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Vente de mauvaises semences d’oignon dans la zone des Niayes - Les graines de la désillusion
Publié le vendredi 12 juillet 2019  |  Enquête Plus
7000
© Autre presse par Dr
7000 tonnes d`oignon sur le marché
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Les agriculteurs de la zone des Niayes sont dans la tourmente. Pour cause, la vente de mauvaises semences d’oignon pour la campagne d’été leur a causé d’énormes préjudices. En moins de deux mois, ils ont vu tous leurs investissements réduits au néant. Ainsi, si certains ont choisi d’élever la voix pour réclamer des indemnisations, d’autres remettent tout aux mains de Dieu et se réfugient derrière la prière, en espérant une solution divine.



Des champs d’oignon étendus jusqu’au seuil des maisons bâties en dur sur des dunes de sable. L’air frais et la brise marine offrent un climat doux et clément. L’ambiance est calme. Des vieux en habits traditionnels se rendent à la prière du vendredi. Bienvenue au village de Ndeugou, au cœur du Gandiol. Pour s’y rendre, on emprunte une route toute neuve qui dessert l’axe Saint-Louis – Louga, en passant par ces différents villages dont l’activité principale des populations est le maraichage, plus particulièrement la culture de l’oignon.

Tout au long de la route, on aperçoit, presqu’à chaque km, un parc à oignon rempli. D’ailleurs, chaque village possède son hangar. Commerçants et agriculteurs sont assis sur des nattes étalés sur les bandes de sable qui caractérisent le relief du sol de cette partie de la zone des Niayes. Vu ces parcs remplis de cette légume, l’on pourrait croire que les agriculteurs de la zone se frottent les mains et ne se plaignent pas. Pourtant, à travers leurs visages, se lisent crainte et désespoir.

En effet, les agriculteurs ont acquis de mauvaises semences. Ainsi, tous ces champs d’oignon étendus à perte de vue sont abandonnés par leurs propriétaires, car, après des mois de cultures, la croissance des plantes n’évolue pas. Les rumeurs sur les causes d’un tel problème fusent de partout. Certains évoquent une confusion sur les semences qui ne sont pas appropriés pour la saison. D’autres parlent de graines contrefaites ou encore d’une simple volonté de nuire aux agriculteurs. Quoiqu’il en soit, la campagne est déjà catastrophique.

Les producteurs se sont procurés ces semences auprès d’une grande distributrice basée à Potou dans la commune de Leona. Elle se nomme Bineta et travaille avec la société Tropicasem. Elle a même acquis une réputation respectable, grâce à la qualité de ses semences que les agriculteurs ont baptisées de son nom. Dans la zone, les semences ‘‘Bineta’’ animent toutes les discussions, à cause de ses nombreuses victimes. Parmi eux, Ahmet Sow, un agriculteur du village de Ndeugou. Il nous dénombre ses pertes. ‘‘J’ai acheté 3 pots à 22 000 FCFA l’unité pour faire mes pépinières et deux mois après, j’ai pris des ‘’sourga’’ (saisonniers) pour planter 14 parcelles. Mais à peine un mois après la plantation, les oignons ont commencé à pommer et les feuilles à tomber. Ce qui est anormal car ce processus devait prendre trois mois. Grâce à mon expérience de plus de 30 ans dans le secteur, je me suis aussitôt rendu compte que c’était dû aux semences. Je n’avais d’autres solutions que d’abandonner les parcelles, malgré toutes mes dépenses’’, explique-t-il avec amertume.

A l’instar d’Ameth Sow, les semences Bineta ont fait plusieurs victimes, car au moment de leur distribution, il y avait une rupture des autres types de semence que les agriculteurs avaient habitude d’utiliser. Ainsi, ils ont presque tous acheté les mêmes types de semences pour la seconde récolte d’été. Bodiel Ba, conseillère municipale, son mari et son fils sont des grands producteurs d’oignon. Et comme la plupart des habitants du village, ils sont victimes des graines de Bineta. ‘’Nous avons acheté 4 pots et engagé deux saisonniers pour la campagne. On a aussi dépensé beaucoup d’argent pour le désherbage, l’installation des gouttes à gouttes et le payement des saisonniers. Malgré tous ces efforts, on a tout perdu. C’est très difficile, car toute l’économie de la zone tourne autour de l’agriculture. C’est encore plus difficile parce que ça a coïncidé avec la fin de la campagne. C’est bientôt l’hivernage et les gens ne pourront plus semer les oignons. En tant que conseillère municipale, j’ai interpellé le maire pour aider les populations à être indemnisées. Il nous a conseillé de garder nos factures d’achat d’oignon. Il va intervenir auprès du distributeur’’, renseigne-t-elle.

A Ricotte, une perte de 668 millions de franc CFA déjà enregistrée

Avant Ndeugou, nous sommes passé par le village de Ricotte plus enclavé, situé de l’autre côté de la route, pour recueillir l’avis des agriculteurs. En cette matinée de vendredi, les habitants vaquent tranquillement à leurs occupations. Un groupe de jeunes est assis sur des bancs posés sous un toit en paille. Trois autres jeunes installés sur une natte étalée à même le sol, au seuil de l’une des boutiques du village, s’occupent à faire du thé. Sur cette place appelée ‘’garage’’, qui se situe au milieu du village, presque toutes les discussions portent sur les mauvaises semences distribuées pour la campagne de culture d’oignon.

