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ITV avec Ismaïla Madior Fall, ministre de la Justice: ‘’Historiquement, au Sénégal, ceux qui sont au pouvoir sont plus démocrates que ceux qui sont dans l’opposition’’
Publié le mardi 12 mars 2019  |  Enquête Plus
Assemblée
© aDakar.com par SB
Assemblée générale de l`Union des magistrats du Sénégal
Dakar, le 6 août 2018 - L`Union des magistrats du Sénégal a tenu son Assemblée générale, samedi. C`était en présence du garde des Sceaux, ministre de la Justice. Photo: Ismaïla Madior Fall, ministre de la Justice, garde des Sceaux
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Quand Ismaïla Madior Fall parle, tout le monde écoute. La Constitution, la science politique, c'est son dada. Bien avant même l'homme politique. Spécialiste reconnu par ses pairs, il revient, dans cette interview avec ‘’EnQuête’’, sur des questions cruciales qui continuent de cristalliser la vie de la nation. Avec lui, pas de questions qui fâchent. Le troisième mandat, le processus électoral, les réformes judiciaires... Il dit ce qu'il pense. Comme il le pense. N’en déplaise à ses détracteurs.

Entretien !

Quels enseignements tirez-vous de l’élection présidentielle du 24 février dernier ?

Je pense qu’il faut quand même reconnaitre que c’est une élection qui s’inscrit dans la logique de la consolidation démocratique du Sénégal. Elle entre dans la ligne des dernières élections organisées au Sénégal et présente assurément une valeur ajoutée certaine à la richesse démocratique du Sénégal. Dans notre pays, au moins depuis 1993, les élections se passent de manière tout à fait transparente. Généralement, les élections suivent trois étapes dans un pays : celle de la transition, celle de la consolidation et celle de la routinisation. Le Sénégal est au stade le plus élevé, celui de la routinisation où l’élection devient un évènement républicain ordinaire, facteur non pas conflictogène, mais d’apaisement de la société et de régénération de la légitimité. Mais la présidentielle de 2019 revêt tout de même quelques particularités. La première particularité, c’est le parrainage qui a produit son effet de rationalisation des candidatures, d’amélioration de la lisibilité du jeu politique et d’apaisement de la compétition.

L’autre particularité très importante, c’est la qualité de l’organisation. Tous les acteurs indépendants reconnaissent que l’élection a été très bien organisée. Le troisième enseignement, c’est le taux de participation qui est de plus de 66 %. C’est tout à fait remarquable, même si le record de 2007 - qui est de 70 % - n’a pas été battu. A Rufisque, nous avons eu 72 % de participation. Cela montre aussi la maturité civique des populations et leur détermination à régler leurs problèmes par le biais de l’élection. C’est d’ailleurs cette maturité qui fait que les multiples appels à manifester de l’opposition ne sont jamais suivis d’effet. Les citoyens sénégalais sont mûrs et ont une conscience démocratique élevée. Ils savent que le moment décisif dans une démocratie pour prendre une décision qui engage le destin du pays, c’est le moment électoral. Finalement, c’est une élection qui a consolidé notre démocratie et dont le Sénégal peut être très fier. La onzième élection a été la meilleure de toutes.

Vous vantez les mérites de la loi sur le parrainage. Mais certains de ces effets ont été très décriés. Ne faudrait-il pas revoir cette loi ?

Je pense qu’à l’unanimité, les acteurs reconnaissent les effets positifs de cette loi. En Afrique, beaucoup de pays sont en train d’ailleurs de réfléchir sur cette expérience du Sénégal. Il y a un pays, notamment en Afrique de l’Ouest, où il y a eu récemment 70 candidats. Beaucoup de pays se disent qu’il faut aller au Sénégal pour voir comment ils ont réussi le parrainage. C’est une bonne technique de rationalisation et de régulation de l’élection. Maintenant, la loi n’est pas parfaite ; aujourd’hui, après l’élection, il convient de faire une évaluation sereine de ce système qui nous a quand même permis d’avoir une très bonne élection.

