L’ancien directeur général de la FAO s’est éteint samedi à l’âge de 81 ans. En octobre 2009, il avait pris la parole devant les évêques réunis au Vatican à l’occasion de l’Assemblée synodale sur l’Afrique.
De nationalité sénégalaise et de confession musulmane, Jacques Diouf restera l’une des figures les plus respectées de la diplomatie africaine. Né à Saint-Louis en 1938, dans un Sénégal alors sous administration française, Jacques Diouf effectue ses études en France et aux États-Unis, dans le domaine de l’agronomie et des sciences sociales du monde rural.
Dans les années 1960 et 1970, peu après les indépendances, il contribue à l’émergence d’une coopération agricole inter-africaine dans le domaine notamment du riz et de l’arachide.
En 1978, il devient secrétaire d’État à la recherche scientifique sous la présidence de Léopold Sédar Senghor, poste qu’il conserve au début de celle du président suivant Abdou Diouf, jusqu’en 1983. Il sera ensuite notamment député puis diplomate, exerçant notamment la charge d’ambassadeur du Sénégal à l’Onu de 1991 à 1993, avant d’être élu directeur général de la FAO. Jusqu’en 2011, il sera un ardent promoteur de la lutte contre la faim dans le monde, contribuant à médiatiser ce combat qui concernait encore un milliard de personnes au début du XXIe siècle. Mais même si la malnutrition a régressé depuis le début du siècle, l’idée d’une éradication de la faim en 2025 semble malheureusement hors de portée compte tenu des guerres, du changement climatique et de la démographie.
Dans sa responsabilité de directeur général du FAO, Jacques Diouf a été un interlocuteur apprécié des Papes Jean-Paul II et Benoît XVI. Quelques semaines avant de recevoir le Pape au siège de la FAO dans le cadre du sommet de novembre, 2009 sur la lutte contre la faim, le diplomate sénégalais avait été invité à prendre la parole devant les pères synodaux réunis au Vatican pour parler des problématiques de son continent d’origine l’Afrique. Voici le texte intégral de son discours, qui, 10 ans après, demeure d’une actualité brûlante.
Discours prononcé par Jacques Diouf lors du Synode sur l’Afrique, le 12 octobre 2019
«Je voudrais tout d’abord vous saluer très respectueusement et bien cordialement.
Permettez-moi de vous dire l’honneur et l’émotion que je ressens d’avoir été convié à intervenir devant cette auguste Assemblée. Je souhaite vous exprimer ma profonde gratitude pour votre invitation dont je reconnais le caractère exceptionnel. C’est une singulière distinction d’être associé à vos réflexions sur quelques-uns des problèmes cruciaux du monde, notamment l’insécurité alimentaire que vous avez bien voulu me demander d’aborder avec vous.
Notre dialogue ne pouvait se concevoir sans l’intermédiation de la parole qui est si symbolique de l’humain, mais qui est aussi le vecteur du message universel de paix, de solidarité et de fraternité.
Votre rencontre solennelle est placée sous le signe de la trilogie: “Synode”, “Évêque”, “Africain”.
Ayant le grand privilège d’user de la parole devant le Très Saint-Père, je dois puiser aux sources de la sagesse des anciens pour éviter de m’aventurer dans le labyrinthe intellectuel des deux substantifs: “Synode” et “Évêque”. J’oserais donc me hasarder seulement sur le chemin moins escarpé du substantif: “Africain”.
L’Afrique, ce sont d’abord des valeurs communes de civilisation basées sur une conscience historique d’appartenance à un même peuple. Parti de la zone des grands lacs au cours de la préhistoire pour fuir la désertification, ce peuple a fondé au cours de la protohistoire les civilisations soudano-nilotique et égyptienne. L’occupation étrangère de l’Égypte au sixième siècle a provoqué les migrations vers le sud et l’ouest, à partir de la vallée du Nil. Du début du premier siècle jusqu’aux invasions ultramarines, les grands empires et royaumes florissants s’y sont succédés; Ghana, Nok, Ifé, Mali puis Songhai, Haoussa et Kanem-Bornou, Zimbabwe et Monomotapa, Kongo. Ces valeurs s’appuient sur une conscience géographique, un territoire qui est un triangle délimité par l’Océan atlantique, l’Océan indien et la Mer méditerranée.
