Le président de la République, Macky Sall, a déploré, mercredi dernier en Conseil des ministres, ‘’la multiplication des fabriques et des lieux de vente de boissons alcoolisées dans plusieurs localités du pays, en dehors du cadre législatif et réglementaire’’. Des situations qui, selon lui, peuvent exposer les jeunes aux ‘’tentations et aux conséquences de l’usage de ces produits’’. Cependant, cette invite semble arriver un peu tard, car certains citoyens, y compris les jeunes, ont déjà choisi d’épouser l’alcool.
‘’Il arrive que nous passions toute la journée ici (au dépôt de boissons). Nous rentrons soul à la maison. L’argent que nous gagnons est destiné à l’achat de l’alcool. Je n’achète pas de riz pour ma famille. Je n’achète pas d’habits pour mes enfants et pour moi-même. A cause de l’alcool, je ne peux même plus assurer le petit-déjeuner à mes enfants. Pas de dépense quotidienne chez moi. Tout ce que je fais avec l’argent que je gagne, c’est acheter de l’alcool. Parfois, je ne mange pas. Je suis fatigué. Je veux arrêter’’. Ce témoignage poignant qui retentit comme un cri du cœur est celui d’un Thiessois qui est devenu prisonnier de l’alcool. Une victime parmi tant d’autres.
Combien sont-ils à sombrer dans l’alcool ? Personne ne saurait le quantifier. En tout cas, entre l’alcool et Fallou, c’est une histoire ancienne que les dramaturges sénégalais et africains peuvent raconter dans des dizaines de bouquins. C’est à l’âge de 21 ans qu’il a goûté, pour la première fois, à l’alcool. Juste après, commença une ‘’belle’’ aventure. Une histoire qui, quelques années après, a presque ruiné sa vie. Aujourd’hui, il étale ses regrets et se dit prêt à mettre une grosse croix rouge sur la consommation de boissons alcoolisées. Jugeant pertinente, sage et salutaire la déclaration du chef de l’État faite mercredi dernier en Conseil des ministres, Fallou indique qu’il adhère à l’idée de Macky Sall d’interdire la vente illicite de boissons alcoolisées. A son avis, les lieux de fabrique et de vente d’alcool doivent être rayés de la carte du pays, pour ne pas hypothéquer davantage l’avenir des jeunes. Cela, dit-il, va permettre de protéger les jeunes qui n’ont pas encore goûté à l’alcool.
‘’Le président de la République, Macky Sall, a parfaitement raison. Je suis tout à fait d’accord avec lui. Sa décision est pertinente. Parce que l’alcool a fini de détourner la jeunesse thiessoise, les mineurs y compris. Je vois ici des jeunes qui ont seulement 10 ans et qui s’adonnent à l’alcool. Mais ils ne sont pas responsables. Si on doit chercher les fautifs, il faut se référer à ceux qui produisent et vendent les boissons alcoolisées. La vente illicite et au détail est un phénomène réel. Il y a un quart qui coûte 800 F Cfa, un demi-litre à 1 500 et 1 600 F Cfa. Tout dépend de ce que tu as dans ton porte-monnaie. Parfois, avec moins de 800 F Cfa, tu peux t’en procurer. Nous sommes de grands consommateurs d’alcool et voyons tout ce qui se passe dans cette ville’’, informe Fallou, insistant qu’il est prêt à arrêter la consommation d’alcool. ‘’Si c’était à refaire, je ne m’approcherais jamais d’une seule bouteille de boisson alcoolisée. Mais c’est dommage parce que je n’ai pas le choix. Dans ma famille, tout le monde boit de l’alcool’’, se désole le maçon trouvé à quelques jets de pierre d’un célèbre dépôt de boissons de la place, vers les coups de 21 h, en compagnie de trois de ses amis, en ce jeudi 25 avril.
Toujours à l’ère des ‘’Jakarta’’
Ici, on peut débourser moins de 1 000 F Cfa pour obtenir sa dose de whisky, de gin, de pastis ou encore de vin rouge ou blanc. Après l’achat du produit, le client peut le consommer à quelques mètres du lieu de vente et sans être inquiété, sous le regard curieux des passants. Il y a quelques années, l’alcool avait emporté un jeune dans la banlieue dakaroise. Ce dernier avait abusé de la boisson alcoolisée conditionnée dans des sachets et connue sous le nom de ‘’Jakarta’’. Une boisson produite et vendue par des sociétés établies à Dakar et à Thiès. Mais, depuis des années, celle-ci a cessé d’être fabriquée. Les autorités avaient interdit sa fabrication et sa commercialisation sur toute l’étendue du territoire national, à la suite du décès du jeune homme.
Cependant, les ‘’Jakarta’’ continuent de circuler comme les vrais Jakarta (motos-taxis). Sauf que c’est sous une autre forme, au niveau des bars clandestins et dépôts de boissons alcoolisées. Face à une telle situation, le jeune A. N., lui aussi accro à l’alcool, demande au président Macky Sall de mettre de l’ordre dans la commercialisation de cette boisson. ‘’Je veux que le président de la République interdise la fabrication et la vente d’alcool dans ce pays. L’alcool a complètement détruit ma vie. Je veux arrêter. Par contre, je n’y arrive toujours pas. Si le président Macky Sall veut protéger sa jeunesse, qu’il ordonne tout simplement la fermeture de toutes ces fabriques de boissons alcoolisées. C’est ça l’unique solution, car nous sommes fatigués de sombrer dans l’alcool’’, regrette l’habitant du quartier Angle Serigne Fallou, dans la commune de Thiès-Ouest.
