Si, pour son avocat, Ousseynou Sy montre "des signes de déséquilibre" et souhaite une évaluation psychiatrique, le juge d'instruction du tribunal de Milan, Tommaso Perna, n’en est pas convaincu. C’est ce qu’il a laissé entendre, hier, à la presse italienne, après avoir auditionné l’accusé.
Entendu, hier après-midi, par le juge d'instruction du tribunal de Milan, Tommaso Perna, Ousseynou Sy a déclaré, en substance, ce qu’il avait dit un jour plus tôt aux deux procureurs de Milan, Alberto Nobili et Luca Poniz, en charge de l'enquête dans cette affaire d’enlèvement et de tentative de massacre. "Les enfants morts en mer m'ont dit de frapper", a déclaré Ousseynou au juge qui doit décider de la validation de la détention, à la demande des procureurs Nobili et Paniz. Il a expliqué qu'il voulait faire "une action démonstrative" et avoir "non un impact national, mais un impact international maximal". Devant son avocat Me Davide Lacchini, il a "salué la politique italienne en matière de migration" et expliqué que son message était destiné aux Africains qui, à ses yeux, ne doivent pas venir en Europe.
D’ailleurs, aux premières heures de son arrestation, la presse italienne avait rapporté qu’Ousseynou Sy n'avait pas regretté avoir terrorisé 51 enfants pendant plus d'une heure. L’ancien chauffeur et baptisé ‘’Loup solitaire’’ par le responsable militant antiterroriste Alberto Nobili, espérait, comme il l'a dit à ceux qui l'ont rencontré en prison, que son ‘’signal’’ est arrivé à destination. "Je l'ai fait pour l’Afrique, car si les Africains étaient restés en Afrique, il n'y aurait donc pas eu de morts en mer", a-t-il répété à ceux qui l'ont rencontré à la prison de San Vittore, ajoutant que la dernière étape de sa course effrénée devait être l'aéroport de Linate : ‘’Je voulais prendre un avion et retourner en Afrique et utiliser les enfants comme un bouclier."
Devant les procureurs Alberto Nobili et Luca Poniz, il avait confié : "C’est une chose que j'avais en tête depuis un moment. J'ai versé de l'essence pour que la police ne tire pas." Des propos qui soutiennent la thèse de la préméditation. Mais il avait ajouté qu’il ne voulait tuer personne. "Je suis un parent, je ne voulais pas blesser les enfants", avait-il dit. Avant de se présenter comme un "panafricaniste". Ousseynou Sy a laissé entendre devant eux que l’Afrique a été colonisée par l’Europe qui l’utilise comme un échiquier pour commander des gouvernements qui ne conviennent qu’à l’Occident. A ses yeux, c’est cet état de fait qui pousse les populations africaines à émigrer.
Déséquilibre psychique, les doutes du juge
Donc, hier, au sortir de l’audition devant le juge d’instruction, son avocat a déclaré à la presse qu’Ousseynou n’a fait que répéter ce qu'il avait déjà dit aux procureurs. Et que "le nouvel élément est le fait qu'il a donné des signes de déséquilibre qui, à (s)on avis, nécessitent un approfondissement avec une évaluation psychiatrique’’. Maître Davide Lacchini confie que son client a fait des "évocations" et "invocations", mais sans préciser de quoi. Toujours à la presse, il a révélé que son client a "exposé ses raisons au juge, avec force". Qu’Ousseynou a de nouveau affirmé qu’il a fait ce geste pour le compte des enfants migrants morts en Méditerranée. Il a aussi répété, selon le conseil, qu'il ne voulait blesser personne et que l'autobus a accidentellement pris feu.
Mais le juge Tommaso Perna, interpellé à la sortie de prison, a répondu à ceux qui lui ont demandé s'il avait remarqué des "signes de déséquilibre" chez Ousseynou Sy : "Cela ne m'a pas semblé. Je n'ai remarqué aucun signe de déséquilibre." D’ailleurs, du côté des enquêteurs, on est convaincu que le conducteur "joue un rôle". C’est pourquoi le bureau du procureur souhaite qu’il reste en prison. Les deux procureurs estiment que l’accusé peut être tenté de ‘’le refaire". Ainsi, avant l’audition d’hier après-midi, les procureurs de Milan, Alberto Nobili et Luca Poniz, ont écrit une demande de garde à vue en prison. Ils devraient obtenir gain de cause, puisque l’homme de 47 ans a lui-même admis les faits.
Le chauffeur Ousseynou Sy a pris en otage les 51passagers du bus scolaire qu’il conduisait, il y a 3 jours. Il a ensuite mis le feu dans le véhicule, alors que les policiers avaient fini de le faire évacuer.
En tout cas, son séjour carcéral risque d’être pénible. Au lendemain de sa première nuit passée en prison, lorsque le petit-déjeuner a été distribué, des œufs et des fruits ont été lancés en direction de sa cellule par d'autres prisonniers. Ce traitement est celui qui est réservé aux nouveaux détenus ‘’douteux’’, par exemple des pédophiles. Ce faisant, les autorités de la prison ont pris la décision de le transférer dans le secteur protégé.
Les enquêteurs fouillent jusqu’au Sénégal
Toujours est-il que les enquêteurs sont en train de passer en revue son passé et ses contacts, même au Sénégal. Mais ils excluent tout lien avec l'Etat islamique ou des groupes djihadistes. Ils ont pour objectif d’acquérir et d’analyser intégralement ce manifeste vidéo qui est parti de sa chaîne privée sur YouTube, dans laquelle il avait présenté ce "geste saisissant". Et ils essaient de savoir s’il y a d’autres personnes impliquées, en plus d’avoir saisi du matériel informatique chez lui, à Crema. D’autant que les éléments suggérant qu'Ousseynou Sy a planifié l'attaque ne manquent pas. Il avait avec lui deux bidons d'essence, des chiffons, les bandes avec lesquelles il avait demandé à un enseignant d'attacher les poignets des élèves et deux grands briquets.