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Prisons sénégalaises: Les chiffres des longues détentions
Publié le vendredi 12 avril 2019  |  Rewmi
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© Autre presse par DR
Des prisonniers de la Maison d`Arrêt et de Correction de Rebeuss ont entamé une grève de la faim
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Le sujet sur les cas de longues détentions préventives au Sénégal refait surface depuis quelques jours. Pour mieux comprendre les causes et les solutions à apporter, nous avons donné la parole aux hommes de droit. État des lieux !

La détention provisoire est une mesure de détention, qui doit être exceptionnelle, visant à emprisonner une personne mise en examen dans l’attente de son procès.

La détention provisoire n’est pas une sanction, mais une mesure visant à préserver une procédure pénale. Elle est régie par les articles 127 et suivants du code des procédures pénales (CPP), et 576 du même code pour ce qui concerne les mineurs.

Ainsi, en cas de délit, lorsque l’infraction concernée est punissable d’une peine inférieure ou égale à trois ans, l’inculpé ne peut être retenu en détention provisoire plus de 5 jours après sa première comparution devant le juge d’instruction. Cette règle est applicable lorsque l’inculpé est régulièrement domicilié au Sénégal (article 127 al 1 CPP).

Cette disposition connait cependant une limite énoncée par l’alinéa 2 de ce même article. Pour les crimes, l’article 127 bis vient ensuite ajouter que, sauf exception, si la détention provisoire est ordonnée, elle ne peut durer plus de 6 mois maximum et non renouvelables ; passés ces délais prévus par la loi, la mise en liberté est en principe de droit.

Cependant, le législateur est silencieux relativement aux crimes, il ne prévoit ainsi pas de limite de durée de la détention provisoire en matière criminelle. Cela a pour conséquence d’entraîner au Sénégal des détentions provisoires excessivement longues.

Le temps subi par l’inculpé durant cette période est considéré comme une peine par anticipation au regard de l’article 22 du code pénal.

Cependant, il faut signaler que la longueur de la détention provisoire est quelque chose d’apparent au Sénégal avec le non-respect de la durée de détention.

On peut voir dans les prisons des prisonniers qui y ont fait des années sans même être jugé, ni revoir leur avocat ; ce qui explique le surpeuplement des prisons.

Dakar compte 10 cabinets d’instruction, 250 dossiers pour chaque cabinet

Au Sénégal, le sujet sur les longues détentions provisoires est ébruité depuis quelques temps. Notamment avec l’affaire du jeune Saër Kébé, qui a été acquitté des chefs d’inculpation de terrorisme. Ainsi, il a passé plus de quatre ans en prison avant d’être libéré, pour rien.

En effet, il y a plusieurs autres personnes, détenues provisoirement depuis 4, 5 ou 6 ans pour les faits de terrorisme, d’apologie de terrorisme, etc. et qui sont souvent libérées au terme de leur procès.

C’est sur ces entrefaites qu’on a posé le débat pour voir quelles sont les origines de cet état de fait et éventuellement les solutions à apporter pour mettre définitivement fin à cette pratique.

Parmi les causes de la longue détention provisoire au Sénégal, il y a les lenteurs notées dans le traitement des procédures judiciaires. Ce, à cause des nombreux dossiers qui dorment sur les tables des juges d’instruction. Certaines informations révèlent qu’à Dakar, il n’y a que 10 cabinets d’instruction.

Il s’y ajoute qu’il n’y a pas assez de magistrats. Ce qui fait que les cabinets d’instruction sont submergés. Chaque cabinet a, au moins, 250 dossiers à traiter et plus la procédure dure, plus le mis en cause est maintenu en prison.

L’autre problème qui favorise les longues détentions réside, selon notre source, entre la fin de l’instruction et la transmission du dossier au parquet. Lorsque le juge termine son instruction et clôture l’information, il transmet le dossier au parquet qui doit faire l’enrôlement. La mise en place des Chambres criminelles devrait permettre d’enrôler le plus rapidement possible les dossiers.

Mais, il se trouve que les Chambres criminelles ne siègent pas de façon régulière. Ainsi, il y a énormément de temps qui passe entre la fin de l’instruction et la date de l’enrôlement du dossier, confie une autorité judiciaire.

Un seul juge d’instruction pour Thiaroye, Guédiawaye, Yeumbeul…

Notre source sera confirmée dans ses propos par Me Aboubacry Barro, avocat à la Cour. « Les juges d’instruction n’ont pas de moyens suffisants, d’abord en termes de nombre humain. »

« Aussi, les moyens d’accompagnement des juges dans leur travail manquent. Ils n’ont pas tous les moyens nécessaires liés au déplacement par exemple. Ce qui fait qu’on assiste à de longues détentions dans des prisons aussi surchargées, qui avaient au départ un nombre limité. Aujourd’hui, le nombre de détenus qui est à Rebeuss est beaucoup supérieur au nombre initial retenu. Et, ces longues détentions créent plus de problème qu’elles n’en règlent. Donc, il est temps que tout le monde, surtout les autorités étatiques et judiciaires, prennent une solution qui pourrait être utile même si la perfection n’est pas de ce monde », a dit Me Barro.

