Au Sénégal, une enquête menée par la BBC et diffusée le 2 juin dernier remet en question les conditions d’attribution de deux champs gaziers offshore à la multinationale BP. Un scandale d’Etat qui pourrait n’être qu’une habile manœuvre d’une opposition peinant à reprendre des couleurs.
Depuis dix jours, le Sénégal est en ébullition. La BBC a diffusé le dimanche 2 juin un reportage au sujet d’un contrat en eaux troubles relatif à des concessions d’hydrocarbures offshores. Selon la BBC, la compagnie pétrolière britannique BP aurait racheté les concessions à un homme d’affaires roumano-australien, Frank Timis, pour 250 millions de dollars et promis une redevance comprise entre 9 et 12 milliards de dollars sur une période de 40 ans. Toujours selon la BBC, avec un salaire de 25 000 dollars mensuels, Aliou Sall, le frère du président Macky Sall, aurait été l’un des bénéficiaires indirects de ce contrat. Une affaire qui sent le soufre dans un pays qui s’est pourtant distingué ces dernières années par sa lutte anti-corruption. Qu’en est-il exactement ?
Quand l’ancien pouvoir fait porter le chapeau de ses propres fautes
Tous les éléments d’un scandale d’Etat sont présents. La BBC n’hésite pas à porter des accusations graves au sujet d’un contrat de concessions pétrolières et gazières situées au large des côtes sénégalaises. Un contrat remporté par la firme Petro-Tim, une toute nouvelle société créée par l’homme d’affaires Franck Timis. Une société qui selon l’ancien Premier ministre sénégalais Abdoul Mbaye « n’aurait jamais dû bénéficier de ces permis car elle n’avait aucune expérience dans ce domaine ». Et lorsqu’on connaît les enjeux et les besoins techniques qu’un tel accord suscite, cette inexpérience est pour le moins troublante.
La BBC tient son scoop… à moins qu’elle ne se soit fait rouler dans la farine depuis le début. D’abord, car le ministre de la Justice lui-même n’a pas manqué de réagir et de saisir le Procureur général de la cour d’appel de Dakar pour ouvrir une enquête, le procureur déclarant vouloir faire toute la lumière sur l’affaire : « Je voudrais inviter tous ceux qui détiennent des informations, des documents, des renseignements, à s’adresser à la Division des investigations criminelles pour éclairer les Sénégalais sur cette question ». Ensuite, car le reportage donne la parole à deux personnalités pour le moins controversées : Abdoul Mbaye – déjà cité ci-dessus – et le député de l’opposition Mamadou Lamine Diallo. Deux hommes politiques qui se disent aujourd’hui scandalisés par des pratiques qui ne leur sont pas complètement étrangères.
Abdoul Mbaye est l’un des co-signataires du décret d’attribution des concessions offshores à Franck Timis. Pourquoi avoir co-signé un tel décret si l’entreprise de Timis « n’aurait jamais dû bénéficier de ces permis » ? Mbaye pointe du doigt le pouvoir qui l’a écarté d’affaires juteuses et fait en sorte que les soupçons se portent sur ses successeurs. Un esprit de vengeance ? Quant à la palme du meilleur acteur, elle revient sans conteste à Mamadou Lamine Diallo qui fait mine de tomber des nues lorsque dans le reportage de la BBC, on lui présente les bénéfices que pourrait tirer Franck Timis. Ce même Diallo était déjà à la manœuvre en 1997 en tant que conseiller technique du Premier ministre et président du Conseil général des mines lorsqu’un contrat minier a été attribué – comme par hasard – à la firme de son épouse…
Les anciens serviteurs peu scrupuleux de l’Etat sénégalais jouent du pipeau et la BBC danse sans se poser la moindre question sur le rôle passé et les ambitions actuelles et futures de tous ceux qui crient au scandale. Les journalistes sont-ils à ce point naïfs pour ne pas voir les grosses ficelles d’une manœuvre politique destinée à faire tomber un président populaire, et réélu aisément et démocratiquement en avril dernier pour un second mandat de cinq ans ?
Il semble que les journalistes, trop heureux de soulever un énième scandale de corruption en Afrique, ne soient pas en mesure d’assurer une enquête qui aille au bout des choses et qui mettent à mal les vrais responsables. Une enquête à bien des égards bâclée : Sall n’était pas président au moment du contrat et le Serious Fraud Office britannique n’a pas jugé bon d’enquêter sur BP. Mais une enquête qui permet à certains de se donner bonne conscience !
L’expérience actuelle vécue au Brésil aurait pourtant dû les éclairer. L’ancien président Lula croupit dans les geôles brésiliennes depuis plusieurs mois à cause d’une affaire de corruption portée par un juge devenu entre-temps ministre de Jair Bolsonaro. Une mise au trou pour le moins opportune, alors que la candidature Lula avait de bonnes chances de l’emporter. Une condamnation qui n’a pas été motivée uniquement par le souci de la justice à en croire des révélations récentes.
Une enquête plus sérieuse n’est jamais de trop pour ceux qui prétendent dénoncer à tour de bras la corruption et les injustices.