2000 à 2500 langues sont identifiées en Afrique sur 7000 à travers le monde. Une langue meurt, toutes les deux semaines. Hier s’est ouvert à Dakar un séminaire régional sur le renforcement des politiques d’aménagements linguistiques dans l’espace francophone du sud. Une initiative de l’OIF qui vise à placer la langue au cœur du développement.
Depuis 60 ans, des politiques d’aménagement linguistique sont menées par les Etats francophones du sud sans succès. Le linguiste et professeur à l’université Omar Bongo de Libreville, Patrick Mouguiama Daouda, trouve même que les décideurs ont accompagné pendant 60 ans l’érosion de la diversité linguistique. Il l’a fait savoir hier au cours du séminaire régional pour le renforcement des politiques d’aménagement linguistique dans l’espace francophone du sud. Il est organisé par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) à Dakar, depuis hier, et se poursuit jusqu’à vendredi.
L’institution regroupant les pays ayant en partage la langue française a compris qu’il faut changer d’approche dans l’élaboration des politiques d’aménagement linguistique. Il faudrait que les Etats comprennent que la langue est élément culturel et un élément de développement. Aujourd’hui, Patrick Daouda propose un ‘’programme alternatif’’ qui devrait permettre de faire de la langue un enjeu de développement. Il devrait être axé autour de quatre points. Parmi ces derniers, M. Daouda identifie l’implication des langues nationales dans l’intégration régionale. ‘’Il est acquis que l’Afrique ne se développera pas sans passer par l’intégration régionale. On n’a pas oublié les langues transfrontalières, alors qu’elles ont un rôle à jouer’’, explique M. Daouda.
Cette proposition n’est pas nouvelle. Elle figure dans les programmes classiques. Seulement, elle n’est pas bien prise en compte dans la mise en œuvre de ces derniers. Un autre point essentiel à prendre en compte dans la conception d’une bonne politique linguistique est l’aménagement du territoire. ‘’Lorsque les villages disparaissent, les langues et les cultures disparaissent. Donc, il faut absolument intégrer la langue dans les politiques nationales d’aménagement du territoire. Les gens fuient les villages, parce que les conditions ne sont pas réunies pour y vivre décemment. Les langues se maintiennent, parce qu’elles sont transmises dans les familles. On crée toutes les conditions pour faire disparaitre nos villages’’, analyse-t-il.
Le troisième point tourne autour du rapport en la culture, les langues et l’environnement. ‘’Les principes biologiques en Afrique sont très importants et sont encodés dans les langues. Il y a très peu de travail fait dans ce sens’’, regrette Patrick Daouda. Toujours selon Patrick Mouguiama Daouda, le rôle des femmes est important dans le maintien du plurilinguisme. Ce sont elles qui quittent leurs villages pour aller dans d’autres rejoindre leurs époux. Ainsi, souvent, ‘’la langue maternelle n’est pas toujours la langue de la mère’’, selon M Daouda. En effet, pour son intégration, quand la femme rejoint le domicile conjugal, elle apprend la langue du mari.
Les femmes donc sont plus plurilingues que les hommes. Quand elles transmettent les langues, elles transmettent leur plurilinguisme, pense M. Daouda. En effet, elles peuvent après apprendre à leurs enfants leur langue et celle acquise dans le foyer conjugal. Ses propositions découlent d’une analyse faite sur les politiques et programmes déployés avant, pendant et après la déclaration d’Harare en 1997.
Cette recette proposée par Patrick Daouda pourrait permettre aux Etats de répondre à l’appel à manifestation d’intérêt fait par l’OIF, il y a deux ans. ‘’Nous avions reçu quatre candidatures. On s’est dit que les Etats ne comprennent peut-être pas. Pour le développement, il est important d’avoir des politiques linguistiques’’, a rappelé la directrice de la langue française, culture et diversités à l’OIF, Youma Fall qui modérait le premier panel du séminaire, hier. C’est pourquoi cette rencontre régionale a été organisée.
Une langue meurt toutes les semaines
Patrick Daouda n’a, cependant, pas qu’expliqué ce que doit être une politique linguistique. Il a attiré l’attention des représentants des Etats sur l’importance du plurilinguisme. 2000 à 2500 langues sont identifiées en Afrique sur 7000 à travers le monde. Il est indiqué qu’une langue meurt, toutes les deux semaines. Au rythme où vont les choses en Afrique, si rien n’est fait on risque de faire à une grave érosion de la diversité linguistique. ‘’Les politiques linguistiques ne font pas de place aux petites langues’’, se désole M. Daouda.
On perd des éléments de culture, du patrimoine matériel et immatériel avec la disparition des langues. Il a cité l’exemple de certaines langues des peuples pygmées. Ces derniers sont détenteurs de beaucoup de secrets sur la nature, surtout dans le domaine de la santé. Ils savent, par exemple, comment soigner un fibrome avec des plantes. Mais quand les villages disparaissent, les langues avec, ces connaissances ne restent pas.