade a encore administré une preuve, si besoin en était encore. Plein de gens se sont intéressés au côté quantitatif de la mobilisation et aux déclarations incendiaires du Pape du Sopi. L’aspect qualitatif mérite pourtant réflexion. Alors que du côté du Pds et du parti au pouvoir rien n’a été fait pour calmer les esprits, l’attitude des manifestants a été tout autre.
Durant presque 10 heures, la foule a été en contact direct avec les forces de l’ordre. Le soleil, la fatigue, la faim pouvaient être donc autant d’éléments déclencheurs d’une confrontation mais, en aucun moment, le public ne s’est signalé par une action pouvant déboucher sur une utilisation de la force.
Au contraire, on ne cessait de se rappeler les uns les autres qu’on était sur place juste pour manifester une sympathie à Wade et non créer un quelconque affrontement. «Nous allons l’accueillir et puis rentrer tranquillement», répète-t-on sans cesse. Une promesse tenue de la meilleure des manières, étant donné qu’à la fin de la rencontre, ils n’ont pas manqué d’applaudir les gendarmes sur le chemin du retour.
Il faut dire que les forces de l’ordre aussi ont eu une attitude louable à bien des égards. Sereines, elles ont usé d’armes bien plus efficaces que celles avec lesquelles elles étaient adoubées : la compréhension. Les gendarmes, contrairement aux policiers dans de pareilles circonstances, n’ont pas confondu rigueur et rigidité.
Ni dans l’attitude, ni dans les propos. D’ailleurs, il nous a été donné l’occasion de voir les hommes en tenue, de la manière la plus courtoise, dégager la chaussée qui commençait à être envahie. L’un d’eux s’adresse aux manifestants ainsi : ‘’Ñu bayi yoon bi waay !’’ (qu’on cède le passage s’il vous plaît). Les autres exécutent tout en répondant : ‘’Ok, ñoo far’’ (on est ensemble) ou ‘’jaajëf’’ (merci).
Ce n’est pas pour rien qu’Abdoulaye qui est dans une logique de défiance se félicite de leur comportement. Lui qui, dans ses années d’opposition, n’avait pas hésité à appeler les jeunes à tenir la dragée haute aux policiers. Bref, le constat est réjouissant. Aucun excès des deux côtés. Et au finish, la paix pour tous. C’est tout simplement du principe de l’ordre public…bien partagé.