L’Afrique, martyrisée, exploitée, spoliée par l’esclavage et la colonisation mais maintenant politiquement souveraine, ne doit pas se replier dans le refus et la négation, même si elle a le devoir de mémoire. Elle doit avoir la grandeur du pardon et continuer de développer une conscience culturelle basée sur une identité propre qui refuse l’assimilation aliénatrice. Elle doit approfondir les concepts opératoires de négritude et d’africanité, incluant la diaspora, qui soient fondés sur l’enracinement, mais aussi sur l’ouverture.
Ces valeurs sont reflétées dans une expression artistique (peinture, sculpture) qui accentue les formes et les dimensions pour surtout transmettre un message d’amour ou manifester une émotion qui dépasse les oppositions dichotomiques. Elles s’expriment aussi par une musique et des danses plus festonnées de rythme et d’improvisation que de lyrisme et de solfège. Ces valeurs ont aussi produit un type d’architecture fait de parallélisme asymétrique où dominent pointes, triangles et cylindres, qui contrastent avec les angles rectangles, les carrés et les cubes en équilibre par rapport à des axes centraux, si caractéristiques des édifices d’autres continents.
C’est ce terreau culturel qui est le socle solide sur lequel l’Afrique doit construire son futur en harmonie avec les autres peuples de la planète Terre.
L’Afrique a toujours été présentée sous l’angle des difficultés qu’elle rencontre. Mais c’est une terre d’avenir qui dans les prochaines quarante années connaîtra une forte croissance démographique. En 2050, elle comptera deux milliards d’habitants - le double d’aujourd’hui, dépassant ainsi l’Inde (1,6 milliards d’habitants) et la Chine (1,4 milliards d’habitants) et elle représentera le plus grand marché du monde.
Avec des ressources mondiales de 80% pour le platine, 80% pour le manganèse, 57% pour le diamant, 34% pour l’or, 23% pour la bauxite, 18% pour l’uranium, 9% pour le pétrole, 8% pour le gaz, l’Afrique est incontournable dans le développement économique de la planète. Ce potentiel minier et énergétique ne deviendra cependant réalité que s’il est mis au service de l’émancipation économique de ses populations, si l’Afrique se libère du joug de la faim et de la malnutrition. Pour cela, elle doit vivre dans la paix et dans l’unité. La gestion de la cité dans les États doit se faire dans la démocratie, la transparence, la primauté du droit et l’application de la loi par une justice indépendante, devant laquelle tous les citoyens sont comptables de leurs actes. L’économie doit créer la richesse et la prospérité au profit du peuple, notamment des personnes les plus déshéritées et les plus vulnérables.
La sécurité alimentaire est indispensable à la réduction de la pauvreté, à l’éducation des enfants, à la santé des populations, mais aussi à une croissance économique durable. Elle conditionne la stabilité et la sécurité du monde. Lors des “émeutes de faim” dans 22 pays de tous les continents en 2007 et en 2008, la stabilité des gouvernements a été ébranlée. Chacun a pu réaliser que l’alimentation est aussi une question sociale de premier ordre et un facteur essentiel de sécurité globale.
En 1996, le Sommet mondial de l’alimentation, organisé par la FAO, a pris l’engagement solennel de réduire de moitié la faim et la sous-alimentation dans le monde. Il avait pour cela adapté un programme afin de parvenir à la sécurité alimentaire durable. Cet engagement a été réaffirmé par le Sommet du Millénaire en 2000, par le Sommet mondial de l’alimentation: cinq ans après en 2002 et par la Conférence de haut niveau de la FAO sur la Sécurité alimentaire mondiale tenue en juin 2008.
Malheureusement, les données les plus récentes réunies par la FAO sur la faim et la malnutrition dans le monde révèlent que la situation actuelle est encore plus inquiétante qu’en 1996. L’insécurité a augmenté partout dans le monde au court des trois dernières années à cause de la crise mondiale de 2007-2008 induite par la flambée des prix des denrées alimentaires et exacerbée par la crise financière et économique qui frappe le monde depuis plus d’un an. Toutes les régions de la planète ont été affectées. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le nombre des personnes qui ont faim a atteint un milliard, soit 15% de la population mondiale.
