Après la sortie de Ferdinand Coly, hier dans nos colonnes, on se doutait bien qu’El Hadji Diouf allait réagir. Le double Ballon d’Or sénégalais l’a fait. Sans égratigner son ancien coéquipier «avec qui (il s’est) expliqué par téléphone» mais pour déplorer avec force l’attitude des Sénégalais qui se réjouissent de la prestation des Lions face à la Côte d’Ivoire… après une élimination d’une Coupe du monde. Entretien
El Hadji, la prestation des Lions est fortement appréciée par les Sénégalais en dépit de l’élimination du Mondial 2014. Votre ancien coéquipier Ferdinand Coly dit même qu’ils ont cloué le bec à leurs détracteurs…
Je vais vous surprendre. C’est Ferdinand Coly lui-même qui m’a appelé ce matin (hier) très tôt pour m’informer de l’article. On s’est expliqué sur la question et j’ai compris sa pensée. Moi, je dirai toujours ce que je pense du fonctionnement de notre football. Quoi que l’on puisse dire, aujourd’hui, j’ai raison sur tout le monde et ces tocards de dirigeants. Au lieu de faire la guerre à El Hadji Diouf, il faut essayer de procurer le même plaisir que j’ai donné aux supporters de l’équipe du Sénégal. Quoi qu’on puisse dire, aujourd’hui, j’ai raison sur tout le monde et ces tocards de dirigeants.
Comment appréciez-vous la prestation des Lions contre les Éléphants au Maroc ?
Je savais que le Sénégal ne passerait pas. Les gens sont contents car les Lions ont bien joué. C’est vrai, mais ce que l’on demande à nos joueurs, ce sont des résultats, c’est de gagner. Nos dirigeants ne sont pas à la hauteur d’une nation de haut niveau comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana. Regardez le basket, l’État du Sénégal n’a pas hésité à faire des sanctions, c’est la même chose qu’il faut faire avec nos dirigeants du football. À la fin de la rencontre Sénégal / Côte d’Ivoire, certains dirigeants se sont précipités pour sauver leur peau en soutenant que l’équipe nationale a bien joué. Foutaises ! On devait gagner les barrages pour retourner au Mondial, c’était à notre portée depuis le début. C’est tardivement que l’on a compris que les Ivoiriens n’étaient pas imbattables. L’État du Sénégal a injecté beaucoup d’argent pour accompagner les Lions dans cette avanture, cet argent pouvait servir à nourrir des bouches. Je préfére
mal jouer et gagner plutôt que bien jouer et perdre. Et franchement, s’il y a des gens qui se contentent d’une belle prestation sans jamais rien gagner, ils n’ont rien à faire dans le milieu du football, ce n’est pas leur place. Il faut être compétitif à chaque rencontre et donner du plaisir aux supporters. Le Sénégal en a besoin pour apaiser le climat social, unir les coeurs.
Il paraît que vous rouliez à fond pour les Éléphants de Côte d’Ivoire, que vous souhaitiez l’élimination des Lions ?
La veille du match, des gens ont véhiculé la rumeur comme quoi je soutenais les Éléphants. C’est archifaux et aberrant ! Je suis un patriote et j’aime mon pays plus que tout. Je ne fais que défendre le football de mon pays. C’est vrai que j’ai des fans ivoiriens qui me soutiennent autant que Didier Drogba. De la même manière, des Sénégalais sont fans de Didier Drogba. C’est ça le football. Avant le match Sénégal / Côte d’Ivoire, on m’a imputé des propos négatifs, antipatriotiques et ce n’est pas bien de dire que je roule pour les Ivoiriens. J’aime mon pays plus que tout. Et ça les Sénégalais le savent maintenant ceux qui essayent de ternir mon image, je leur dis que c’est peine perdue.
La prestation des Lions à Casablanca laisse quand même place à l’espoir pour les joutes futures notamment les éliminatoires de la CAN 2015 ?