Avant de poursuivre :« je pense que les ébauches de solution pourraient être posées et discutées avec les juges, les avocats, pour mettre un terme à ce problème. Et quand je parle des problèmes de moyens qu’ont les juges d’instruction, je prends l’exemple de Pikine. Vous savez que Pikine a maintenant les mêmes compétences que Dakar. Or, à Pikine, il y a un seul juge d’instruction et pour Thiaroye, et pour Guédiawaye, et pour Yeumbeul et environs. Parce qu’à l’époque, toutes les personnes qu’on déférait à Dakar étaient jugées à Dakar automatiquement. Maintenant, on les défère au tribunal de Pikine qui est érigé tribunal de grande instance. Or, le tribunal de Pikine n’a pas les moyens de sa compétence ».

A en croire toujours la robe noire, le seul juge d’instruction ne peut pas, à lui seul, faire tout le travail. Il ne peut pas instruire une centaine de dossiers dans un délai aussi réduit. « Si un juge d’instruction reste au bout de six mois et au bout de ce délai n’instruit pas un dossier, bien évidemment la personne poursuivie est remise d’office en liberté. Ce qui pose problème. Le problème est très sérieux, c’est pourquoi avant de faire certaines réformes ou d’ériger des villes en tribunaux de grande instance, il faut qu’on accorde à ces villes les moyens nécessaires pour remplir à bien leurs compétences », préconise l’avocat.

300 cas de longue détention sur 10.250 détenus

Sur les 10.250 détenus répartis dans les 37 prisons que compte le Sénégal, il n’y avait que 300 cas de longue détention.

Ces longues détentions, selon l’ex Garde des Sceaux, Ismaila Madior Fall, portaient essentiellement sur des affaires criminelles telles que le trafic de drogue ou le terrorisme. Il avait fait cette révélation lors de l’atelier de planification stratégique pour le centre de renforcement de l’Etat de droit et des institutions judiciaires du Sénégal, tenu à Dakar le 26 mars dernier.

Mieux, il rassurait que des dispositions sont prises au niveau de la Justice pour identifier systématiquement ces cas de longue détention et les traiter. « On est en train de réfléchir sur la perspective d’avoir une loi qui encadre les longues détentions, même en matière criminelle, en limitant ces détentions à un an », avait alors assuré le nouveau ministre d’Etat auprès du Président de la République.

Les longues détentions, à l’origine des mutineries

Amnesty, qui a préconisé 14 mesures pour désengorger les prisons sénégalaises, estime que les longues détentions provisoires sont la conséquence directe de l’engorgement des cabinets d’instruction et des tribunaux, dû à une politique pénale très répressive et au déficit de magistrats et autres personnels judiciaires.

Selon Amnesty, les mauvaises conditions de détention, et surtout les longues détentions provisoires qui constituent une violation flagrante des droits des détenus, ont constitué le détonateur de manifestations (grèves de la faim, mutinerie, etc.,) qui ont rythmé la vie dans les prisons sénégalaises au cours des dix dernières années, entrainant des pertes en vies humaines et de nombreux blessés.

L’on peut citer la mutinerie de la prison de Rebeuss du mardi 20 septembre 2016, qui s’est soldée par la mort du détenu Ibrahima Mbow, et 41 blessés parmi les détenus et le personnel pénitentiaire. Elle constitue l’un des derniers mais aussi le plus grave des mouvements de détenus de ces dernières années.



Les attentes par rapport au nouveau Ministre de la Justice

Outre le nombre insuffisant de juges d’instruction, l’avocat a dénoncé le pouvoir énorme du procureur de la République. « Les longues détentions sont un débat pertinent d’autant plus qu’on voit aujourd’hui des cas pour lesquels des prévenus qui ne sont pas encore jugés, sont en détention provisoire pour une durée pouvant aller jusqu’à six, sept, parfois même dix ans, sans pour autant qu’ils soient jugés. Alors cela est lié, en mon humble avis, au fait que d’abord le procureur de la République a d’énormes pouvoirs. Il s’y ajoute qu’il n’y a pas un juge de la détention et de la liberté. Car j’estime que pour certains délits, il est beaucoup plus opportun de mettre la personne en liberté provisoire. La détention ne s’impose pas forcément », a-t-il dit.

Par ailleurs, l’avocat s’est félicité de la nomination de Me Malick Sall comme Garde des Sceaux, Ministre de la justice. Par la même occasion, il a fait part de ses attentes.

« On attend du Ministre de la Justice qu’il s’occupe des problèmes de la justice. Fort heureusement il est un avocat, un homme du milieu, un homme du terrain. Donc, il doit être en mesure de situer les problèmes et connaître la racine du mal et pouvoir la régler », a dit la robe noire, selon qui c’est extrêmement difficile de régler certains problèmes qui sont complexes.

« Mais quand même, il faut faire preuve de volonté, de détermination et l’autre aspect est lié à la connaissance du milieu. Si tous ces ingrédients sont réunis, certains problèmes pourraient être réglés avec les avocats, les greffiers, la justice de façon générale. J’ai vraiment espoir, à condition que le Ministre de la Justice s’y mêle. Et, qu’il mette aussi en avant son expérience parce qu’il est du milieu », a-t-il encore soutenu.

Cheikh Moussa SARR
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