Le président de la République, Macky Sall, veut mettre fin à la "pagaille" autour des passeports diplomatiques, en s’attaquant aux modalités d’octroi de ce document de voyage prestigieux dont la délivrance est minée par la fraude et le trafic.
Pour conjurer ce haro presque général sur le précieux sésame, le gouvernement a décidé de sévir. En effet, le chef de l’État a "instruit le ministre des Affaires étrangères à mettre en place de nouveaux passeports diplomatiques, en vue d’une plus grande rationalisation dans leur octroi", selon le communiqué du Conseil des ministres de ce mercredi 17 avril 2019, parcouru par SeneWeb.
Ainsi, le président Sall a donc filé une "bombe" à Amadou Ba, l’ancien ministre des Finances nommé dans le nouveau gouvernement ministre des Affaires étrangères. L’ancien argentier de l’État a désormais la lourde charge de "retirer" ces documents de voyage des mains de hautes autorités de la République, mais aussi de dignitaires religieux.
"Arme politique" contre Amadou Ba
Déjà, des voix s’élèvent pour "fustiger" avec force cette mesure qualifiée de politique. "Les problèmes avec ces passeports, ce n’est pas nouveau. Moi, je trouve que c’est purement politique, croit savoir une source contactée par Seneweb. Il veut mettre en mal Amadou Ba qui, selon des rumeurs, aurait des ambitions présidentielles, avec les titulaires des passeports. Les passeports diplomatiques, je n’y trouve aucun problème qui pourrait justifier leur suppression."Cet homme religieux, qui dit avoir bénéficié de "quotas" de passeports diplomatiques dans le passé, n’a pas manqué de préciser qu’il n’est pas contre cette décision présidentielle. "S’il cherche à réorganiser tout cela, nous sommes pour, indique-t-il. Mais ce que nous dénonçons, c’est de vouloir utiliser cela comme arme politique."
Au Sénégal, les polémiques autour de la délivrance de ces types de passeport ne datent pas d’aujourd’hui. En effet, l’on se rappelle, en 2011, sous Abdoulaye Wade, des nouvelles faisaient état de la commercialisation de ce document prestigieux à coups de millions de francs Cfa.
La même année, un jeune Sénégalais, voyageant avec un passeport diplomatique, a été arrêté à l’aéroport de Casablanca, détenant de la drogue par-devers lui. Fils de parents proches du pouvoir de l’époque, il sera tiré d’affaire.
Dès son accession au pouvoir, en 2012, Macky Sall, avait décidé de mettre de l’ordre. "Mais le mal persiste toujours, parce que n’importe qui peut en disposer et à n’importe quelle fin, y compris des non Sénégalais", s’étrangle notre source.
Abus
En décembre 2017, selon des informations de la presse américaine, l’administration de Donald Trump a déploré les comportements, sur le territoire américain, de certains Sénégalais qui abusent de leur statut de diplomate. A titre d’exemple, les plaintes de cabinets médicaux, de cliniques privées et d’hôpitaux américains contre certains ressortissants sénégalais détenteurs de passeports diplomatiques se sont accumulées dans les services de la police américaine.
En effet, après des études menées par les services autorisés, sur instruction du département d’État américain, il est établi que certains proches de ces compatriotes vivant au pays de l’Oncle Sam et détenteurs de passeport diplomatique ne payaient pas les consultations et les soins dont ils bénéficiaient.
Afin de remédier à cette situation, les autorités américaines ont invité leurs homologues sénégalais à être plus attentives et vigilantes dans la délivrance de ces documents prestigieux de voyage.
En juillet 2018, le Sénégal avait échappé à un embargo contre ses passeports diplomatiques dans l’espace Schengen, après une mesure de l’Union européenne visant à imposer un visa aux détenteurs de passeports diplomatiques issus de certains pays.
D’après la presse, n’eût été l’Espagne, le Sénégal serait passé à la trappe. La France avait voté cette mesure nonobstant les liens étroits avec Dakar. L’objectif de cette mesure était d’identifier les véritables ayants droit du précieux sésame. Mais la décision avait finalement été suspendue en attendant d’y voir plus clair.
Toutes choses qui auraient provoqué l’ire du président Macky Sall. Ce dernier, révèlent nos sources, en vertu de ses prérogatives, a voulu exiger plus de contrôles.
Qui doit en disposer ?
À signaler que le passeport diplomatique est un titre de voyage permettant à son titulaire de jouir, à l’étranger, de privilèges exceptionnels inhérents à son statut juridique ou de mesures de courtoisie internationale attachées à son rang. Il est délivré par le ministère des Affaires étrangères pour un an. Il peut toutefois être prorogé.
Normalement, seuls les membres du gouvernement, les membres des institutions comme le Sénat, l’Assemblée nationale, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), les magistrats et les fonctionnaires sénégalais en service dans les organisations internationales doivent en disposer. Mais, au Sénégal, le constat est unanime : ce sésame se distribue comme de petits pains et profite très souvent à des personnes qui n’en ont pas droit.