Suite à l’interdiction du port du voile à l’institution Sainte Jeanne d’Arc, les parents d’élèves ont organisé, ce vendredi, une conférence de presse pour se prononcer sur cette mesure. Avec un effectif composé de 90 % d’élèves musulmans, les parents jugent ce nouveau règlement discriminatoire et inopportun.
Les parents d’élèves de l’institution Sainte Jeanne d’Arc (Isja) dénoncent avec la dernière énergie la décision de l’établissement d’interdire aux élèves le port du voile, à partir de la rentrée de septembre prochain. Face à la presse hier, ils ont vivement critiqué ce nouveau règlement et demandé qu’il soit retiré. Au cas contraire, ils n’écartent pas de saisir la justice pour que la loi soit appliquée. Les parents d’élèves dénoncent également le fait que ce règlement soit pris unilatéralement par la nouvelle proviseure, sans les consulter au préalable. Ils ont été, disent-ils, avisé par un email de l’établissement indiquant que : ‘’Dans le cadre actuel de la relecture générale de sa mission et du projet éducatif, Jeanne d’Arc a décidé de statuer sur la tenue qui sera autorisée aux élèves. Celle-ci se composera, à partir de la rentrée de septembre, de l’uniforme habituelle avec une tête découverte, aussi bien pour les filles que pour les garçons.’’
Ce nouveau règlement montre ainsi que le port du voile sera désormais interdit aux élèves. Ce que les parents ne sont pas prêts à accepter. ‘’Nous allons nous battre pour défendre l’intérêt de nos enfants, sans aucune discrimination, sous aucune forme qu’elle soit. On ne change pas les règles du jeu en cours de match. Ils auraient dû analyser tout ça. Une telle décision ne se prend pas à la légère. Ils auraient dû nous parler de cette tenue vestimentaire, recueillir nos avis pour voir comment on pourrait faire pour marcher tous ensemble’’, regrette Mme Daroussa Véronique Sèye, Présidente de l’Association des parents élèves (Ape).
Dans leurs revendications, les parents réclamaient que l’école accorde une dérogation de trois ans pour que les élèves inscrites en classe de seconde puissent continuer dans l’établissement jusqu’à l’obtention du Bac. Mais, avec le refus de l’établissement, disent-ils, de privilégier le dialogue, ils ont décidé de durcir le ton et demandent que la décision soit tout simplement retirée. Au cas contraire, les parents comptent saisir la justice pour que la loi soit appliquée. ‘’On demande que la décision soit retirée et que l’école prenne sa responsabilité et qu’elle puisse accompagner tous les enfants inscrits à l’institution jusqu’à la classe de terminale. Sinon, nous allons saisir la justice pour que la loi soit appliquée’’, déclare de sa part Mme Sahiloun Lobbena, Présidente de la commission Ecole pour tous.
En outre, les parents ont tenu à préciser que les gens ne doivent pas considérer cette affaire comme un problème entre chrétiens et musulmans. C’est plutôt un problème d’une décision que l’établissement veut appliquer sans arguments valables et sans tenir compte de l’avis des parents. ‘’Je suis catholique et je désapprouve cette décision. On est tenu de respecter la confession de tout un chacun. Les enfants portent des voiles avec les couleurs de l’institution, c’est-à-dire en bleu et blanc, et en aucun cas elles n’ont manqué de respect à personne. Cette décision est discriminatoire. Et c’est ce que nous reprochons à la congrégation’’, précise la présidence de l’Ape de Jeanne d’Arc.
‘’La burqa est interdite, mais tout le reste n’est pas interdit. D’où vient cette idée d’interdire le voile ? Qui veut l’interdire ? Qu’est-ce-qui se passe derrière cette idée et qu’est-ce qu’on nous prépare ? Nous sommes outrés, parce que la laïcité veut qu’on s’habille de manière descente. Le voile n’est pas indécent, car les bonnes sœurs le porte. Est-ce que c’est seulement les musulmanes qui portent le voile qu’on veut interdire ? La loi ne l’interdit pas. Pourquoi eux veulent l’interdire ? Nous voulons savoir qu’est-ce qui se passe, car depuis la création de Jeanne d’Arc, les filles voilées y étudient et pourquoi, aujourd’hui, ils veulent l’interdire ? Où veut-on en venir ? Ce qui se passe en France ne peut pas se faire au Sénégal’’, s’insurge une autre parent d’élèves sous l’anonymat.