En Afrique, malgré des progrès importants réalisés dans de nombreux pays, l’état de l’insécurité alimentaire est très préoccupant. Le continent compte actuellement 271 millions de personnes mal nourries, soit 24% de la population, ce qui représente une augmentation de 12% par rapport à l’année dernière. En outre, parmi les trente pays dans le monde en état de crise alimentaire nécessitant actuellement une aide d’urgence, vingt se trouvent en Afrique.
Les performances de l’agriculture africaine au cours des dernières décennies ont été insuffisantes. La croissance de la production agricole (2,6% par an entre 1970 et 2007) a été compensée par celle de la population (2,7% pour la même période) et n’a donc pas accru les disponibilités alimentaires moyennes par personne. Pourtant, l’agriculture représente 11% des exportations, 17% du PIB du continent, et surtout 57% des emplois. Elle demeure un secteur économique essentiel et un facteur d’équilibre social sans équivalent.
À ce titre, la contribution de la femme africaine à la production et au commerce agricoles, ainsi que son rôle dans la nourriture de toute la famille, sont des facteurs essentiels. En fait aucune initiative pour faire face au problème de l’insécurité alimentaire en Afrique ne peut réussir sans la prise en compte de cette réalité économique et sociale.
L’Afrique a besoin de moderniser ses moyens et ses infrastructures de production agricole. L’utilisation des intrants modernes est actuellement très insuffisante. Ainsi, seulement 16 kg d’engrais par hectare de terres arables sont utilisés, contre 194 kg en Asie et 152 kg en Amérique du Sud. Ce taux est encore plus faible en Afrique sub-saharienne avec seulement 5 kg par hectare. L’usage des semences sélectionnées, qui ont fait le succès de la Révolution verte en Asie, est très faible en Afrique. Seulement un tiers des semences est soumis à un système de contrôle de qualité et de certification.
Les infrastructures de transport, les moyens de stockage et de conditionnement font terriblement défaut sur le continent. Les routes rurales sont au niveau de l’Inde du début des années 70. Les pertes de récolte atteignent 40 à 60% pour certains produits agricoles.
Seulement 7% des terres arables sont irriguées en Afrique contre 38% en Asie. Ce taux tombe à 4% pour l’Afrique sub-saharienne où sur 93% des terres la vie, je devrais dire la survie des populations dépend de la pluie, facteur de plus en plus aléatoire avec le réchauffement climatique. Pourtant, le continent n’utilise que 4% de ses réserves d’eau contre 20% en Asie.
En outre, le commerce des produits agricoles intra-africain reste relativement limité, Malgré l’existence de 14 groupements économiques régionaux, seulement 14% des importations des principaux produits alimentaires par l’Afrique proviennent de la région. Pour les céréales, ce chiffre n’est que de 6%. Le commerce intra-régional des produits agricoles en Afrique, comme d’ailleurs pour les autres produits, devrait être davantage encouragé pour qu’il joue un plus grand rôle dans la sécurité alimentaire du continent.
Les agriculteurs africains ont besoin d’améliorer leurs conditions de vie. Ils doivent pouvoir vivre dignement, en travaillant avec les moyens de leur époque. Il leur faut des semences à haut rendement, des engrais, des aliments du bétail et d’autres intrants modernes. Ils ne peuvent continuer, comme au Moyen Âge, à labourer la terre avec des outils traditionnels, dans des conditions aléatoires, au gré des caprices du temps.
Il convient de dire et de redire qu’il est impossible de vaincre la faim et la pauvreté en Afrique sans augmenter la productivité agricole, car l’extension des superficies commence à trouver ses limites à cause de l’impact de la déforestation et des incursions dans les éco-systèmes fragiles.
Le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), préparé avec le soutien de la FAO, et complété par les documents sur l’élevage, les forêts, la pêche et l’aquaculture, a été adopté par les Chefs d’États et des gouvernements de l’Union africaine en juillet 2003. Immédiatement après, 51 pays africains ont demandé le soutien de la FAO pour la traduction de ce Programme au niveau des États. Ainsi des programmes nationaux d’investissement à moyen terme et des projets d’investissement ont été préparés pour un montant total d’environ 10 milliards de dollars E.-U.
