Par 124 voix pour, 7 contre et 7 abstentions, l'Assemblée nationale a adopté, ce samedi, le projet de loi portant révision de la Constitution, dont la très discutée suppression du poste de Premier ministre.
Par moments, l'ambiance était bon enfant, émaillée de petites disputes. A tel enseigne qu'on aurait eu du mal à croire que l'un des moments les plus importants de la nation se jouait, ce samedi. La suppression du poste de Premier ministre, via le projet de loi unique 07/2019, a été émaillée d'interventions plaisantines de la majorité présidentielle qui était tellement sûre de sa supériorité que certains députés ont demandé que le vote ne soit qu'une simple formalité. Détournement du nouveau slogan ‘’Fast-track’’ en ''Fatt tarac'', sous les applaudissements des députés, revendications d'une soumission à Macky Sall, invectives... ont émaillé un vote de 9 heures. Les avertissements de l'opposition, pertinents ou radicaux qu'ils aient été, ont non seulement été minimisés, mais moqués, raillés, brocardés, hués par la majorité. Les motions préjudicielles, les nombreux appels au règlement n'y ont rien fait.
Momath Sow dit ‘’Malaw’’ : ''Je suis un député de Macky Sall''
La majorité a finalement fait passer ce projet de loi par une majorité écrasante de 124 voix. ''Dans un pays démocratique, ce n'est pas l'opposition qui décide. Les textes ne sont pas la Bible ou le Coran. Quoi qu'on dise, Bénin est là. Faisons ce que le président Macky Sall attend de nous. Ce qu'il veut, c'est qu’on fasse passer cette loi'', a déclaré Moustapha Cissé Lo. D'ailleurs, pour l'essentiel, les députés de la majorité ne se sont pas embarrassés d'arguments autres que les directives présidentielles. La boutade de Momath Sow dit ‘’Malaw’’ restera certainement l'une des plus mémorables. ''Je suis un député de Macky Sall. Quand on soumet une loi, peut-être que vous autres prenez le temps de consulter, mais moi je ne prends même pas la peine de vérifier, je vote sans lire. Vous deviez en faire autant'', a-t-il déclaré.
Macky Sall n'aura pas donc à s'inquiéter d'une instabilité politique, contrairement à Theresa May, Premier ministre britannique, à la tête de l'une des plus vieilles démocraties, fragilisée par des motions successives sur les modalités du Brexit. Macky ne sera pas non plus près de revivre la dualité au sommet de l'État survenue en 1962 au Sénégal. Cette année sera donc la seule fois où le pays aura vraiment expérimenté les contrecoups d'un régime parlementaire qui aura révélé les rapports difficiles entre le président du Conseil Mamadou Dia et le chef de l'État Léopold Sédar Senghor. Depuis, le pays a opté pour un régime présidentiel dans lequel le chef de l'Etat nomme le Premier ministre, chef du gouvernement.
Avec le vote de ce samedi, l'Assemblée nationale ne pourra désormais plus faire passer de motion de censure ou un vote de confiance pour démettre un gouvernement.
Une remarque contre laquelle le député Modou Mberry Sylla a rappelé la minorité au souvenir de la 11e législature où la majorité libérale d'alors a fait passer des mesures très contestées comme la loi Ezzan qui amnistia les crimes politiques commis entre 1988 et 2008, et le fameux quart bloquant instituant un ticket présidentiel. ''Ce n'est pas une première que le président fait recours à un régime présidentiel renforcé'', a-t-il lancé, se félicitant, au passage, que ce dernier ne dispose plus du droit de dissoudre l'Assemblée. Pour le porte-parole du Ps, allié de la majorité, Abdoulaye Willane, ''gouverner, c'est prévoir et la suppression du poste de Pm rend au président l'entièreté de ses responsabilités''.
La vaine résistance de la minorité
L'opposition présente était réduite à sa portion congrue, avec les absences remarquées des leaders du Pur et de Pastef. Mame Diarra Fam, du groupe Liberté et démocratie, pressentie pour faire de la résistance, a manifestement était blasée par l'issue de la présidentielle. La députée de la diaspora, membre de l'unique groupe parlementaire de l'opposition, a préféré s'abstenir. Bien qu'elle se dise contre ce projet de loi, elle trouve qu'il faut être conséquent avec les résultats du dernier scrutin et tous les épisodes politiques précédents (référendum, parrainage) qui ont contribué à renforcer l'assise de Macky Sall sur le jeu politique. ''Je ne suis ni pour ni contre, je m'abstiens. Voter cette loi parce que Senghor et Diouf l'ont fait, ce n'est pas un argument, tout de même. Maintenant qu'on a voté à 58 % pour son programme, qu'il déroule, qu'il supprime, qu'il 'suppressionne' (sic). On l'a laissé faire et maintenant que ça se complique, on veut nous laisser seuls face à lui. Ce n'est pas notre problème, qu'il déroule'', a-t-elle déclaré.