Qu’est-ce qui n’a pas marché, à votre avis ?

J’ai entendu certains candidats dire qu’ils auraient voulu avoir davantage d’informations sur le logiciel qui a permis de sélectionner les parrainages. Si cela peut aider à renforcer la transparence, c’est bien. Certains ont aussi regretté la bousculade qu’il y a eu au premier jour. Je pense qu’on peut trouver un système où il n’y aura plus de bousculade en invalidant, par exemple, les doublons pour tous les candidats concernés. Il faudra observer toutes les forces, mais aussi les faiblesses afin de les corriger. C’est comme ça que la démocratie avance. Il faudra discuter de tout cela en vue d’initier les réformes nécessaires. Je dois dire que c’est aussi ça la particularité du Sénégal. C’est toujours après les élections que le pays tire les enseignements et fait des bonds très importants en matière de démocratisation.

Vous êtes aussi un spécialiste des sciences politiques. Suite à ce scrutin, d’aucuns ont parlé de renouveau d’Idrissa Seck et d’émergence d’Ousmane Sonko. Etes-vous surpris par leurs résultats ?

Il faut considérer qu’il y avait des chances que même les candidats malheureux aient de bons scores, pour une raison très simple. Avec le parrainage, on a réduit le nombre de participants. Ce qui fait qu’il y a une concentration des suffrages sur un nombre limité de candidats. Et ici, c’était au bénéfice de trois candidats principalement. Sinon, je pense que, pour Idrissa Seck, il n’y a pas eu vraiment de performances, au regard de son histoire personnelle. C’est quand même sa troisième élection présidentielle (il insiste). A sa première participation, il a eu plus de 14 %. Après, en 2012, il est descendu à moins de 8 %, pour se retrouver aujourd’hui, dans ces conditions, avec 20 %. C’est une performance, mais pas suffisante pour gagner une présidentielle. Macky Sall était à plus de 26 % à sa première participation. C’est ça un gagneur.

Pour Sonko, je pense qu’il a su cristalliser le vote contestataire. Comme dans toute démocratie, il y a l’opinion majoritaire qui est d’accord avec le système et une frange, souvent minoritaire, de cette opinion qui croit que le système doit radicalement changé. Je pense qu’il a pu bénéficier de ce vote antisystème, si on peut l’appeler ainsi. Mais, à mon avis, il a atteint le plafond. Je ne crois pas qu’un candidat qui a l’insulte à la bouche, qui est si radical et contradictoire dans ses positions, puisse un jour avoir la majorité des votes des Sénégalais. C’est un score honorable, mais avec lui, c’est le plafond de verre. A mon avis, il va stagner ou dégringoler, comme Seck entre 2007 et en 2012 ; c’est évident. Je ne vois pas les Sénégalais, le peuple qui a élu Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall, élire un candidat qui a ce profil. Il n’a pas le parcours, la maturité, la tenue et la retenue pour exercer la magistrature suprême. Il n’a pas le profil du métier.

Du côté de la majorité, quelle lecture devrait-on faire de ces plus d’1,5 million de Sénégalais qui ont quand même voté contre votre candidat Macky Sall ?

D’abord, il faut admettre qu’en démocratie, qu’il y ait des gens qui ne soient pas d’accord. En théorie de la science politique, on dit que pour qu’une démocratie soit qualifiée de pluraliste, il faut que 30 % des électeurs au moins soient de l’opposition. Ici, on a 42 % ; on est donc sur les standards. Mais, je dois souligner que c’est quand même extraordinaire pour un président qui a fait 7 ans de gagner au premier tour avec 58 %. C’est un véritable vote d’adhésion, à mon avis. Maintenant, pour les 42 % qui ont eu un vote défavorable, il faut voir, comme l’a dit le président lui-même, pourquoi ils n’ont pas voté pour nous et essayer de voir comment faire pour qu’ils se reconnaissent dans les politiques publiques que nous sommes en train de mener. Le président est très attentif à leur égard.