Déterminée à aller jusqu’au bout pour obtenir gain de cause, l’Association des parents d’élèves annonce qu’elle va convoquer en réunion, le mardi prochain, le comité élargi qui réunit tous les parents d’élèves, pour donner suite à la situation.
Le ministre de l’Education disqualifie Jeanne d’Arc
L’institution Sainte Jeanne d’Arc n’a pas raison, dans cette affaire d’interdiction du port du voile pour les élèves. Du moins, c’est ce que laisse entendre le ministre de l’Education qui a brisé le silence dans cette affaire. Il dit avoir constaté, depuis quelques années, ‘’que des actes discriminatoires d’ordre socio-culturel se manifestent de plus en plus dans l’espace scolaire’’.
Aussi, le ministre Mamadou Talla rappelle que ‘’cette situation n’est pas conforme à la Constitution du Sénégal qui dispose, en son article premier, que ‘’la République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe et de religion. Elle respecte toutes les croyances’’. De plus, ajoute le document, ‘’la loi d’orientation n°91-22 du 30 janvier 1991 modifiée, précise, en son article 4, que l’éducation nationale est laïque : elle respecte et garantit à tous les niveaux la liberté de conscience des citoyens’’.
Par conséquent, précise le ministre dans une note parvenue à ‘’EnQuête’’, ‘’c’est à ce titre qu’aucun établissement public ou privé ne peut déroger à ce principe’’.
Par ailleurs, le ministre rappelle que les établissements privés d’enseignement, en sollicitant l’autorisation de la tutelle, s’engagent à se conformer strictement à la réglementation officielle, comme indiqué par le décret n°98-562 du 26 juin 1998 modifié, fixant les conditions d’ouverture et de contrôle des établissements privés’’.
Ces précisions faites, le ministre de l’Education fait savoir qu’il ‘’prendra toutes les dispositions pour mettre un terme à de telles situations, en veillant à une application stricte des lois et règlements en vigueur, en relation avec les inspecteurs d’académie’’.
La position de l’Eglise catholique
« Les établissements de l’enseignement catholique inscrivent leurs actions dans le cadre de la liberté publique d’enseignement consacrée par la Constitution sénégalaise et le droit international », réagit l’église dans un communiqué. « L’école catholique, poursuit-on, n’est nullement différente des autres établissements publics. Elle est régie selon la législation sénégalaise et se veut respectueuse de la liberté religieuse. Mais, à condition que ceux qui la fréquentent respectent son projet éducatif enraciné dans le Christ et son Evangile et qui bannit l’exclusion ».
Aussi, l’école catholique s’approprie-t-elle l’article 18 de la Déclaration universelle des droits humains qui dispose que : ’’Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun tant en public qu’en privé par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. ». Toutefois, indique la note, l’enseignement catholique ne peut pas renoncer à la liberté de proposer le message et d’exposer les valeurs chrétiennes, « exposer et proposer n’équivaut pas à imposer », précise toutefois la note reçue à l’Exclusif.net.
Le directeur de l'enseignement catholique, l'abbé Pierre Ndiom, cité par Seneweb, assure, lui, que l'institution Jeanne d'Arc n'interdit pas le voile. ‘’On ne peut pas venir comme on veut dans une école. On dit que nous interdisons le voile. Ce n'est pas le voile que nous interdisons. Mais quand nous voyons certains ports vestimentaires, qui ne collent pas avec le règlement intérieur et qui impactent la cohabitation de l'élève avec ses camarades, la pratique de l'éducation physique et sportive et ses études, nous appliquons le règlement intérieur." Le prélat souligne que le règlement intérieur interdit tout ce qui n'est pas conforme avec la philosophie de l'école. Qui est encadrée par la loi d'orientation, que ce soit dans l'école publique ou dans l'école privée.