Jadis université d’excellence, l’Ugb a connu, en 2018, une crise qui a laissé de lourdes séquelles. Les conditions sociales y sont devenues difficiles. Cependant, les étudiants ne baissent pas encore les bras. Avec les moyens du bord et la solidarité, les ‘’Sanariens’’ luttent pour sauvegarder le prestige de l’établissement.
L’université Gaston berger se réveille dans un climat clément. En ce lundi 21 janvier 2019, les étudiants vaquent tranquillement à leurs préoccupations. Le quotidien est marqué par les navettes des étudiants entre le campus social et les amphis pédagogiques. Avec ses bâtiments étendus sur de vastes surfaces de terre, à quelque 10 km de Saint-Louis, au village de Sanar, l’université Gaston Berger émerveille ses visiteurs. Ses édifices en forme de G, peints en beige, communément appelés ‘’villages’’, ses vastes jardins verts, ses longues allées reliant les différents logements universitaires aux amphis pédagogiques. Sa tour beige représentant son emblème. Ce temple du savoir, qui symbolise, avec le pont Faidherbe, la ville de Mame Coumba Bang, s’agrandit lentement.
A la cité universitaire, l’atmosphère est rythmée par les travaux dans des chantiers. De la place dite ‘’tour de l’Œuf‘’ au restau 1, en passant par le village A, des ouvriers s’affairent à creuser des canaux de conduite d’eau. Tandis que, de l’autre côté, de nouveaux bâtiments sortent de terre. Les maçons sont à pied d’œuvre pour la construction de ces nouveaux édifices dont les modèles diffèrent de celui des anciens villages. Malgré ce début d’année universitaire mouvementé, le calme et la sérénité règnent sur les lieux.
La cité universitaire change de visage, de jour en jour, avec ses nombreux édifices en construction. Même constat sur l’affluence de ses occupants. Le nombre de nouveaux bacheliers ne cesse d’augmenter. Cependant, malgré ce flux, la ‘’communauté’’, comme ses étudiants s’appellent affectueusement, reste bien soudée. A la tête de ladite communauté, la Coordination des étudiants de Saint-Louis et la commission sociale. Quand ces deux structures prennent des décisions, elles sont respectées à la règle par toute la communauté.
Ainsi, les journées sans tickets, les manifestations et les mots d’ordre de grève font toujours l’unanimité. Pour les méthodes revendicatives, la coordination privilégie les journées sans tickets (Jst) comme stratégie. La grève avec cession de cours et manifestations sur la nationale n°2 est le dernier recours, en cas d’insatisfaction.
Difficiles conditions sociales
Il est 11 h. Les restaurants ont commencé à recevoir du monde pour le repas de la mi-journée. Contrairement à l’Ucad, l’affluence est assez timide devant les portails des deux restaurants universitaires. Pas besoin de faire la queue pour se restaurer. Les plats sont servis par des jeunes dames. Au menu, riz à la viande accompagné de légumes. Les discussions portent sur les problèmes d’hygiène, avec le phénomène des fosses septiques qui déversent jusqu’à l’intérieur des restaus. Une situation devenue insupportable pour tout le monde.
Jadis présentée comme un temple de l’excellence, l’université Gaston berger de Saint-Louis résiste difficile aux crises qui touchent l’enseignement supérieur, ces dernières années. Elle ne fait presque plus rêver comme avant. Elle garde les stigmates de la violente grève de 2018, comme en témoigne les locaux du service médical et le rectorat totalement incendiés. Les nombreuses crises ont laissé leurs empreintes, ici.
Les conditions sociales sont également devenues précaires. En effet, la décision prise, en 2014, par les autorités d’y orienter plusieurs bacheliers sans un accompagnement sur le plan social, a fortement détérioré les conditions de vie dans les villages. La promiscuité, le manque d’eau, l’insuffisance des services de logement, l’absence d’accès à l’Internet sont, entre autres, les problèmes auxquels sont confrontés les ‘’Sanariens’’. Une situation qui aura forcément une répercussion sur le plan pédagogique.
