Le branle-bas continue dans le secteur des assurances. Les acteurs se battent entre eux pour tirer le maximum de profits des retombées du secteur pétrolier et gazier, dans le cadre du Contenu local. Alors qu’on n’a pas fini d’épiloguer sur le différend Amsa-Pool pétrolier, les courtiers et assureurs conseils montent au créneau pour avoir leur part du gâteau.
Des enjeux énormes. Des acteurs éparpillés. Des intérêts qui divergent. Dans le secteur du pétrole et du gaz, la guerre de positionnement a déjà commencé au sein des entreprises sénégalaises comme chez les multinationales. Pour le moment, c’est le secteur des assurances qui se montre le plus dans cette bataille épique pour le contrôle du contenu local.
Selon certaines sources, Amsa tient toujours tête au pool qui a été mis en place pour la prise en charge des risques pétroliers et gaziers. Du côté des membres du pool, les assemblées se multiplient. Hier encore, une réunion a été tenue et il en sera de même, le 16 courant. A en croire nos interlocuteurs, la plupart des responsables des grandes compagnies ont été présents à la rencontre, sauf les patrons d’Amsa qui se sont faits représenter.
Ainsi, la structure, dont les mérites sont vantés, depuis fin 2018, a toujours du mal à prendre son envol.
Le litige remonte à la fin de l’année dernière. Pendant que la plupart des compagnies se mettaient d’accord pour constituer le pool, Amsa se montrait moins enchantée par l’initiative. Jusqu’à hier, elle tarde à apposer sa signature. Longtemps accusée de sabotage, la compagnie a récemment publié un communiqué dans lequel elle dégageait en touche les récriminations faites à son encontre. Amsa portait en même temps ses griefs à la connaissance du public. Elle avait demandé, en son temps, aux membres du pool, un certain nombre de prérequis : l’estimation du chiffre d’affaires potentiel ainsi que des flux futurs, l’établissement d’un business plan, l’étude d’impact sur les fonds propres des compagnies d’assurance, entre autres. En outre, renchérissait la compagnie d’assurance : ‘’Les membres du pool doivent être constitués exclusivement par les compagnies agréées pour les branches 1 à 18 de l’article 328 du Code de la Cima, à l’exception des compagnies spécialisées dans les branches 2 (maladie), 14 (crédit) et 15 (caution).’’
D’après toujours Amsa, les sociétés spécialisées dans les branches 20 à 23 (assurance vie) n’ont pas vocation à couvrir des risques pétroliers. Enfin, Amsa assurance disait soumettre sa participation au pool à la modification des statuts et la révision des modalités de gestion. Et d’affirmer : ‘’Dans la forme, la création d’un pool n’est possible que si l’ensemble des acteurs sont d’accord. Pour l’instant, le pool n’existe pas. Le tapage médiatique et l’instrumentalisation de l’opinion ne sont que des esquives aux débats sains dans une profession qui n’a pas besoin de bruit’’, écrivait-on.
Mais, à en croire nos sources, tous ces aspects ont fait l’objet de discussions sérieuses entre les protagonistes. Et une solution est en voie d’être finalisée. A ceux qui estiment qu’Amsa a eu à signer un contrat de connivence avec des opérateurs, ce membre du pool montre son étonnement et en demande des preuves.
En tout état de cause, après plusieurs mois, ce litige reste toujours latent, malgré les promesses de sa résolution.
