La Zone de libre-échange continentale (ZLEC), dont l’objectif final est de booster l’économie africaine en s’appuyant essentiellement sur l’industrialisation et la libéralisation, est un « pari risqué » pour les pays signataires de l’accord puisque « de nombreux préalables n’ont pas été posés », a soutenu l’économiste sénégalais, Ndongo Samba Sylla, dans un entretien exclusif avec l’Agence de presse africaine (APANEWS).
« Les pays africains auraient dû passer en revue la théorie économique, regarder les faits historiques et situer tout cela par rapport aux caractéristiques du continent », a déclaré M. Sylla, par ailleurs chargé de programme et de recherche au bureau Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxembourg.
M. Sylla a regretté que les pays africains se soient lancés dans le libre-échange sans avoir une monnaie de commerce alors qu’une unité de compte (différente de la monnaie unique) aurait servi dans les transactions pour se libérer de la dépendance vis-à-vis du dollar.
Convaincu que les barrières tarifaires et non tarifaires ne constituent pas le principal obstacle au commerce intra-africain, cet économiste a plutôt pointé du doigt le déficit d’intégration dans le domaine infrastructurel.
D’après une étude du Fonds monétaire international (FMI), le développement des infrastructures en Afrique a quatre fois plus d’impact que le démantèlement des barrières commerciales.
Ndongo Samba Sylla, tout en qualifiant la ZLEC de projet « afro-libéral », a relevé qu’avec cette zone de libre-échange, les pays africains vont dissoudre leurs instruments de politique économique au profit des « forces aveugles du marché ».
Selon lui, « la conséquence » réside dans le fait « qu’on se retrouvera avec des Etats dénationalisés au plan économique, incapables d’utiliser les tarifs douaniers pour protéger certains secteurs et dépourvus de politique monétaire autonome parce qu’étant dans une zone monétaire où ils ne décident de rien ».
Autant de considérations qui poussent M. Sylla à soutenir que « ce qui se dit au sein de la Zone de libre-échange continentale relève simplement de la propagande ». Partant de là, le co-auteur de l’ouvrage « L'arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA », a dit craindre que la ZLEC ne renforce davantage la présence des multinationales sur le continent africain « car elles contrôlent déjà les secteurs clés ».
Dans son argumentaire, le Chargé de programme et de recherche au bureau Afrique de l’Ouest de la Fondation Rosa Luxembourg a souligné que « ce sont les pays déjà industrialisés qui font du libre-échange ».
En effet, a-t-il rappelé, « tous les pays qui se sont développés, l’ont été grâce au protectionnisme. Ce n’est qu’après leur industrialisation, qu’ils se sont mis à vanter les mérites du libre-échange. Et même après cela, ils continuent à dresser des barrières protectionnistes pour certains secteurs clés ».
Par ailleurs, Ndongo Samba Sylla a battu en brèche le discours des chefs d’Etat africains pour qui, la ZLEC est la matérialisation de la vision panafricaniste de l’unité africaine. A son avis, il s’agit là d' « une distorsion majeure ».
« L’idée de base du panafricanisme, c’est que l’intégration politique est le point de départ de l’intégration économique. Quant aux afro-libéraux, ils disent +intégrons-nous à travers les marchés et l’unité politique viendra après + », a-t-il précisé.
En outre, M. Sylla a indiqué que les pères fondateurs de l’Union Africaine (UA) misaient sur « l’unité politique avant celle économique ». Toutefois, cette approche suppose, d’après lui, qu’on ait « une armée continentale ou au minimum régionale, un ministère des Affaires étrangères commun, une politique commune de vente des matières premières. Ces mesures élimineraient la concurrence entre les Etats et favoriseraient l’industrialisation à l’échelle continentale ».
La Zone de libre-échange continentale (ZLEC) a été symboliquement lancée le 7 juillet dernier à Niamey (Niger) par les chefs d’Etat de l’Union Africaine. Pour l’heure, l’Érythrée est le seul pays du continent à n’avoir pas signé l’accord portant sur sa création.