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Corruption, clientélisme, favoritisme: Le passeport Sénégal monnayé aux citoyens
Publié le mardi 30 avril 2019  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
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Favoritisme, corruption, clientélisme. Voilà les maux qui gangrènent les procédures d’obtention des passeports biométriques ordinaires, documents indispensables pour aller dans certains pays. Un casse-tête pour le Sénégalais lambda.

Direction de la police des étrangers et des titres de voyage (Dpetv). Il est 10 h. A la devanture, c’est déjà le grand rush. Des hommes et des femmes, impeccablement alignés, attendent patiemment leur tour pour faire enregistrer leur demande ou retirer leur passeport. Sur le seuil de la porte, trois flics veillent au grain, scrutant minutieusement l’identité des visiteurs. Dans les alentours, sur l’axe menant vers le rond-point Jet d’eau, un embouteillage monstre est ainsi créé par la foule. Aux visiteurs, s’ajoutent les marchands ambulants qui proposent des pochettes de garde-passeport. Ici, la journée commence très tôt, tous les jours. Les candidats, venant de loin, voulant se libérer le plus tôt, arrivent dès les premières heures de la matinée.

Flairant le coup, cette restauratrice a installé une gargote juste en face, au bord de la route. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne semble pas le regretter. Les lieux, même à pareille heure, sont pris d’assaut.

Au milieu de cette foule, certains se font remarquer par leur comportement qui intrigue ceux qui ne sont pas habitués des lieux. De jeunes garçons, en tenue civile, effectuent des va-et-vient incessants à la recherche d’éventuels clients. Car ici, le passeport, pour certains, ne s’obtient pas uniquement par la fourniture complète des papiers exigés, encore moins par une procédure normale. ‘’Il faut plutôt débourser de l’argent, faire de petits arrangements, chercher et négocier avec des entremetteurs pour obtenir, dans un bref délai, le précieux sésame’’, accusent-ils. A les en croire, ces entremetteurs collaborent avec certaines autorités à l’intérieur. Contre pots-de-vin, ils se chargent de l’accélération de certains dossiers. Après avoir rassemblé quelques clients, ils leur expliquent les procédures et méthodes rapides pour obtenir le passeport sans trop se fatiguer.

Les honoraires, nous soufflent-on, vont de 10 000 à plus de 50 000 F Cfa, suivant les cas et le service rendu. Cette corruption flagrante, d’après nos interlocuteurs, est devenue banale aux yeux des nombreux citoyens qui fréquentent ces lieux. Tout se passe comme si c’était la norme. Ces jeunes font ce boulot au vu et au su de tout le monde.

Dans les normes, pour obtenir le précieux titre de voyage, il faut prendre rendez-vous via Africatel Avs. Le coût de l’appel est fixé à 400 F Cfa l’unité. Mais, parfois, du fait de l’affluence, il faut mettre beaucoup de temps avant d’avoir quelqu’un au bout du fil ; ce qui constitue un coût financier important. Là aussi, d’autres intermédiaires proposent des alternatives. Ce jeune garçon, installé dans un coin isolé de la Dpetv, dit travailler en collaboration avec Africatel. Pour un rendez-vous à moindre coup, il demande 1 000 F Cfa.

‘’On le fait parfois à 50 000 F Cfa’’

Les papiers de jugement et les habitants des régions, les proies préférées des entremetteurs

Dans ce processus, les citoyens déclarés tardivement à l’état civil et possédant des papiers obtenus après un jugement, sont les proies préférées des entremetteurs. Ce jeune intermédiaire confie : ‘’Nous partageons l’argent que nous recevons avec des autorités de la Dpetv, avec qui nous collaborons pour accélérer les procédures. D’ailleurs, ce sont elles qui fixent souvent les prix des commissions, suivant la nature de la demande (papier normal ou jugement). Nous expliquons cela à nos clients.’’ Toujours selon notre interlocuteur, plus la date d’obtention de l’acte de naissance par jugement est récente, plus la somme exigée est conséquente. En guise d’exemple, explique-t-il, les personnes nées avant les années 2000 et qui ont été déclarées tardivement (entre 2014 ou 2016) sont taxées beaucoup plus cher que celles qui sont nées dans la même fourchette, mais déclarées plus tôt à l’état civil.