Il se dit que la majorité avait particulièrement horreur d’un second tour. Etait-ce votre cas ?

Un second tour, c’est vrai, peut toujours être risqué, dans nos pays. Mais cela ne veut pas dire que le président sortant perd obligatoirement. Au Mali, c’est au second tour qu’IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) a gagné l’élection. Le second tour n’est donc pas si fatal. Maintenant, c’est toujours plus confortable de gagner au premier tour. Sinon, c’est la porte ouverte aux chantages. Aussi, la légitimité pourrait être un peu érodée. Voilà pourquoi l’enjeu était, pour nous, de gagner dès le premier tour. En dehors des hurlements et cris d’orfraie de l’opposition, tous les indicateurs étaient au vert pour un passage au premier tour.

L’opposition conteste les résultats, mais n’a pas jugé utile d’aller le faire devant le Conseil constitutionnel. N’est-ce pas grave, dans une démocratie, quand les acteurs en arrivent à ce niveau de remise en cause des institutions ?

Dans une certaine mesure, oui. Mais il faut se demander pourquoi ils ne vont pas devant le Conseil constitutionnel. Si on dit qu’on n’est pas d’accord, il y a des voies de droit qui permettent de formuler notre désaccord et de faire en sorte que la justice nous donne raison. S’ils ne l’ont pas fait, c’est surtout parce qu’ils n’ont pas d’arguments à faire prévaloir. Je pense qu’on est plutôt dans ce cas, parce qu’ils n’ont rien contesté dans les Pv qui émanent des bureaux de vote. Vous savez, le problème, devant le juge électoral, c’est qu’il vous demande où est la preuve de vos allégations. Si vous n’avez pas de preuves, il ne donne pas suite à votre requête. Maintenant, la contestation de l’élection est une donnée inhérente à l’histoire politique du Sénégal. En 1963, lors de la première élection, il n’y avait qu’un seul candidat, mais les élections étaient contestées. En 1978, il n’y en avait que deux (Senghor et Wade). Tout le monde sait que Senghor avait gagné, mais Wade avait contesté.

En 1983, même chose avec la première élection d’Abdou Diouf. La contestation était tellement vive qu’il était envisagé de boycotter l’Assemblée nationale. D’ailleurs, Cheikh Anta Diop avait boycotté son poste de député. En 1988, la contestation a viré à des émeutes. En 1993, alors qu’on venait d’adopter le Code électoral consensuel, qualifié de meilleur code du monde par l’opposition même, l’opposition a contesté. La contestation a été tellement vive qu’un magistrat a été tué. En 2000, pas de contestation. Pourquoi ? Parce que le pouvoir a perdu. En 2007, le sortant gagne et il y a encore contestation. Une contestation qui a même abouti au boycott des législatives de la même année. Or, c’était bien une élection transparente, en 2007. Moi, je n’étais pas avec Wade, mais je reconnais qu’il l’avait gagnée normalement. En 2012, pas de contestation parce que le pouvoir a perdu. En 2019, on conteste parce que le pouvoir gagne… Situation cocasse : les alternances sont célébrées, les victoires du pouvoir chahutées…

Votre conclusion ?

J’ai au moins deux conclusions. Premièrement, l’élection est toujours contestée, lorsque l’opposition ne gagne pas. Deuxièmement, on a l’impression que ceux qui sont au pouvoir sont plus démocrates que ceux qui sont dans l’opposition. Je le dis parce qu’en 2000, c’est Diouf qui appelle Wade pour le féliciter. Même chose en 2012. Mais l’opposition, elle, n’a jamais appelé le pouvoir pour le féliciter. Je considère donc qu’il y a une négation systématique des lois les plus élémentaires de la démocratie quand on est dans l’opposition. Mais heureusement, et c’est intéressant, celle-ci a l’habitude de contester, mais elle revient toujours à la raison. Les contestations ne sont pas de longue durée.