Au moment du vote, elle disait à haute et intelligible voix qu'il fallait suivre le mot d'ordre de boycott lancé par Me Wade.
Ceci étant, la minorité a fait de la résistance autant que sa faible représentation le lui permettait. Mamadou Diop Decroix a quitté l'hémicycle, après son tour de parole. Pour lui, hors de question de cautionner, par sa simple présence, ce qu'il a appelé ''une mascarade''. ''On nous a mis entre les mains un gros couteau et demandé de trancher la gorge à l'Assemblée nationale, pièce maitresse de tout l'échafaudage institutionnel. Les députés sont raillés dans la rue. Celui qui a proposé cette loi aurait mieux fait de supprimer radicalement ce bâtiment et de le raser. Je ne fais aucune référence à l'incendie du Reichstag'', s'est-il littéralement offusqué, en traitant l'exposé des motifs de mensonger et qualifiant cette loi d'un ''hold-up électoral de haute facture''. ''Le totalitarisme porte en lui-même les germes de sa propre destruction. Refusons de porter le chapeau du bourreau qui va égorger cette auguste Assemblée'', a défendu Decroix.
Tout aussi virulent, le député de Bokk Gis Gis, Cheikh Abdou Mbacké, s'en est pris à ses collègues de la majorité. Les 19 amendements qu'il a apportés au texte ont tout simplement été mis en minorité. ''Les députés devraient avoir honte. C'est une honte ! Vous avez insulté le peuple. On doit dissoudre l'Assemblée. Vous n'êtes là que pour vous-mêmes. Le président de la République peut bel et bien dissoudre l'Assemblée, contrairement à ce que vous avancez. Tout ce qu'on a, c'est une coquille vide. Tous ceux qui voteront cette loi sont traitres au peuple. Pour la postérité, sachez que tous ceux qui voteront cette loi seront responsables'', a-t-il poursuivi.
De Cheikh Bamba Dièye, qui a dénoncé une hypertrophie insensée de l'Exécutif, à Aïda Mbodj qui en a appelé à la responsabilité historique pour rejeter le texte, en passant par Woré Sarr, Toussaint Manga, Abdou Aziz Diop (suppléant de Me Madické Niang), Nango Seck, Aïssatou Sabara..., les remarques seront balayées par l'entrain d'une majorité prête à tout pour valider le projet de loi. ''Ceci n'a aucune finalité pour la population. Vous avez touché trois fois à la Constitution, depuis que vous êtes là'', s'est emporté Serigne Cheikh Mbacké, Président du seul groupe parlementaire de l'opposition, Liberté et démocratie. Ses remarques subiront le même sort que celles de toute l'opposition.
Mamadou Lamine Diallo : ''Macky Sall est plus proche de Mobutu Sese Seko dont il partage les initiales''
Les tactiques pour bloquer les travaux étaient de mise. Une motion préjudicielle introduite par Mamadou Lamine Diallo, en pleines discussions, demandant que les débats soient ajournés, car illégaux, connaitra l'insuccès des tentatives précédentes (questions orales) du député de Bokk Gis Gis et celles du président du groupe parlementaire libéral. Le député Diallo souhaitait que le dossier soit retourné au président, car il comporte une rupture d'égalité induisant un principe d'inconstitutionnalité. D'après lui, les députés nommés ministres pourront retrouver leur siège de député, une fois hors de l'attelage gouvernemental, alors qu'une fois nommés Dg, ils seront aussitôt suppléés et ne pourront plus prétendre reprendre leur siège.