Pour les premiers nommés, en plus de la carte d’identité et de la quittance fiscale, on exige parfois d’autres papiers supplémentaires (extraits de naissance, copie littérale, extrait des minutes du greffe, etc.). C’est le cas d’Ousmane Ba, né à Ross Béthio en 1999. Déclaré tardivement à l’état civil, il n’a obtenu son acte de naissance qu’en 2014, après un jugement au tribunal départemental de Dagana. Pour le passeport, on lui indique qu’il doit s’enregistrer auprès de la Dpetv, seule institution habilitée à lui fournir le papier, car son cas ne peut être traité par le commissariat central de Saint-Louis dont relève sa localité. Une fois à la Dpetv, il est obligé de s’arranger avec les entremetteurs pour obtenir son document de voyage. Après d’âpres négociations, il se résout à payer 15 000 F Cfa pour obtenir le passeport.

Il revient sur son parcours : ‘’Quand je suis venu ici, on m’a, dans un premier temps, renvoyé pour complément de dossier. Je devais chercher un certificat de nationalité et un extrait des minutes du greffe pour motif que le jugement était très récent et qu’avec le nom Ba, je dois aussi fournir un certificat de nationalité pour prouver que je suis sénégalais’’. Les papiers au complet, regrette-t-il, on lui demande encore de payer 15 000 F Cfa pour faire la procédure dite rapide. ‘’J’ai trouvé cette somme exorbitante. J’ai alors sollicité ma sœur pour négocier avec les entremetteurs. Par téléphone, le jeune l’a mise en contact avec un homme qu’il dit être son supérieur. Ce dernier explique qu’avec ce genre de demande, la commission peut aller jusqu’à 50 000 F Cfa’’, raconte, le jeune Ba qui a finalement pu obtenir son papier de voyage en moins de 48 heures, après avoir remis la somme demandée.

Les citoyens, victimes et complices

A la Direction de la police des étrangers et des titres de voyage (Dpetv), tout semble fait pour rendre complexes les procédures et pousser les citoyens dans la gueule des intermédiaires. Kadiata Sy, une jeune étudiante rencontrée sur les lieux, raconte son calvaire. Pour obtenir son passeport, elle a dû faire face à vents et marées. Elle a déboursé 8 000 F Cfa et ce après moult marchandages avec son entremetteur. Elle ajoute : ‘’Dès que je suis venue pour me renseigner sur les dépôts, on m’a dit qu’il fallait prendre un rendez-vous par téléphone et qu’il fallait au minimum 2 000 F de crédit téléphonique pour que l’appel puisse être décroché. L’autre option plus facile était de payer sur place 1 000 F Cfa pour qu’on me prenne le Rdv pour l’enregistrement. C’est ainsi qu’un jeune homme m’a interpellée pour me proposer ses services. Il m’a promis de s’occuper de tout, si je lui donnais 10 000 F Cfa.’’ Elle essaie alors de revoir la somme à la baisse, mais le bonhomme campe sur sa position. Il lui disait : ‘’Ce n’est pas moi qui fixe la commission, mais plutôt celui qui signe le papier et qui se trouve à l’intérieur des bureaux’’, rapporte-t-elle, désappointée.

Pourtant, d’après le site de la Dpetv, les étudiants doivent passer en priorité. Kadiata ne voulait pas passer par cette voie illégale, mais dit n’avoir pas eu le choix. Face à la forte influence de certains demandeurs, c’est le seul moyen pour obtenir rapidement ses papiers. ‘’En plus, tout le monde le fait, même si c’est interdit. Mieux vaut donc accepter de le faire, au lieu de rester des mois à courir derrière les agents’’.

Outre les dossiers des élèves et étudiants, il est également indiqué dans le site que les personnes devant subir une évacuation médicale sont prioritaires et que les rendez-vous se prennent par voie téléphonique uniquement. Le portail précise que quelle que soit la nature de la demande (jugement ou non), la période d’attente, après l’enregistrement, ne dépasse pas une semaine.
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