La particularité, cette fois, c’est qu’on en est quand même arrivé à une série d’arrestations. Cela se justifiait-il ?

Vous aurez remarqué que les citoyens paisibles n’ont pas été arrêtés. Ceux qui sont allés voter et rentrés tranquillement chez eux n’ont pas été arrêtés. Ceux qui se sont limités à dire qu’ils ne sont pas d’accord n’ont pas été arrêtés, non plus. Ceux qui ont été arrêtés, ce sont les fauteurs de troubles, ceux qui ont été à l’origine de troubles à l’ordre public. Certains ont été à l’origine de sinistres avec des bus de Ddd qui ont été brûlés, des gens qui ont été grièvement blessés. A Sacré-Cœur, un citoyen s’est même trouvé presque amputé d’une main, du fait d’une bombe artisanale jetée dans un meeting. Ça, il faut aussi le regretter. Aujourd’hui, les autorités judiciaires s’inscrivent dans une démarche d’indulgence, d’apaisement, de décrispation. La plupart des membres de l’opposition qui ont été arrêtés ont été libérés, à l’exception de certains sur qui pèsent de faits quand même assez graves. On ne peut pas tout se permettre, parce qu’on est en période électorale.

Certaines de ces dérives passent par les réseaux sociaux. Aujourd’hui, que faudrait-il faire pour mettre leurs auteurs hors d’état de nuire ?

Il y a, à mon avis, un impératif, je dis bien, je le répète, un impératif de réglementer l’utilisation des réseaux sociaux dans notre pays, notamment en rapport avec la démocratie, avec l’élection. Il nous faut des mesures législatives strictes pour encadrer, réprimer, lorsque c’est nécessaire, les fake news, lorsqu’ils ont un impact politique, électoral ou subversif. Toutes les démocraties l’ont fait.

A propos toujours de la Présidentielle, certains ont commencé à parler de vote communautariste, voire ethnique et religieux. Etes-vous de cet avis ?

Sur cette question, on a vite parlé. On a vite dit des choses. Au fond, c’était une question de sociologie électorale. Il faut faire des enquêtes pour voir quelle est la composition de la population qui a voté pour tel candidat. A quelle ampleur tel groupe a voté pour tel candidat. En plus, il faudra comprendre quelles sont les motivations du vote des uns et des autres. C’est une question classique en science politique. On parle de l’électeur rationnel et de l’électeur émotionnel. Est-ce que le vote a été plus rationnel ou émotif ? Moi, je pense que c’est une question fondamentale qui se pose. Mais, à mon avis, les réponses qui ont été formulées l’ont été de manière hâtive. Elles ne résultent pas d’analyses approfondies. Il appartient à ceux qui s’intéressent à la sociologie électorale d’approfondir la question et de donner les vraies réponses et non les fausses réponses que j’entends dans la presse.

Donc, pour vous, il n’y a pas de souci à se faire par rapport à ce possible repli identitaire de certains groupes sociaux ?

Non ! Je pense qu’il n’y en a pas. En tout état de cause, il faudra faire des études avant de pouvoir se prononcer dans un sens ou un autre. On pourrait faire de l’histoire politique ou de la sociologie électorale pour avoir la réalité du phénomène et l’explication du phénomène. De ce point de vue, on constate qu’il y a au Sénégal des zones qui sont habituellement favorables au pouvoir et d’autres qui le sont moins. Par exemple, les sages disent que chez nous les Lébous, on n’est généralement pas hostile au pouvoir, quand il est raisonnable dans sa manière de gouverner. C’est le cas également dans le Nord. Dans d’autres localités, la réalité peut être différente.

Le président de la République a appelé au dialogue. Quels devraient en être les contours ?

D’abord, c’est le énième appel du président Macky Sall. Il avait lancé un dialogue sur les institutions, sur la décentralisation, un dialogue sur tout ce qui est social, sur le Code électoral… Ce n’est donc pas nouveau. A l’instar des précédents appels, il faudra dialoguer sur tout, notamment sur la démocratie, l’organisation de l’Etat, le fonctionnement des institutions, le processus électoral, le statut de l’opposition… L’agenda du dialogue, les termes de référence seront définis, si l’opposition répond favorablement.