Des Sénégalais comme A. N. ont fini de se noyer dans l’alcool, depuis leur bas âge. Ils ont comme seul compagnon aujourd’hui l’alcool. Un breuvage qui dicte sa loi et finit par trahir les consommateurs accros. Bien qu’elle détruise des vies, sa consommation reste toujours très prisée. Elle continue d’être vendue au détail. Chacun y va de sa pratique. Certains préfèrent avoir le produit dans des gobelets en plastique, d’autres le veulent dans des sachets blancs de 10 F Cfa. Pour mieux le siroter.
Plus grave, la consommation d’alcool est devenue un besoin primaire pour beaucoup. Et s’en procurer est loin d’être un casse-tête pour le disciple de Bacchus, qu’il soit jeune ou adulte. Car, dans la cité du Rail, les points de vente ou de dépôts d’alcool poussent comme des champignons.
‘’Les élèves sont aussi de grands buveurs’’
Et c’est peu de dire que l’alcool fait des ravages. Et n’épargne aucune frange de la société. Ce phénomène a transformé le vécu quotidien de bon nombre de jeunes Thiessois, souligne A. N., trouvé lui aussi au même endroit que Fallou. ‘’La jeunesse est tellement affectée par ce phénomène. Les élèves sont aussi de grands buveurs. Nous fréquentons les lieux de vente de boissons alcoolisées et nous savons ce qui se passe dans ce pays. Il n’y a rien à cacher. Les élèves boivent de l’alcool et utilisent même d’autres stupéfiants beaucoup plus dangereux, tel que le chanvre indien. On sait tout’’, déplore A. N., insistant encore sur le fait le chef de l’État doit interdire la production et la vente d’alcool dans ce pays.
‘’Monsieur le Président, merci de faire quelque chose, sinon vous aurez du mal à reconnaître votre jeunesse, d’ici quelques années. Moi, j’ai commencé à boire depuis mon jeune âge. Et cela fait presque 30 ans que je consomme de la boisson alcoolisée. Aujourd’hui, je ne peux rien faire. Je travaille et gagne de l’argent. Mais il arrive que je rentre les mains vides à cause de l’alcool. Je bois tout avec mes amis, ici. En venant ici le matin, j’avais 6 500 F Cfa dans ma poche. Maintenant, il ne me reste que 1 000 F. L’alcool a tout emporté’’, poursuit A. N. Aussi, souligne-t-il qu’interdire la vente et la consommation d’alcool dans ce pays serait synonyme d’une jeunesse ou d’une société bien éduquée et en bonne santé.
‘’L’eau fraîche a aussi des conséquences…’’
Toutefois, son ami Fallou précise qu’il existe aussi d’autres moyens de produire de l’alcool. ‘’La levure peut être utilisée pour fabriquer de la boisson alcoolisée. Le jus de cajou fermenté peut devenir de l’alcool. Il y a également le vin de palme. C’est pour vous dire qu’il existe d’autres canaux pour produire de la boisson alcoolisée. Donc, il appartient à l’État de veiller à ce que toutes ces fabriques soient fermées, une bonne fois pour toutes. C’est l’unique solution pour nous de cesser de boire’’, recommande-t-il. Cet autre ‘’esclave’’ de l’alcool, qui a également élu domicile dans ce même dépôt de boissons alcoolisées, affirme que l’heure a sonné pour l’État du Sénégal de sévir et de trouver des solutions idoines à ce fléau qui fait des ravages au sein de la jeunesse sénégalaise.
‘’Il y en a qui vendent, alors qu’ils n’ont pas de licence. A l’État de les traquer et de les punir conformément aux dispositions et règles en vigueur dans ce pays. S’il le fait avec rigueur, les jeunes peuvent être épargnés de l’alcool’’, soutient-il.
Toutefois, si ces compères se disent prêts à tourner le dos à l’alcool, ce dernier préfère siroter encore pendant un moment son breuvage. ‘’L’alcool ne détruit rien du tout. Bien contraire. Moi, j’achète un verre à 500 F Cfa. Je bois tout le temps. L’alcool ne me dérange pas et ne détruit rien du tout. Même si on venait à revoir son prix à la hausse et au même prix d’achat que celui d’un réfrigérateur, je serais prêt à débourser ce montant pour boire’’, confie-t-il à nouveau. ‘’Tu mens ! L’alcool est l’ennemi du siècle de l’homme. Tu mens ! Il n’arrange personne’’, recadre A. N. assis à même le sol et juste à côté de son ami.
Lors de ce même Conseil des ministres, le président Sall a instruit le gouvernement de ‘’déployer tous les moyens nécessaires pour arrêter la vente illicite de boissons alcoolisées sur l’ensemble du territoire national et à réviser les textes y afférents’’. Mais, en attendant la mise en œuvre effective de ses recommandations, les accros ou disciples de Bacchus continuent de lamper tranquillement leur gin, vin, whisky ou encore pastis, au péril de leur vie et de leur santé.