La question de l’eau est bien évidement essentielle. Elle le sera encore davantage en raison des conséquences du réchauffement climatique qui va avoir un impact particulièrement négatif sur les conditions de production agricole en Afrique. Selon le Groupe de l’ONU d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les rendements des cultures pluviales en Afrique pourraient reculer de 50 pour cent d’ici à 2020. Une réunion des Ministres de l’agriculture, des ressources en eau et de l’énergie a ainsi été organisée en décembre 2008 à Syrte par la FAO, avec le soutien de Gouvernement libyen. Un portefeuille de projets d’un montant total de 65 milliards de dollars E.-U. a été approuvé pour un programme à court, moyen et long terme d’irrigation et d’hydro-énergie établi pour chaque pays par les gouvernements africains avec le soutien de la FAO. Mais nous ne pouvons atteindre nos objectifs sans des ressources financières suffisantes. En fait le problème de l’insécurité alimentaire en ce monde est d’abord une question de mobilisation au plus haut niveau politique pour que les ressources financières nécessaires soient disponibles. C’est une question de priorités face aux besoins humains les plus fondamentaux.
Il convient de rappeler que chaque année les soutiens à l’agriculture des pays de l’OCDE atteignent 365 milliards de dollars E.-U. et les dépenses d’armement 1 340 milliards de dollars E.-U. par an dans le monde. Par ailleurs, je souhaite souligner que les financements nécessaires pour la lutte contre la faim s’élèveraient à 83 milliards de dollars E.-U. par an, provenant du budget des pays en développement eux-mêmes, de l’investissement privé, notamment des agriculteurs eux-mêmes et, enfin, de l’aide publique au développement.
Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est le résultat de choix effectués sur la base de motivations matérialistes au détriment des référentiels éthiques. Il en résulte des conditions de vie injustes et un monde inégal où un nombre restreint de personnes devient de plus en plus riche, alors que la vaste majorité de la population devient de plus en plus pauvre.
Il y a sur la terre suffisamment de moyens financiers, de technologies efficaces, de ressources naturelles et humaines pour éliminer définitivement la faim du monde. Les plans, les programmes, les projets et les politiques existent aux niveaux national et régional pour atteindre cet objectif. Dans certains pays, deux à quatre pour cent de la population est capable de produire suffisamment pour nourrir toute la nation et même exporter, alors que dans la grande majorité des autres 60 à 80 pour cent de la population n’est même pas en mesure de satisfaire une infime partie des besoins alimentaires du pays.
Le monde a dépensé 17% de l’Aide publique au développement dans les années 70 pour éviter les risques de famine en Asie et en Amérique latine. Ces ressources étaient nécessaires pour construire les systèmes d’irrigation, les routes rurales, les moyens de stockage, ainsi que les systèmes de production de semences, les usines d’engrais et d’aliments de bétail qui ont constitué la base de la Révolution verte.
Les ressources pour développer l’agriculture africaine devront d’abord provenir des budgets nationaux. À Maputo en juillet 2003, les Chefs d’État et de gouvernement africains se sont engagés à augmenter la part de leur budget national alloué à l’agriculture jusqu’à 10% au moins au cours des cinq prochaines années. Seuls 5 pays ont à ce jour respecté cet engagement, même si des progrès certains ont été observés dans 16 autres pays.
Ensuite, conformément aux engagements de Monterrey de 2002 et de Doha de 2008, l’Aide publique au développement devrait augmenter. La tendance à la diminution de la part de l’aide au développement consacrée à 1'agriculture, qui a baissé de 17% en 1980 à 3,8% en 2006, doit être inversée. Aujourd’hui, le niveau est de 5 pour cent, bien que 70 pour cent des pauvres du monde aient l’agriculture comme moyen d’existence, offrant nourriture, revenus et emploi. Les mêmes objectifs de croissance doivent être adoptés pour les financements des banques régionales et sous-régionales, ainsi que des agences d’aides bilatérales.