Pour en parler, on nous propose d’aller d’abord voir Alioune Yacine Sow, le conseiller municipal du village, par ailleurs président de la commission agricole de la mairie. Contacté, il nous donne rendez-vous au toit où sont assis les jeunes. Cet espace semble faire office de lieu de palabre pour les villageois. Après quelques minutes d’attente, le voici arrivé sur une moto ‘’Jarkarta’’. Il est vêtu d’un caftan basin beige claire, un bonnet noir bien posé sur la tête assorti d’une écharpe autour du cou. Après les salutations, le notable s’occupe d’abord à inviter les jeunes qui étaient assis à côté à rejoindre la mosquée pour une séance de récital de Coran organisée par le village à l’occasion de ce premier vendredi suivant le mois saint de ramadan. ‘’Je vous rejoins après mon entretien’’, leur lance-t-il. ‘’Tu as vu, les jeunes n’ont plus d’occupations. Tous les champs d’oignon sont abandonnés, à cause des mauvaises semences’’, indique-t-il, en prenant place sur une natte dressée à même le sol.

Pour parler de la campagne avortée de la culture d’ognon, l’agriculteur entame des estimations des pertes déjà subies. Il indique que, dans la localité, une perte de 668 millions de franc CFA a déjà été enregistrée. En effet, 334 pots de 500g de semences d’oignon de la marque de la société Tropicasem, à raison de 25 000 franc CFA l’unité, ont été achetés et semés. Pour une telle quantité de semences, les agriculteurs espéraient produire jusqu’à 2672 T d’oignon. Malheureusement, tout est parti en fumée, à cause des mauvaises semences.

En effet, après deux mois de culture, les parcelles d’oignon ont commencé à faner, malgré qu’elles aient été arrosées régulièrement et en quantité suffisante. Les agricultures ont noté aussi une absence de croissance des plants dont les oignons rabougrissent. Un phénomène qui s’explique, selon les agriculteurs, par les mauvaises semences. ‘’Cette campagne est une vraie catastrophe. Les pertes sont énormes. On appelle la société civile et les organisations des droits de l’homme pour nous venir en aide. L’Etat a envoyé une délégation qui malheureusement n’a rien fait, à part constater les dégâts. L’inspecteur départemental de l’agriculture de Saint-Louis a tenu une réunion avec les agriculteurs sur la situation. Ensuite, il y a eu une visite de terrain de la commission agricole de Saint-Louis accompagnée par le préfet, le maire de Ndiébene Gandiol, mais, depuis lors, ni l’Etat ni le fournisseur n’ont réagi’’, informe, Aliou Yacine Sow.

En attendant d’éventuelles réactions des autorités, les agriculteurs de Ricotte s’en remettent à Dieu et prient pour surmonter la situation. C’est d’ailleurs, dans ce sens que le village organise une séance de prières et de récital de Coran pour peut-être implorer une solution divine.

Le poids de la dette hante le sommeil des agriculteurs

Dans toute la zone des Niayes, l’agriculture, plus particulièrement celle d’oignon, est la principale occupation des populations. Ainsi, pour les grandes saisons de production, les agriculteurs font des prêts bancaires pour l’achat de semences et d’intrants. Pour cette campagne avortée à cause de mauvaises semences, les agriculteurs sont très stressés quant au remboursement de la dette. Pour cela, Ameth Sow et ses camarades ont perdu le sommeil. Ils craignent d’être traînés en justice par leurs créanciers, faute d’honorer leur dette. Mama Ka, agriculteur, est aussi dans cette situation. Après avoir observé tous ses investissements partir en fumée, ses principaux soucis restent la dette qu’il doit à sa banque. ‘’J’ai acheté 5 pots à 22 000 Fcfa l’unité. Comme tout le monde, tout est perdu. Ma seule préoccupation, aujourd’hui, c’est la dette que je dois à la banque. Je ne sais pas quelle sera son attitude. Va-t-elle nous prolonger les délais jusqu’à la saison prochaine ou non ? On ne sait pas. C’est pourquoi, je n’arrive plus à dormir’’, se lamente-t-il.

A l’image d’Ameth Sow et Mama, tous les agriculteurs espèrent des indemnités de l’entreprise productrice des semences pour pouvoir honorer leurs dettes auprès des banques. Pour cela, ils sollicitent le soutien de l’Etat pour obtenir gain de cause. ‘’Nous sommes à bout, on ne peut plus résister. On a des prêts bancaires qu’il faut payer, sans compter les dettes qu’on doit aux boutiquiers de quartier et certains magasins. 90% des semences sont mauvaises. L’Etat doit nous venir en aide et exiger des distributeurs une indemnisation’’, lance Oumar Ba, père de famille.

ABBA BA
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