Par rapport au statut du chef de l’opposition, on en parle depuis longtemps. Pourquoi ça bloque ?

Pour moi, rien ne bloque. Mais encore faudrait-il que celle-là qui est concernée, qui est intéressée, à savoir l’opposition, consente au dialogue. Le pouvoir ne peut pas, de façon unilatérale, définir le statut de l’opposition et de son chef. Après, il y a un problème pratique qu’il faudra régler. Est-ce que nous allons faire un statut de l’opposition parlementaire ou un statut de l’opposition nationale. Si c’est l’opposition parlementaire, le chef de l’opposition devrait être un parlementaire. Si c’est l’opposition nationale, on pourrait envisager que celui qui est arrivé deuxième à la Présidentielle soit le chef de l’opposition.

Quelle est la meilleure formule, selon vous ?

Sachant qu’on est un régime présidentiel, et que l’élection présidentielle est celle qui détermine les autres, elle est donc l’élection mère, l’élection phare, la plus importante, elle devrait à mon sens permettre de désigner qui est le président de la République, mais aussi qui est le chef de l’opposition.

Si on vous suit, ce devrait donc être Idrissa Seck ?

A mon avis, si on est dans la logique du régime présidentiel et si on fait jouer à cette élection toutes les fonctions qu’elle devrait jouer dans notre système politique, le chef de l’opposition devrait être Idrissa Seck.

Lors de cette élection, il a beaucoup été question de la date de mise à disposition de l’opposition du fichier électoral. A ce niveau, ne faudrait-il pas faire quelque chose pour renforcer la transparence ?

On peut l’envisager. Mais ‘’dura lex sed lex’’. Ici, l’opposition nous invitait à violer la loi. On ne peut pas nous le permettre. Maintenant, on peut voir s’il est opportun de faire ce que réclamait l’opposition. Sachant que là, il y a un piège à éviter avec le parrainage. En tout cas, si la loi présente des insuffisances, on peut corriger.

Quid de la Cena dont le mandat du président est arrivé à terme depuis 2017 ? L’heure n’est-elle pas venue de normaliser cet organe de régulation ?

Bien sûr que oui. La normalisation va se faire sans aucun problème. En réalité, le président voulait juste éviter un chamboulement de toute la composition de la Cena à la veille de l’élection. Et amener des gens nouveaux qui n’ont pas été habitués au processus. C’était tout, mais la situation va être normalisée.

Avant les locales ?

Je ne saurais le dire, mais je pense que ça va être normalisé, parce que le président tient aussi au respect des textes. Même si, parfois, il veut concilier respect des textes et efficacité républicaine.

Vous avez parlé d’un vent de décrispation. Peut-on s’attendre, dans le cadre du dialogue, à ce qu’il soit évoqué la possibilité d’une amnistie de Karim Wade et Khalifa Sall ? D’autant plus que le président l’avait déjà évoquée au cours d’une interview avec la chaine française France 24 ?

Oui, nous sommes dans l’apaisement. Il n’y a quasiment plus de fauteurs de troubles en prison. Même les candidats malheureux, qui étaient tout de même groggys et sonnés par la défaite, ont retrouvé leurs esprits et reconnaissent que l’élection s’est bien passée. Mais apaisement n’est pas synonyme d’amnistie. Toutefois, la décision de gracier ou d’amnistier relève de la souveraineté du président de la République. Vous comprendrez que je ne peux émettre mon avis à ce propos.

J’interroge encore le spécialiste. Ne pensez-vous pas que le Pds et Khalifa Sall ont été les grands perdants de cette élection présidentielle ?