Enfin, les investissements du secteur privé dans le secteur agricole et alimentaire doivent être encouragés par des cadres juridiques stables. La collaboration entre secteur privé et public doit être renforcée dans le cadre d’un partenariat qui évite les pièges de l’échange inégal. Il faut donc pour cela adopter et appliquer un code international de bonne conduite sur les investissements étrangers directs dans l’agriculture.
Pourtant, dans ce contexte difficile de crise économique, la FAO a mobilisé au cours des deux dernière années, tous les moyens techniques et financiers à sa disposition pour faire face à la crise alimentaire.
Outre l’assistance fournie dans le cadre de programmes nationaux et régionaux de sécurité alimentaire et des projets d’urgence lancés pour faire face aux effets des ouragans et d’autres catastrophes naturelles, la FAO a lancé le 17 décembre 2007 son “Initiative de lutte contre la flambée des prix des denrées alimentaires”. L’objectif est de faciliter l’accès des petits agriculteurs aux semences, aux engrais, aux outils agricoles et aux équipements de pêche. Le budget actuel des divers projets relevant de cette initiative s’élève à 52 millions de dollars E.-U. en Afrique. En outre, des projets dans 16 pays africains correspondant à un budget de 163,4 million de dollars E.-U. sont mis en oeuvre par la FAO grâce au soutien de l’Union européenne dans le cadre de sa “Facilité d’un milliard d’euros”. Ces ressources sont mises à la disposition des pays en développement pour les aider à faire face à la crise alimentaire. Il s’agit maintenant d’étendre, d’approfondir et d’accroître de tels programmes et projets.
Aujourd’hui, le flux de la vague d’immigrés clandestins fuyant la faim et la pauvreté apporte sur les rivages de l’Europe australe le triste spectacle des rêves brisés d’hommes, de femmes et d’enfants en quête de mieux être et dont beaucoup trouvent une fin tragique loin d’horizons et d’êtres qui leurs sont chers.
L’optimiste structurel que je suis, croit avec ferveur que demain, grâce aux investissements et à la formation, le reflux de la marée de filles et de fils d’Afrique vers les terres fertiles et l’eau abondante du continent créera les conditions d’un avenir radieux de travail et de prospérité pour ceux qui furent trop longtemps marginalisés et qui, les femmes notamment, ont tout pour être nourrices du monde.
Une plante libérée de la faim, c’est ce que peut faire le miracle d’une foi inébranlable dans l’omniscience de Dieu et la croyance indéfectible dans l’humanité. J’ai noté donc avec une grande satisfaction, l’initiative de sécurité alimentaire du Sommet du G8 de L’Aquila de juillet dernier, auquel j’ai participé, et qui a mis l’accent, pour la première fois, sur le développement agricole à moyen et long terme, en faveur des petits producteurs des pays en développement. Il s’agit en effet de ne pas compter seulement sur l’aide alimentaire à court terme, certes indispensable dans les crises nombreuses, générées par les catastrophes naturelles et les conflits divers, mais qui ne peut assurer l’alimentation quotidienne d’un milliard de personnes souffrant de la faim dans le monde.
L’engagement pris à cette occasion de mobiliser 21 milliards de dollars E.-U. sur trois ans pour la sécurité alimentaire est un signe encourageant, pourvu qu’il soit, cette fois-ci, mis en oeuvre concrètement et rapidement.
J’ai plaidé pendant de nombreuses années sans beaucoup de résultats en faveur de l’investissement dans la petite agriculture des pays pauvres pour trouver une solution durable au problème de l’insécurité alimentaire. Je suis donc particulièrement heureux qu’aujourd’hui les dirigeants du G8 adhèrent à cette approche.
Fort de cette perspective de pouvoir mobiliser davantage de moyens à la hauteur des enjeux, le Conseil de la FAO a décidé de convoquer un Sommet mondial sur la Sécurité alimentaire au niveau des Chefs d’État et de Gouvernements, au siège de la FAO à Rome, du 16 au 18 novembre 2009. Il convient en effet de dégager un large consensus sur l’éradication définitive de la faim dans le monde, afin de permettre à tous les peuples de la Terre de bénéficier du “droit à l’alimentation” qui est le plus fondamental de tous les droits de l’homme. Pour ma part je suis convaincu, parce que je sais que c’est techniquement possible, que nous devons fixer un tel objectif pour 2025 comme l’ont déjà fait les dirigeants ibéro-américains pour l’Amérique latine et les Caraïbes.
