Les remous à l’Alliance pour la République (Apr), parti présidentiel, étonnent les Sénégalais qui croyaient que c’est seulement dans le camp de l’opposition qu’il y avait des frustrations.
Que nenni. Le « sentiment-vivre-ensemble » a été durement mis à l’épreuve dans ce parti, quand la liste des Ministres est sortie. Trente deux ont été élus et trois secrétaire d’Etats parmi des milliers de cadres et de militants. Certains, à juste titre, se sont dit : « Pourquoi pas moi ? ».
Et c’est le cas de ce cadre de Kolda, Diaw, qui n’a pas hésité à exprimer, par voie de presse, ses ressentiments. Or, ce n’est là que l’aspect visible de l’iceberg. Les frustrés sont pratiquement tous ceux qui sont laissés en rade, même si chacun sait que tout le monde ne peut pas être ministre. C’est justement là le caractère paradoxal de la situation.
Ce qui l’explique, c’est la naissance de la « politique-business », ou « politique-alimentaire ». Elle se traduit par ce souci de s’engager en politique exactement comme on entre dans une société commerciale. Là, les associés ou actionnaires attendent des dividendes à l’heure du bilan pour se les partager parce qu’il y a, entre eux, ce que l’on appelle « l’affectio societatis », c’est-à-dire le désir de s’associer pour réaliser des bénéfices.
Or, ce gain est justement ce qui est agité par le leader quand il rencontre ses cadres militants. Désireux de se faire élire ou réélire, il ne lésine pas sur les moyens et les promesses. Il suscite un immense espoir dans les rangs. Alors, une fois la victoire acquise, chaque associé politique attend justement sa part du gâteau.
Cette même attente s’observe également au sein de Benno Bokk Yakaar et dans d’autres coalitions. Là aussi, les ressentiments font légion. Les frustrés se comptent par milliers. Le Ps voulait plus de ministres, la Ld n’en a plus et d’autres partis et mouvements, notamment les transhumants, ont été aussi écartés. C’est dire qu’ils ressentent la même chose que les laissés-pour-compte de l’Apr.
Une situation qui a été exacerbée par le fait que c’est le dernier mandat de Macky. Du mois, « en principe ». Et là, les uns et les autres savent que le temps leur est compté et que si Macky venait à perdre le pouvoir, ce serait très difficile, voire impossible, de poursuivre leur rêve.
Pourtant, beaucoup a été fait pour l’Apr dans ce dernier gouvernement. Elle s’est taillé la part belle. Et Macky sait que des frustrés, il y en aura toujours. Alors, il va essayer de les raisonner aujourd’hui et surtout éviter que le linge sale soit lavé sur la place publique.
Mais, la vérité est qu’il restera toujours des laissés-pour-compte, donc des frustrés car il est impossible de satisfaire tout le monde.
Ce sont les paradigmes de l’engagement en politique qu’il faudra essayer de changer. Tant que la poursuite de l’intérêt général ne sera pas mise en avant, il en sera toujours ainsi.
En théorisant la transhumance et en faisant tout pour enrober des leaders, nos hommes politiques cultivent une logique de « politique alimentaire » qui ira en s’accentuant.
Toutefois, l’Apr n’est malgré tout pas menacée d’implosion. Tant que Macky sera au pouvoir, il lui sera loisible de maintenir une certaine cohésion dans son parti et dans sa coalition.
Les vraies difficultés surviendront quand il sera question de quitter le pouvoir. Là, le parti va subir des vagues de départ dont le Ps et le Pds ont souffert après la perte du pouvoir.
Il n’y a plus guère de militants convaincus, l’idéologie ayant pratiquement disparu du champ des priorités en politique. C’est justement le principal problème auquel nos partis sont confrontés. L’idéologie étant naguère le ciment d’unification par excellence, c’est la convergence d’intérêt ou « Bokk Yakaar » qui a pris sa place. Et les dégâts sont incommensurables à ce niveau.