Le retour au bercail de Me Abdoulaye Wade retenu pour demain, mercredi 23 avril, est parti pour réveiller un champ politique qui hibernait en l’absence de son éternel animateur. A la différence toutefois de son come-back de 1999, à la veille d’une présidentielle qui allait l’envoyer enfin au palais de Roume, le retour du « Pape du Sopi » n’est, selon des esprits avisés, en rien politique comme le proclame pourtant le patron du Pds lui-même. Cette fois, la raison profonde qui guide le retour de Wade au Sénégal serait plus liée à la volonté de mettre la pression sur le pouvoir établi. Un pouvoir accusé d’avoir incarcéré dans le cadre de la traque des biens dits mal acquis et sur la base de motivations purement politiciennes, son fils Karim Wade. En somme, une façon de recourir pour l’ancien président de la « rue publique» à la « stratégie de la terreur » contre un pouvoir qui est à deux mois de juger l’ex tout-puissant ministre du « ciel et de la terre ».
Décembre 1999-Avril 2014 : certes, deux dates pour consacrer le retour de l’opposant Abdoulaye Wade au Sénégal, après une longue hibernation en Hexagone, mais tout autant deux dates qui contrastent singulièrement aussi bien pour le contexte politique que les mobiles qui les sous-tendent.
Absent du pays pendant plus d’une année, l’opposant historique au Parti socialiste (Ps) qui régnait sur le palais présidentiel depuis presque une quarantaine d’années, avait été quasiment « rapatrié», à la veille de l’élection présidentielle de 2000, par la grande majorité des partis de l’opposition historique alors réunis au sein de la coalition Alternance 2000. Un seul objectif était assigné à celui qui comptabilisait un quart de siècle d’opposition radicale au régime en place : porter haut le flambeau de cette opposition anti-Abdou Diouf et bouter hors du circuit du pouvoir un Parti socialiste que les Sénégalais exécraient sous leurs chaumières, pour sa politique socio-économique en total déphasage avec leurs attentes. Il faut dire que les politiques d’ajustement comme la dévaluation du franc Cfa de 1994 avaient fini par précariser les « goorgorlus » dans les secteurs de leur vie de tous les jours : santé, éducation, emploi, habitat social, qualité de la vie…
Le retour au bercail de Me Wade était alors éminemment politique, d’ailleurs effectué dans un contexte préélectoral où le pouvoir établi était contesté même de l’intérieur et fortement fragilisé par les scissions de quelques-uns de ses ténors dont Moustapha Niasse qui crée l’Afp et Djibo Kâ qui érige l’Urd, deux partis qui joueront un rôle central dans le jeu électoral. Le « Pape du Sopi » fit de fait un retour en fanfare au pays, le 27 décembre 1999, après un an d’exil volontaire.
Le Pds comme les partis de l’opposition réunis dans la coalition Alternance 2000 s’étaient démultipliés pour lui offrir un accueil «remarquable» : des centaines de milliers de Sénégalais déchainés avaient accompagné pendant trois heures de temps Me Wade de l’aéroport de Dakar à la permanence du Pds, sise à la Place de l’Obélisque. Fortement ragaillardie par ce retour triomphal pour une nouvelle élection présidentielle où les cartes n’étaient vraisemblablement plus les mêmes que celles des joutes antérieures, le «Pape du Sopi» allait sortir enfin vainqueur de son long chemin de croix vers le fauteuil présidentiel. La première alternance politique à la tête de l’Exécutif survenait le 19 mars 2000.
A l’inverse de 1999, le retour de Me Wade au Sénégal programmé pour demain, mercredi 23 avril 2014, suscite mille et une interrogations. Exilé volontaire en France après la perte du pouvoir en mars 2012, l’ancien président du Sénégal ne revient pas au bercail dans un contexte d’échéance présidentielle, encore moins sous la coupe de toute l’opposition soudée pour faire chuter le Président en exercice. Qui plus est, les opposants historiques au pouvoir établi qui avaient rapatrié de France, en 1999, Me Wade, en l’occurrence Amath Dansokho du Pit , LAnding Savané de Aj et autre Abdoulaye Bathily de la Ld, sont aujourd’hui de l’autre côté de la barrière s’ils ne sont tout simplement pas devenus des adversaires irréductibles du patron du Pds.
Et pour cause, le magistère de Me Wade au palais présidentiel a largement contribué à effriter, voire corrompre les relations privilégiées que les faiseurs de rois entretenaient avec le «Pape du Sopi». Me Wade est aujourd’hui contraint pour rééditer son coup de 1999 d’appeler au secours ses d’anciens pontes du Pds qu’il avait lâchés, après la présidentielle. Parmi ceux-ci, on cite particulièrement l’ancien président du Sénat et maire de Dakar Pape Diop, aujourd’hui chef de la Convergence Bokk Gis Gis. Une façon sans nul doute pour Me Wade d’avouer son manque de confiance en la capacité actuelle du Pds de sonner la grande mobilisation demain, mercredi.
RETOUR …POLITIQUE : LE LEURRE
Seulement, selon certains observateurs, là où le bât blesse vraiment dans ce retour au bercail de l’ancien chef de l’Etat de 2000 à 2012, annoncé à plusieurs reprises avant d’être reporté, c’est qu’il n’a rien de politique même si celui-ci tient à affirmer le contraire. Dans un entretien accordé au journal français «Le monde», Me Abdoulaye Wade n’est pas passé en effet par quatre chemins pour affirmer que son retour est hautement politique, surtout « dans les circonstances actuelles où il y a beaucoup de difficultés au Sénégal. Il y a un fort mécontentement : les Sénégalais ont comparé le régime actuel avec le mien et ont tiré les conclusions qui s’imposent ».
Les observateurs ne manqueront pas de relever les incohérences des mobiles avancés même s’il est vrai que le nouveau régime, sous la dictée de Macky Sall, éprouve encore pas mal de contraintes pour satisfaire les attentes criantes des « goorgorlus » sénégalais. Abdoulaye Wade revient au Sénégal à moins de deux mois du jugement de son fils Karim, ancien tout-puissant ministre du « ciel et de la terre », incarcéré depuis le 17 avril 2013 dans le cadre de la traque des biens dits mal acquis. De là à supposer que Me Wade rentre au bercail pour mettre la pression sur le pouvoir établi et sur Macky Sall pour les contraindre à faire preuve de souplesse voire de médiation dans le traitement du dossier Karim Wade qualifié de purement politicien, il n’y a qu’un pas que les analystes franchissent aisément.
Après avoir fait des pieds et des mains devant presque mille et un chefs d’Etat pour les inciter à contraindre Macky à lâcher du lest, selon eux, Me Wade se serait décidé à user d’une autre stratégie pour aller à la rescousse de son fils, accusé présumé d’enrichissement illicite portant sur des milliards de Fcfa. Le Sénégal qui peine encore à vider les contentieux nés de la violente période pré-électorale de 2012 a-t-il besoin d’un réchauffement des fronts, surtout politiques ?
En tout cas, force est de signaler qu’en fin tacticien politique ou adepte du machiavélisme pur et dur, Me Wade ne manque pas de se faire l’adepte de la « stratégie de la terreur » avec ce retour qui peut être à la source d’une véritable période d’instabilité pour le Sénégal. Ce dont l’ancien Président a pleinement conscience. Ne se gênant nullement ainsi, devant nos confrères du «Monde», pour désigner son successeur comme responsable des tensions actuelles, notamment politiques, le nonagénaire « Pape du Sopi » a tenu à avertir qu’il privilégiait l’apaisement et non l’affrontement.