M. Diallo a aussi interpellé le futur dernier Premier ministre, Boun Abdallah Dionne, sur les énormes garanties de confiance qu'il concède au président Macky Sall. Convoquant la transition Dmitri Medvedev en Russie et l'histoire du sacrifice d'Ismaël par son père Abraham, le député de l'opposition a demandé au Pm ''de ne pas se laisser immoler comme ça''. Le parlementaire est même allé plus loin dans l'analogie, en comparant le président Sall au dictateur congolais. ''Macky Sall a défendu la dictature éclairée, en 2011. Il est plus proche de Mobutu Sese Seko dont il partage les initiales'', s'est lâché M. Diallo. Une remarque contre laquelle la députée Sokhna Dieng Mbacké répondra que cette loi s'est faite avec l'accord du principal intéressé. ''Nul besoin d'être plus royaliste que le roi'', déclare Sokhna Dieng Mbacké, faisant référence à l'accord du Pm qui ne s'est pas opposé à la suppression de ce poste. ''Le problème est éminemment politique. Ça change quoi cette suppression ? Si le président hypertrophie son pouvoir, l'Assemblée doit changer son fonctionnement pour conquérir sa liberté'', rétorque M. Diallo.
Déthié Fall, dans une schématisation électromécanique, a expliqué que le problème n'a jamais été la chaine de transmission, mais l'élément moteur. ''Si l'élément moteur est défaillant, le résultat sera le même. Le problème n'est pas le Premier ministre, mais le président lui-même'', a-t-il lancé, appelant à la libération ''des otages politiques Guy Marius Sagna, Abdourahmane Sow, Babacar Diop... La Constitution n'a jamais été aussi agressée dans sa dignité par son garant que sous Macky Sall’’.
Dans la logique de leur posture postélectorale de non-reconnaissance des résultats, le député issu du Rewmi estime qu’avec ce projet de loi, ''le président est en train de tirer les bilans d'une défaite électorale''. Il a esquissé deux hypothèses qui expliquent l'urgence de ce vote pour Macky Sall. La première est ''une fraude électorale pour bloquer son successeur en 2024'', et la seconde et qu'en cas de défaite en 2022 (législatives), il veut éviter une dualité au sommet de l'État’’.
Le ministre de la Justice, Malick Sall, verse dans la réciprocité
Le président de la commission des lois, Seydou Diouf (majorité) estime que toutes ces déclarations de membres de l'opposition étaient juste un tour de passe-passe pour tromper l'opinion. ''Ce projet de loi donne toutes les garanties au président de se préserver pour ne pas mettre l'Etat en danger''. Quant au président du groupe parlementaire Bby, il ne comprend pas toute l'agitation autour de ce projet de loi. ''Depuis l'indépendance, 41 réformes constitutionnelles ont eu lieu. Tout le monde évoque l'éventualité d'un recours à l'article 52. On ne souhaite pas en arriver là, personne n'y a jamais eu recours, depuis 1962'', a déclaré Aymerou Gningue. Une intervention qui a balisé le chemin au ministre Malick Sall.
Pour son premier grand oral devant l'hémicycle, le garde des Sceaux a plus réglé ses comptes avec les opposants, répliquant pareil à leur ''verbe outrancier'', avant de répondre à leurs observations. ''Avec tout le respect que je dois à votre Assemblée, des députés n'ont pas bien lu le texte soumis à leur appréciation. Soit ils l'ont fait de manière délibérée, soit ils ne savent pas lire'', a d'emblée lancé le garde des Sceaux.
Une mise en bouche qui le mit en confiance pour attaquer le reste du plat principal. ''On parle de rupture d'égalité quand les citoyens sont dans les conditions similaires. De toute façon, je ne vais pas vous faire le plaisir de faire durer l'Assemblée (...) Le député ne perd pas son mandat, mais suspendu le temps des fonctions ministérielles. C'est un problème simple, sauf pour ceux qui veulent le compliquer à l'excès'', a-t-il répondu aux remarques de Mamadou Lamine Diallo sur la rupture d'égalité. Quant à la réforme portant cette suppression, le ministre a essayé de donner les assurances. ''Cette réforme n'a pas de connotation politique, mais est purement technique, administrative et fonctionnelle. Le Pm n'est pas une institution, donc rien n'a été changé. De toute façon, il tenait son pouvoir du président. On ne voit pas en quoi la suppression de ce poste est un plus aux pouvoirs du président. Macky Sall n'est pas un pouvoiriste'', a expliqué le successeur d’Ismaïla Madior Fall.