Le football va très vite. Depuis des années, l’équipe du Sénégal a produit de bons matchs. N’oublions pas une chose : il faut travailler et s’entourer de professionnels pour réussir. Le problème, ce n’est pas l’équipe nationale, ce sont les dirigeants de notre football. Vous m’excusez, mais ce sont des merdiers dans tous les sens. De notre temps en 2002, personne ne croyait en nous, on disait que l’on allait nous laminer à la Coupe du monde. Nous étions un groupe de gagneurs et nous avons fait face à tous les défis. Notre slogan, c’était la gagne. Il y a des gens qui sautent de joie rien que pour la belle prestation des Lions au Maroc mais, qui a empoché les 6 milliards FCFA ? Qui va au Brésil ? C’est la Côte d’Ivoire, qui nous a privés de la CAN 2013. Il faut que les Sénégalais arrêtent de se contenter de miettes.
Vous parlez des dirigeants administratifs du football sénégalais mais n’est-ce pas Alain Giresse, le sélectionneur, le premier responsable ?
Il a essayé combien de joueurs ? Il va encore faire appel à d’autres joueurs. Je ne jugerai jamais une équipe sur la base d’un seul match. Je veux que les gens n’oublient pas ceci : Amara Traoré avait fait un parcours exceptionnel avec les Lions des éliminatoires de la CAN 2012 mais qu’est-ce qui s’est passé par la suite ? C’est le flop à Bata. C’est pourquoi je dis que le football va très vite. Il faut que l’on inculque à l’équipe l’esprit de gagne, rien que cela. Ils ont le potentiel ; c’est tout ce qui manque pour rivaliser avec les grandes nations du football. Dès le début, Giresse disait que la Côte d’Ivoire est une montagne, que c’est une grande équipe ; il a loué les qualités des Éléphants et voilà, les joueurs ont voué un trop plein de respect aux Ivoiriens sur le terrain. Même le président Augustin Senghor s’est plaint ouvertement du comportement des joueurs au match aller, c’est à la fin qu’ils se sont rendu compte que la Côte d’Ivoire n’était pas une montagne. Si on avait dit aux Lions «les Ivoiriens sont prenables, battezles », ils allaient le faire. Il a fallu que tout le monde tape sur la table pour qu’ils se réveillent à la dernière minute. L’esprit de gagne doit être toujours présent et à tous les niveaux. Nous sommes une nation de footballeurs, avec des aînés de référence comme Jules François Bocandé. Lui ne reculait devant rien et n’avait peur de rien.
Beaucoup ont déploré l’absence de Demba Bâ après la kyrielle d’occasions manquées par le Sénégal ?
Si on avait Demba Bâ dans l’équipe, il aurait sans doute fait de bonnes choses. Qui sait ? Il a toujours sa place en équipe nationale. N’oublions pas le match qu’il avait livré contre le Cameroun (1-0, 26 mars 2011, éliminatoires CAN 2012, ndlr). Ce jour-là, il a délivré tout un peuple.C’est un joueur qui peut faire la différence à tout moment et il évolue dans un grand club en Angleterre.
Pour booster les Lions, on a beaucoup rappelé la hargne et la détermination de la génération 2002. Mais, aujourd’hui, aucun joueur de cette époque n’est dans le staff technique de l’équipe nationale. Frustrant non ?
Il y a lobbying fort dans le football qui nous empêche de venir soutenir nos petits frères en équipe nationale. Pour faire de la haute compétition, il faut s’entourer de professionnels, de gens qui ont un vécu, de l’expérience. La génération de 2002 est absente du staff technique, ce n’est pas bien. Le football, ce n’est pas seulement le terrain, ça se passe aussi en dehors du terrain. Prenez le cas de Fadiga (Khalilou), il fait de la consultance pour Al Jazzira, il apporte son expertise à Anderlecht. Et pourtant, on ne l’appelle pas, on ne sollicite pas ses services. Lui, l’ancien Gaucher magique, il peut servir l’équipe nationale. Le Sénégal doit s’entourer de ses anciens grands joueurs qui peuvent apporter leur expérience.