De tous les déchirements que connaît le continent africain, la faim reste le plus tragique et le plus intolérable. Tout engagement pour la justice et la paix en Afrique est indissociable d’une exigence de progrès dans la réalisation du droit à l’alimentation pour tous. Je rappellerai à ce propos le message de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, en juin 2008, à l’occasion de la Conférence de haut niveau de la FAO sur la sécurité alimentaire mondiale, dans lequel il déclarait notamment: “Il faut réaffirmer avec force que la faim et la malnutrition sont inacceptables dans un monde qui, en réalité, dispose de niveaux de production, de ressources et de connaissances suffisantes pour mettre fin à ces drames et à leurs conséquences”.
Ces paroles attestent, s’il en était besoin, de la similitude de vue de l’Église Catholique et de la FAO sur cette question fondamentale. L’Église s’est toujours donnée pour tâche de soulager la misère des plus démunis et la devise de la FAO est “Fiat Panis”: “du pain pour tous”.
Vous soulignez, Très Saint-Père, dans votre dernière encyclique “Caritas Veritate” que toute décision économique a une conséquence de caractère moral. Et c’est bien à ce niveau-là que nous devons nous élever car comme vous l’écrivez, “pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique; non pas d’une éthique quelconque mais d’une éthique amie de la personne”. Léopold Sédar Senghor a dit, permettez-moi de le citer ici: “il faut allumer la lampe de l’esprit pour que ne pourrisse le bois, ne moisisse la chair...”.
La FAO s’efforce avec les moyens qui sont les siens et nonobstant les contraintes ou les obstacles qu’elle peut rencontrer, de mobiliser tous les acteurs et les décideurs pour la lutte contre la faim et de développer des programmes visant à améliorer la sécurité alimentaire, en priorité dans les pays les plus vulnérables.
Ce qui nous anime, c’est le visage de cet homme, de cette femme, de cet enfant qui nous regardent fixement, le ventre vide attendant leur pain quotidien et dont la tristesse et la désespérance hantent nos sommeils agités. C’est le principe de la “centralité de la personne humaine” que vous avez rappelé fort opportunément dans votre encyclique très Saint-Père.
La vision d’un monde libéré de la faim est possible, s’il existe une volonté politique au plus haut niveau. En effet, plusieurs pays en Afrique ont réussi à réduire la faim. Il s’agit notamment du Cameroun, du Congo, de l’Éthiopie, du Ghana, du Nigeria, du Malawi, du Mozambique et de l’Ouganda.
Les grandes forces spirituelles et morales sont pour notre action un soutien inestimable. Car la tâche est en effet colossale et nos capacités d’action ne sont pas toujours à la mesure de la volonté qui nous anime. Nous n’aurons jamais trop de moyens pour satisfaire le “droit à l’alimentation” pour tous.
Je veux aussi rendre hommage à l’action de l’Église sur le terrain à côté des plus pauvres. Les missionnaires, les religieuses et de nombreuses communautés font souvent un travail difficile, parfois ingrat, mais toujours utile aux côtés des organisations intergouvernementales, des ONG et de la société civile. Je veux saluer ces hommes et ces femmes que j’ai vu agir dans de nombreux pays avec discrétion et efficacité.
Je voudrais surtout souligner la convergence des enseignements religieux, notamment ceux de l’Église Catholique et de l’Islam, vers la nécessité de veiller à la gestion rationnelle des ressources sur la base d’une stratégie d’action respectueuse des personnes et des biens de ce monde, loin des excès et du gaspillage. Tous ces enseignements soulignent le rôle fondamental de la responsabilité sociale, recommandant la sollicitude envers les plus démunis. La “doctrine sociale de l’Église” est de ce point de vue un apport essentiel.
Permettez-moi de finir cette intervention en vous citant ce verset coranique: “Lorsque nous voulons détruire une cité, nous ordonnons à ceux qui y vivent dans l’aisance, de se livrer à leur iniquité” (Sourate Al-Isra, Verset 16).