Le ministre, qui a délibérément pris l'option de ne pas répondre à certains, estime toutefois, pour calmer les craintes, que ''cette réforme ne va pas supprimer les questions orales. La seule chose qui a été supprimée est le pouvoir du président (de la République) à dissoudre l'Assemblée nationale'', a-t-il affirmé, avant de tresser des lauriers à Mahammed Boun Abdallah Dionne. ''Le Premier ministre a compris que la suppression de ce poste était nécessaire, que l'intérêt supérieur de la nation était en jeu. Mais je suis heureux quand je vois que le président a pris une décision heureuse''.
L'APPEL AU DIALOGUE DE GADIO
''Sénégalais, Sénégalaises, parlons-nous !''
Cheikh Tidiane Gadio, avec beaucoup de nuances, a soutenu la demande de son ''ami Macky Sall''. L'ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal (2000-2009), qui revenait à l'Hémicycle pour la première fois, après ses déboires avec la justice américaine, s'est dit soulagé que l'Oncle Sam ait reconnu ''sa grosse erreur''. Il a remercié toutes les forces vives de la nation et a adressé un discours rassembleur dans un contexte plein de dangers.
''Le président Macky Sall, me semble-t-il, connait la fonction de Premier ministre. Sa proposition, selon mon interprétation, était de nous dire : 'Avoir un arrangement institutionnel qui me permette d'être beaucoup plus efficace dans ce que je veux faire.’ C'est comme cela que je l'ai compris. Mais j'ai pensé qu'il y avait deux messages beaucoup plus profonds dans l'expression du président Macky Sall. L'un est que les Sénégalais ont besoin d'une conversation nationale. Nous avons besoin de discuter pour améliorer nos institutions nationales. La Constitution sénégalaise, de 1960 à aujourd'hui, a connu 41 réformes, alors que les Américains que je connais bien ont réformé 27 fois en 240 ans. Car, à chaque fois qu'il y avait une révision, c'était un véritable débat national où chacun donnait son avis.
Le deuxième, c'est quand le président lance l'idée d'un dialogue national. Je ne pense pas qu'il ait renoncé à cette idée. Les meilleurs fils et filles du Sénégal sont dans la majorité présidentielle, mais aussi dans l'opposition et la société civile. C'est pour cela que j'aimerais interpeller, car le ton, la façon de discuter dans l'Assemblée pose de sérieux problèmes. Un peu plus de civilités, de respect réciproque, d'amitié et de considération entre compatriotes (...) De voir le président Moustapha Niasse, un homme qui a servi ce pays pendant 50 ans, se faire interpeller par des jeunes d'une certaine manière, est extrêmement gênant.
Par ailleurs, le président Sall en est conscient, l'environnement sécuritaire est extrêmement catastrophique autour du Sénégal. Nous allons vers le pétrole et le gaz, avec toutes les tentatives et tentations de déstabilisation de notre pays. Nous allons dans une conjoncture où des pays frères, le Mali et le Burkina Faso, sont en train de s'effondrer, malheureusement par des attaques terroristes internationales. C'est comme si nous n'avions pas pris conscience des enjeux sécuritaires. Sénégalais, Sénégalaises, parlons-nous ! Parlons de notre pays, établissons des ponts, des passerelles de dialogue. Le président Macky Sall doit pouvoir parler à tous les fils et toutes les filles du Sénégal. C'est important pour notre pays''.
L'ESSENTIEL, SELON MOUSTAPHA NIASSE
En clôturant la séance de samedi, le président de l'Assemblée nationale en a profité pour mettre les points sur les ‘’i’’ et les barres sur les ‘’t’’.
''Si quelqu'un m'adresse des propos désobligeants, je n'y répondrai pas. Le serpent vit de son venin. Si on le lui retire, il ne lui restera plus rien. La nature a ses règles et le monde fonctionne selon des lois scientifiques dont le millième n'a pas encore été découvert. Restons nous-mêmes. Nous avons discuté ouvertement, démocratiquement, pendant des heures. Le ministre a très bien répondu aux questions qui lui ont été posées. Tout au moins celles qui méritaient une réponse, comme il l'a dit. L'essentiel est que cette loi a été votée dans la transparence, en présence de la majorité des députés. Nous avons discuté librement, avec tous les droits reconnus à tous les députés. Cent vingt-quatre voix contre 7, faites le ratio ! Eh ben, cette loi a été adoptée. Pour l'histoire. Les quolibets, les imprécations, les philippiques, les satires, ‘dussi wagni dara’ (n'y feront rien), car l'Assemblée est souveraine''.