La partition des déléguées de couloir
Toutefois, les étudiants essayent de garder la bonne réputation de l’université, en s’appuyant sur les moyens du bord pour réussir. Ainsi, chez les étudiantes, un concept assez original été mis en place pour faire face à ces problèmes.
En effet, avec la promiscuité et les problèmes d’eau, elles ont délégué, pour chaque couloir de village, une étudiante pour veiller à la propreté et aux respects des règles de bon voisinage. Ces déléguées sont, en quelque sorte, les représentantes des étudiantes auprès des services de logement.
En cas de problème, comme les coupures d’eau, d’électricité ou de défection de matériels comme les lampes des couloirs, elles saisissent les services du Crous pour chercher des solutions. Les dimanches, en l’absence des travailleurs du nettoiement, elles se chargent du nettoyage des toilettes. Tout cela se fait dans le bénévolat.
‘’J’avais constaté un manque de solidarité entre les étudiantes. C’est pour cela que je me suis engagée en tant que déléguée. Nous gérons les villages et s’il y a des manquements dans les services, nous saisissons le Crous. Nous intervenons également dans le règlement des conflits ou des disputes entre étudiantes’’, renseigne Racky Sow, étudiante en Licence 3 en communication, déléguée G3.
Quant à sa camarade Fatou Bitèye, déléguée du G8, elle tient a souligné le problème de l’alimentation pour les étudiantes. ‘’La mauvaise alimentation est notre principal problème. On préférerait que l’on augmente le prix des tickets et qu’on améliore les menus dans les restaus, que de baisser les tickets’’, martèle-t-elle.
Témoignages
MAGAR FALL, AMI DE FALLOU SENE
‘’Au plus profond de moi, j’ai une haine contre cette république’’
Magar Fall était ami à Fallou Sène. La veille de la manifestation lors de laquelle il a péri, ils ont fêté son anniversaire ensemble et ont décidé de participer à la grève, le lendemain. Fallou est tombé au front devant lui. Il sera ensuite le premier à se rendre à Patasse, au village natal de l’étudiant, pour annoncer le décès aux parents. Il nous fait ici le récit de sa cahoteuse journée du 15 mai et la suite.
‘’Fallou était comme un frère. Le 15 mai 2018, on était parti ensemble au front. Je me rappelle, avant le coup, j’ai dit à lui et à son copain Idy : méfiez-vous, le gars va tirer. En ce moment, je voyais les lacrymogènes, mais pas la balle. Au moment où je me suis retourné pour ramasser une pierre, Fallou est tombé devant moi. Il a aussitôt essayé de se lever, mais c’était impossible. Il était touché. Djiby Sèye, Idy et moi-même l’avons transporté au centre médical.
Quand nous sommes arrivés sur place, les agents nous ont très mal accueillis. Ils ont d’abord refusé d’ouvrir la porte et on était obligé de frapper plusieurs fois pour qu’ils l’ouvrent. Ensuite, ils ont vu que son état était grave, car la balle l’avait atteint au bassin. Ils ont pris l’ambulance pour l’évacuer à Saint-Louis. Je pensais qu’il allait mourir avant d’atteindre l’hôpital. C’est au front qu’on m’a annoncé le décès, une heure avant l’annonce officielle. Je suis parti après à Diourbel pour l’annoncer à ses parents. C’était trop dur.
Après les funéraires, je suis rentré chez moi à Dakar, au mois de ramadan. C’était difficile avec ma famille. J’avais perdu la mémoire. Il a fallu que je consulte un psychologue. Mais jusqu’à présent, psychologiquement, c’est difficile pour moi. Quand on parle de la mort de Fallou, ça m’affecte.
Tout ce que nous demandons, c’est que justice soit faite. On ne demande rien d’autre. C’est la raison pour laquelle, personnellement, je n’écoute plus le président. Je ne veux pas voir son image. Au plus profond de moi, j’ai une haine contre cette république, parce qu’il y a une injustice que l’on doit réparer et rien n’a été fait.’