Le problème des courtiers et assureurs
Et comme pour ne rien arranger, l’expert pétrolier Ibrahima Bachir Dramé, accroché à l’occasion des concertations sur le Contenu local, souligne un autre branle-bas, toujours dans le secteur complexe des assurances. Il relève, en effet, qu’à côté de la guerre Amsa-Pool pétrolier, il y a le problème des courtiers et assureurs conseils qui n’ont pas été pris en compte par la loi sur le Contenu local. Le spécialiste explique : ‘’Vous avez dû constater que, dans le secteur des assurances, des problèmes ont commencé à se poser. En fait, la loi prévoit l’assurance proprement dit, mais oublie des sous-secteurs comme les intermédiaires (courtiers d’assurance) et les assureurs conseils. Ces catégories, juridiquement, n’ont pas été prises en compte. Tout ça risque de compliquer la tâche et soulève déjà des appréhensions chez les acteurs.’’ De l’avis de M. Dramé, les gens devraient comprendre qu’ils sont dans l’urgence. Car les multinationales, constate-t-il, ‘’ont déjà commencé à se déployer dans les zones de production et d’exploration’’.
Par ailleurs, informe le consultant international, l’urgence, pour tout le secteur privé local, serait de se mettre à niveau des exigences du secteur. ‘’L’urgence, souligne-t-il, est la capacitation et la formation. En vérité, le Contenu local est une loi qui dit qu’à défaut d’une expertise nationale, d’un bien ou service national, les opérateurs peuvent faire appel à l’expertise, aux biens ou services étrangers. J’espère qu’ils auront l’intelligence de taire leurs querelles et d’essayer de se mettre ensemble’’.
Pour lui, c’est tout l’enjeu du Contenu local qui devrait permettre au Sénégal de tirer pleinement forme des ressources pétrolières et gazières.
PAPA DEMBA THIAM, CONSEILLER
‘’Vous ne pouvez pas atomiser ce secteur et lui donner des économies d’échelle’’
Ancien responsable à la Commission européenne, ancien administrateur principal et économiste en chef du Club du Sahel pour la compétitivité à l’Ocde, celui qui a introduit le développement industriel à la Banque mondiale est rentré au bercail, sept ans avant la retraite, pendant que ses jambes le portent encore, pour espérer, comme il le dit, semer l’espoir dans la jeunesse. Au service du ministère en charge du Pétrole, il dissèque les enjeux du Contenu local. C’était en marge des concertations autour des hydrocarbures.
Concrètement, que peut attendre le secteur privé de cette loi sur le Contenu local ?
Le secteur privé peut attendre beaucoup de choses de cette loi. D’abord, il est appelé à participer aux activités qui peuvent naitre dans les différentes chaines de valeur, les chaines d’approvisionnement ou logistiques qui tournent autour du secteur pétrolier et gazier. Ensuite, il faut surtout savoir que, dès l’instant que l’on initie des programmes d’infrastructures, ces infrastructures peuvent avoir des effets de rayonnement sur d’autres secteurs. L’idée est de prendre le prétexte de ce développement du secteur des hydrocarbures pour soutenir d’autres activités.
Par exemple, moi, je rêve de lancer un programme de 500 mille emplois dans le domaine de l’aquaculture et c’est bien possible. Dans le passé, nous avons eu à participer à des programmes de ce genre sur l’Equateur. Les plateformes d’infrastructures qui vont être créées peuvent servir par extension à développer des effets de diffusion et de propagation sur d’autres activités. Il s’agira de créer des sortes de toiles d’araignée qui sont des centres de croissance qui se juxtaposent. Tout cela offrira énormément d’opportunités pour le secteur privé qui doit aussi mutualiser ses approches, ses forces pour en bénéficier pleinement. Vous ne pouvez pas atomiser ce secteur et lui donner des économies d’échelle.
Il faut donc que le secteur privé s’organise. Qu’il soit prêt à saisir les opportunités qui vont être créées.
Pensez-vous que le Sénégal a un secteur privé national capable de faire face aux exigences du secteur des hydrocarbures ?
Absolument ! Le secteur privé est une entité dynamique. Il se formate en fonction des opportunités qui lui sont présentées. Ce que nous sommes en train de faire, c’est surtout d’aider la puissance publique à créer plus d’opportunités par le développement de chaines de valeur qui convergent dans l’espace. Cette capillarité de chaines de valeur va multiplier les opportunités pour le secteur privé.