Ils n’ont pas pris part à ce rendez-vous majeur, mais ils ont certainement influencé l’élection. Le Pds est quand même le deuxième ou le troisième parti le plus important de l’échiquier politique sénégalais. Ses voix ont dû se disperser essentiellement entre les trois candidats qui arrivent en tête. Une grande partie a dû préférer Macky Sall pour plusieurs raisons, notamment idéologique (c’est un libéral) et politique. Une partie moindre a peut-être porté son dévolu sur l’autre libéral Idrissa Seck qui en a profité. Et, dans une bien moindre mesure, peut-être au bénéfice d’Ousmane Sonko. L’influence de l’électorat de Khalifa Sall, pour l’essentiel circonscrit à la capitale, doit être moins significative.

Par rapport au président Macky Sall, il en est à son dernier mandat… N’est-ce pas ?

Bon… Pour moi, la Constitution est claire, mais j’ai entendu des professeurs de droit dire que, telles que les dispositions ont été rédigées, le président peut faire un autre mandat. Moi, je pense que la Constitution est claire. En principe, c’est le deuxième et dernier mandat.

En tant que spécialiste, quel est votre point de vue ?

Moi, j’ai donné mon point de vue. C’est ce que je viens de dire. A mon avis, les dispositions sont claires. D’autres ont donné leur avis en disant que les dispositions ne sont pas claires. Il appartient au président de la République d’apprécier.

S’il en est à son dernier, comment voyez-vous la recomposition au sein de l’Apr et de la majorité ?

Je pense qu’au Sénégal, on aime trop parler de mandat. Le président n’a même pas encore commencé son deuxième et on parle du troisième. Certains parlent de recomposition, et je vois déjà la bataille de positionnement qui a commencé. Cela me rappelle d’ailleurs le roman d’Ousmane Sembène ‘’Le mandat’’. On ne parle que de ça (éclats de rire). En ce qui me concerne, j’estime qu’il est prématuré d’envisager la recomposition. Il faut attendre que les choses prennent forme, que les choses se mettent en place. Sauf si on est devin. Les gens aiment parler du futur, moi, je veux parler du présent. En tout état de cause, tout dépendra de la manière dont le chef de la majorité va piloter les choses. C’est lui qui a toutes les cartes en main.

Avant la Présidentielle, vous appeliez tout le monde à penser d’abord Présidentielle, avant de penser locales. Maintenant que la Présidentielle est derrière et que l’on se profile vers les locales, pouvez-vous nous dire si vous aspirez à diriger la mairie de Rufisque ?

Je disais plus exactement : Pensons à la Présidentielle sans arrière-pensées locales. Je le disais comme ça, parce qu’on était à Rufisque, dans une ville marquée par la politique municipale où la principale préoccupation des gens, ce sont les locales, la mairie. Je leur disais pensons d’abord à élire notre candidat et après, on pourra avoir des préoccupations municipales. A ce stade, je ne peux pas dire que j’ai une ambition pour Rufisque. Je sais que j’envisage de continuer à m’impliquer dans la vie politique rufisquoise et dans le développement de Rufisque. Sous quelle forme ? Je ne le sais pas encore… Donc, pour le moment, je ne peux pas dire que je serai candidat. J’ai des amis qui me font la proposition, mais je n’ai pas encore pris la décision, parce qu’il y a beaucoup de facteurs dont il faut tenir compte. Et c’est des facteurs que je ne maitrise pas.

N’est-ce pas légitime, d’autant plus que vous vous êtes beaucoup impliqué dans la victoire, en débauchant notamment de hauts responsables de l’opposition ?

Quand je suis arrivé, tous les maires quasiment étaient avec le président sauf un, en l’occurrence Alioune Mar. Je me suis surtout impliqué pour associer tous les gens qui étaient avec le président, mais qui étaient frustrés, qui étaient parfois même restés chez eux. Je les ai fait revenir. Ensuite, ce qui m’intéressait le plus, c’était d’intéresser des citoyens rufisquois qui ne s’intéressaient pas à la politique. J’ai aussi fait venir des représentants d’autres partis politiques. Ensemble, avec tous les responsables, nous avons travaillé pour réaliser une telle performance.

