Coumba Barry est une sénégalaise de 34 ans. Emmenée en Tunisie, depuis juillet 2013, par une étudiante tunisienne en pharmacie à l’UCAD, elle a vécu le calvaire.
''Dès le lendemain de mon arrivée, on m’a chargé de tout le travail domestique. Je préparais le repas. Je lavais le linge avec mes propres mains. Je repassais et faisais le ménage de toute la maison. C’était trop dur''. C’est en ces mots que la domestique sénégalaise a entamé le récit de son calvaire vécu en Tunisie.
Pourtant, avant de fouler le sol de Carthage, Coumba a travaillé chez Marième Moussa, une Tunisienne, étudiante en pharmacie à l’UCAD. ''Il n’y avait pas de problème, jusqu’à ce qu’elle décide de m’emmener en Tunisie''.
''Elle me devait deux mois et m’a proposé d’attendre d'arriver en Tunisie auprès de sa famille pour être payée'', raconte-t-elle d'une voix empreinte de mélancolie. Si à Dakar, les rapports entre Coumba et sa patronne étaient les meilleurs, en Tunisie, ils étaient tout autres.
La souffrance …
En Tunisie, elle va vivre un calvaire. Un exemple : ''Quand je lui ai proposé de laver les habits à la machine, elle m'a dit que j’étais venue pour travailler. Je commençais le travail à 6h du matin pour finir à 00h, sans répit et sans manger''. L'Eldorado pour elle s'était transformé en purgatoire.
''Parfois, il m’arrivait de rester les yeux ouverts jusqu’à l’aube. Car, en plus de mon travail, je m’occupais de deux enfants à longueur de journée et de nuit, comme si j’étais leur maman. Même le dimanche, je ne me reposais pas ! Même la voiture de la maison, c’est moi qui la lavais''. ''Même pour ma carte consulaire, la maman avait refusé, prétextant qu'on allait me refouler, si je sortais''.
''Après deux mois de labeur, j’étais épuisée. Je n’en pouvais plus. Je maigrissais. Je pleurais à longueur de journée, sans trouver de solution. Mais aussi, je n’arrêtais pas d’appeler ma famille pour qu'elle m’aide à rentrer au pays.
Mes parents m’ont envoyé de l’argent par le canal d'un ami à mon cousin. On me surveillait comme du lait sur le feu. Entre-temps, j’ai fait la connaissance d’un vieux taximan. Avec sa complicité, j’ai réussi à m'enfuir, un jour qu'ils étaient absents. Avec l’argent que j’avais, je suis allée me réfugier à Monastir (160 km de Tunis). A Monastir, dit-elle, ''je vivais dans le quartier de Kantawi''.
L'étudiante tunisienne qui, entre-temps, avait rejoint Dakar, finit par apprendre son évasion. ''Elle a appelé les membres ma famille à Grand-Dakar pour les menacer, puisque mon passeport était resté entre leurs mains''. Ensuite, elle a saisi la représentation diplomatique du Sénégal.
''On m’a conseillé de dire à ma famille de porter plainte contre Marième Moussa, l’étudiante, afin de récupérer le passeport et m’aider à regagner le Sénégal'', raconte-t-elle. Mais que faire devant la précarité de ses parents ? ''Mes parents sont vieux. Mon père ne travaille plus et ma mère est aveugle'', dit-elle.
La démission des familles sénégalaises
Aujourd'hui, Coumba travaille pour Ami Camara, une Sénégalaise établie en Tunisie depuis 2002. Auparavant, pendant 6 mois, elle a travaillé dans une pâtisserie. Elle s’occupe désormais des enfants de Ami Camara, moyennant un salaire de 400 dinars (environ 120 000 F CFA). Cette dernière témoigne qu'en Tunisie, ''99% des Sénégalaises emmenées par des Tunisiennes vivent le calvaire.
Dès que vous débarquez de l’avion, elles oublient tout ce qu’elles avaient promis au Sénégal. On te traite comme un esclave'', soutient-elle. Elle affirme que des cas comme celui de Coumba sont nombreux en Tunisie. C’est par le canal d’internet que l’appât est posé, témoigne Ami. ''Je veux dire aux familles sénégalaises de savoir comment s’y prendre, lorsqu'on sollicite leurs filles. C’est vrai, c’est difficile. Mais, il y a une démission des familles sénégalaises. C’est pourquoi, on sacrifie le plus souvent les filles. A l’État, nous demandons de jouer son rôle régalien de protection des Sénégalais de la diaspora'', lance Ami.
Et l'ambassade du Sénégal dans tout ça !
''J’ai pu obtenir ma carte consulaire. D’ailleurs, le consul Moustapha Fall m’a demandé de rentrer. C’est moi qui veux rester et travailler pour avoir quelque chose, avant de partir'', témoigne Coumba Barry. Quid de poursuites contre la famille tunisienne ? Ami Camara considère que l’ambassade est démunie. Car, des poursuites risquent de se retourner contre la jeune fille qui peut être accusée de vol, ''comme c'est toujours le cas dans de pareilles circonstances''.
''Nos autorités ne font rien du tout pour nous. On ne nous respecte pas, donc les Tunisiens ne nous respectent jamais'', fustige Ami Camara. Plusieurs témoignages révèlent que la secrétaire de l’ambassade, une Tunisienne, fait écran. ''Impossible de voir l’ambassadrice. Cette dernière n’a pas notre temps. Elle ignore même comment vivent les Sénégalais en Tunisie. C’est regrettable !'', s’insurge la jeune femme.
Toutefois, tous les Tunisiens ne sont pas ''mauvais'', reconnaît Ami. ''Il arrive parfois de rencontrer des femmes tunisiennes gentilles, accueillantes et solvables. Mais la plupart préfèrent faire des avances de salaire et attendre le 15 du mois, pour solder le reste''. Les salaires varient entre 100 à 150 000 F CFA. ''Les seuls salaires acceptables sont payés par les expatriés européens ou les Africains qui travaillent dans les institutions ou organismes internationaux'', révèle-t-elle.
''Les Africains étaient mieux traités avec Ben Ali''
Les Sénégalais vivant en Tunisie sont pour la plupart des étudiants. Les aventuriers travaillent dans le commerce et les autres métiers. Une raison qui explique que les autorités sont plutôt tournées vers les étudiants. Pourtant, Ami constate que les Tunisiens sont bien traités au Sénégal, ce qui n'est pas le cas pour les Sénégalais vivant en Tunisie.
''Pendant le régime de Ben Ali, les étrangers étaient mieux traités'', témoigne Ami. Sa tante Yacine Cissé, en Tunisie depuis 4 ans, travaille avec un expatrié européen. Elle déplore le comportement xénophobe des Tunisiens :
''Parfois, dit-elle, quand tu marches dans la rue, les enfants ou les jeunes te jettent des pierres, avec des mots grossiers''. Yacine invite le gouvernement sénégalais à penser aux Sénégalais de Tunisie. ''Certains sont dans les prisons, sans soutien'', regrette-t-elle.