Mais si le secteur privé n’est pas capable d’auto-formatage et d’ajustement dynamique, il est clair qu’il sera laissé en rade. Ils peuvent néanmoins demander à l’Etat de les aider à se former, à comprendre les opportunités et à en profiter.
Pour certains, le Contenu local doit profiter essentiellement aux entreprises contrôlées par des Sénégalais. Quel est votre avis sur ce débat ?
Moi, vous ne m’entendez parler ni d’entreprises nationales ni d’entreprises étrangères. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il y ait de plus en plus de flux économiques qui soient autocentrés dans notre pays. C’est-à-dire que la densité des flux économiques internes à notre espace économique soit supérieure, de loin, à celle des flux externes. C'est-à-dire qu’on rompt le régime de l’extraversion et de la vulnérabilité verticale. Et pour cela, il faut arriver à irriguer l’espace économique d’une densité de flux économiques. Lesquelles irrigueront l’espace en opportunités économiques. Celles-ci ne sont pas exclusivement pour les entreprises nationales. Il faut tenir compte du fait que nous sommes des membres de l’Omc. Nous ne pouvons pas dire que nous allons participer au jeu international et fermer la porte aux autres. Ce n’est ni acceptable ni correct. Par contre, si nous voulons que notre secteur privé, nos entreprises informelles puissent ‘’compétir’’ avec les autres, on ne peut pas les jeter dans la mer avec des embarcations, quand les autres ont des bateaux. C’est de la responsabilité de l’Etat de les organiser dans ce sens et de les accompagner.
Que doit-on entendre par entreprise sénégalaise, à votre avis ?
Pour moi, une entreprise sénégalaise est une entreprise de droit sénégalais. Je ne peux pas réinventer le droit.
Est-ce une entreprise simplement créée au Sénégal ou contrôlée par des capitaux sénégalais ?
Pour moi, il faut éviter ce genre de problématique. Ce qui est important, c’est l’équité. Que quand les gens travaillent, que chacun puisse trouver les moyens de tirer parti de ses investissements. Il faut donc essayer de trouver l’équilibre. C’est pourquoi mon cheval de bataille, c’est plus le partenariat stratégique sur les chaines de valeur. Si nous créons des opportunités de mutualisation d’intérêts et de partenariats stratégiques, ce sont les entreprises étrangères qui auront envie d’entreprises nationales fortes avec lesquelles coopérer.
Certains craignent que la mise en œuvre de la loi sur le contenu local puisse se heurter aux droits acquis par les opérateurs, du fait de leur contrat…
Je ne vois pas en quoi les contrats signés puissent obstruer sur la mise en œuvre de la loi sur le Contenu local. J’ai beau regarder, mais je ne le vois pas. Mais là n’est pas mon débat à moi. Ce que je sais faire moi, c’est utiliser la quintessence des ressources que nous avons et voir comment on peut les transformer, en vue de générer d’autres activités qui puissent profiter au plus grand nombre.
Quels sont les secteurs sur lesquels le privé sénégalais devrait s’appesantir pour profiter pleinement de l’industrie pétrolière et gazière ?
A toutes les étapes, le secteur privé a son rôle à jouer dans tout ce qui touche à la chaine de maitrise des opérations pétrolières comme gazières. Mais on a surtout toutes les activités qui peuvent procéder d’effets de diffusion, d’externalité, c’est-à-dire d’opportunités économiques, parce qu’une infrastructure existe.
Par exemple, si vous créez une route pour transporter du pétrole, cette route peut aussi transporter des bananes. Si vous avez des activités, vous avez n’importe quelle activité, il faut voir quels sont les effets de propagation de cette activité. C’est sur ce travail d’ingénierie économique, technique et financière que nous allons nous pencher pour voir les grappes de convergences économiques intégrées pour soutenir un développement industriel du Sénégal.