Maintenant que le président est réélu, quels doivent être les chantiers prioritaires de son prochain gouvernement ?

Le président les a déjà indiqués. Il a dit : ‘’Nous avons déjà fait beaucoup de choses sur le plan des infrastructures, du social… Maintenant, priorité aux réformes.’’ Il y a des réformes qu’on devait faire sur le secteur public, le secteur parapublic... Il y a des réformes à faire dans le pays, pour améliorer l’Administration, l’économie. Priorité donc aux réformes. Deuxième priorité, c’est l’emploi des jeunes. Il avait promis, lors de son premier mandat, 500 000 emplois ; il en a fait 491 000, presque 500 000. Maintenant, il dit 1 million. Je pense qu’on peut croire quelqu’un qui fait toujours ce qu’il dit.

Parlant de réformes, à quand la mise en œuvre des recommandations du Comité de concertation sur la modernisation de la justice ?

En principe, c’est une commission dont les travaux ont été remis au président de la République. Le président a donné son accord de principe pour que ces recommandations soient mises en œuvre. Mais il a dit que ça doit se faire de manière progressive, dans un agenda de réformes qui va consolider l’indépendance de la justice, mais qui ne va pas la fragiliser. Le président est donc d’accord sur le principe de réformer à partir des recommandations formulées par le comité. Mais selon un agenda raisonnable.

N’y a-t-il pas un retard dans l’exécution de cet agenda ?

Non, il n’y a pas de retard. La justice fonctionne bien. Tout le monde dit : la justice est indépendante, mais on peut améliorer cette indépendance. Je suis d’accord. Je ne dis pas autre chose. Voyez-vous qu’aujourd’hui la justice communautaire a rendu hommage à la justice sénégalaise. Malheureusement, la presse n’en a pas beaucoup parlé, alors que si c’était le contraire, elle en aurait fait ses choux gras (rires). La justice communautaire a donné totalement raison à la justice sénégalaise sur l’affaire Khalifa Sall, comme sur l’affaire Karim Wade. D’ailleurs, j’ai entendu les gens qui critiquaient les juridictions nationales commencer à critiquer la justice communautaire.

Mais cette dernière décision, c’est surtout par rapport à l’exclusion de Karim Wade des listes électorales et de son corolaire qui est le rejet de sa candidature…

Oui ! Mais c’est ce qui intéressait les requérants. Ils disaient qu’on les a condamnés pour les exclure du processus électoral. La cour a reconnu que la condamnation et ses effets ne posent pas problème. Aussi, il faut souligner que l’Etat du Sénégal a toujours respecté les décisions rendues par les juridictions communautaires. C’était le cas, par exemple, lorsque la Cour d’appel prenait sa décision, toujours dans cette affaire Khalifa Sall.

Quid de la décision du Comité des Droits de l’homme des Nations Unies dans l’affaire Karim Wade ?

D’abord, c’est rendu par un organe qui n’est pas une juridiction. Deuxièmement, ses décisions ne s’imposent pas au Sénégal. Troisièmement, ce sont des recommandations qui ont été faites au Sénégal et que nous accueillons favorablement, puisque nous sommes à l’aise avec celles-ci.

Où en êtes-vous avec le projet de modification du statut des notaires ?

Dans le respect de l’autonomie de la profession, j’ai demandé aux acteurs (Chambre des notaires, jeunes notaires et autres aspirants notaires) de discuter, de trouver un consensus et de revenir vers le gouvernement.

Qu'en est-il de l'idée prêtée au président de vouloir créer environ 30 nouvelles charges ?

C’est le consensus des acteurs de la profession qui sera privilégié.

Vous attendez-vous à être reconduit dans le prochain gouvernement ?

Pouvoir discrétionnaire du président de la République !

A quelle station serviriez-vous le mieux la République ?

Là où le président me mettra !

PAR MOR AMAR
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