En dépit de la modernité, le cure-dent demeure toujours un des accessoires du look des Sénégalais. Les femmes, surtout, ont l’habitude d’ajouter à leurs toilettes un bâtonnet coincé dans la bouche et dont elles se servent de temps en temps pour se brosser énergiquement les dents.
Le manège est pratiqué partout : à la maison quand elles s’occupent des travaux quotidiens, en pleine conversation, en ballade dans la rue ou en voyage dans les transports en commun.
Outre le complément qu’il confère à l’esthétique et qui fait que même des jeunes filles se mettent au cure-dent, l’usage de ce dernier aurait des vertus thérapeutiques et religieuses, selon ses nombreux usagers qui donnent là sans doute les raisons de la résistance du cure-dent à l’épreuve du temps.
Vendeuse de cure-dents au marché central Rufisque (15 km de Dakar), Khadiatou Sow, 50 ans, est intarissable sur les vertus curatives de son commerce. Elle vend plusieurs variétés de cure-dents et elle se montre dithyrambique à l’endroit de certains de ses produits comme celui tiré de la plante dénommé « den gi dëk ». «Ce type de cure-dent, assure-t-elle, aide à prévenir et à soigner les saignements de la gencive. Il soigne aussi l’hémorroïde et les maux de ventre».
Habitué à en acheter auprès de Khadiatou pour 500 FCFA le bâtonnet, Pape Diéye fait plus que confirmer les affirmations de son fournisseur : « je saignais abondamment de la gencive, mais depuis que j’ai commencé à utiliser le +den gi dëk+ le mal s’est arrêté ». Bénissant presque sa trouvaille, Pape ajoute : « je conseille à tous les diabétiques de se curer avec. Depuis cinq ans je n’ai pas utilisé de brosse à dent encore moins de dentifrice et je n’ai plus de maux de dent».
En plus de ses vertus thérapeutiques, le cure-dent serait même un talisman, à en croire Khadiatou. Brandissant un bâtonnet dénommé « matou kéwél » vendu 100 FCFA la pièce, elle affirme que la tradition enseigne que le fait de s’en frotter les dents, le matin au réveil, vous protège durant toute la journée des « mauvaises langues ».
S’il est difficile de vérifier ces affirmations de la vendeuse, il reste que son marketing doit beaucoup séduire ses clients pour que son commerce soit florissant. Si florissant que Khadiatou Sow s’est rendue en pèlerinage à la Mecque et parvient à payer les études de ses fils dont l’un d’eux est maintenant cardiologue.
Khadiatou qui ne parle pas de retraite se félicite plus que jamais de son commerce, activité qui la pousse chaque matin à acheter à 2500 FCFA le kilogramme plusieurs variétés de cure-dents pour les écouler, suivant leurs vertus et leur disponibilité sur le marché, entre 500, 100, 50 et 25 FCFA le bâtonnet.
Spécialisé lui aussi dans la vente de cure-dents, Tidiane Kane a l’habitude d’aller à la rencontre des clients, ses produits en main. Le jeune homme fréquente les arrêts de bus tout comme il n’hésite pas à profiter des fréquents embouteillages sur la Nationale à Rufisque --sortie et entrée de Dakar-- pour se faufiler entre les véhicules et proposer sa marchandise aux voyageurs et aux chauffeurs.
Cela fait cinq ans qu’il a troqué la vente de friperie contre celle des cure-dents, mais il ne le regrette pas. «Vraiment Dieu merci, avec cette vente de cure-dents je nourris ma famille et je subviens à tous mes besoins », indique Tidiane qui confie que lorsqu’il dépense 2000 FCFA dans l’achat des bâtonnets il peut réaliser, après vente, un bénéfice de 2500 FCFA.
Tout comme Khadiatou, Tidiane vend plusieurs variétés de cure-dents, allant du « den gi dëk » au « matou kéwèl », en passant par le « neb-neb », le « daxar » (tamarin), le « rénu gaaw », le «guro » et le « xabatu sowda ».
Sauf ce cure-dent dont un maître coranique soutient que le Prophète Mouhammad (PSL) recommande aux musulmans de l’utiliser si possible avant chaque ablution, la plupart des bâtonnets vendus à Dakar proviennent de plantes peuplant les forêts de l’intérieur du pays. Tidiane et ses collègues s’en procurent auprès de grossistes, alimentés par des spécialistes des plantes.
Cependant, aussi vertueux que soit aux yeux des Sénégalais le cure-dent, le Dr George Diatta, chirurgien-dentiste, lui préfère la brosse à dent, au motif qu’il ne peut pas nettoyer les espaces inter dentaires, lieu où se cachent les restes alimentaires qui sont à l’origine des caries dentaires.
« Le cure-dent, souligne-t-il, n’a qu’une action mécanique de nettoyer la surface dentaire, mais à défaut de la brosse on peut l’utiliser. C’est bien de se curer les dents, toutefois le brossage après chaque repas est mieux».