Jamais une femme, africaine de surcroît, n’avait été le numéro deux de la Fifa. Isolée, parfois malmenée dans ce milieu très masculin, la Sénégalaise tient bon.
Depuis son bureau situé sur les hauteurs de Zurich, Fatma Samoura ne se fait pas trop d’illusions. À ceux qui l’interrogent, la secrétaire générale de la Fédération internationale de football association (Fifa) rappelle que le mandat qui lui a été confié en mai 2016 est d’une durée de trois ans. Elle assure aussi que son destin n’est pas lié à celui de Gianni Infantino, qui sera candidat à sa propre succession à la tête de la Fifa le 5 juin prochain. Mais elle sait que son puissant patron, avec lequel les relations se sont tendues ces derniers mois, sera selon toute vraisemblance reconduit à son poste et que le monde du football ne fait pas plus de cadeaux que celui de la politique.
Pour cette Dakaroise, tout avait pourtant bien commencé. Diplômée en commerce et en relations internationales, titulaire d’un master en anglais et en espagnol, elle travaille depuis une vingtaine d’années pour diverses agences des Nations unies quand elle rencontre Infantino à Madagascar, en 2015, en marge d’un match éliminatoire de la Coupe du monde 2018. À l’époque, Fatma Samoura est résidente coordinatrice de l’ONU et étrangère au monde du sport. Ébranlée par un vaste scandale de corruption, la Fifa tente, elle, de redorer son image. ‘’Je venais de passer plus de vingt ans à gérer des crises humanitaires en Afrique. J’avais l’habitude des situations compliquées !’’, résume-t-elle.
Les critiques
La nomination d’une femme au poste de numéro deux de la plus grande fédération sportive du monde ne passe pas inaperçue, et les commentaires, Fatma Samoura le sait, sont rarement à son avantage. À Zurich, on glose tantôt sur « la marionnette du président », tantôt sur « l’alibi féminin et africain au milieu d’hommes majoritairement blancs ». Ces remarques acides, la Sénégalaise ne les a pas oubliées mais ne veut pas s’y attarder : « Je n’ai jamais considéré que ma nomination était un cadeau qui m’était fait parce que je suis une femme africaine. » Elle ajoute : « Je ne pratique pas le foot, mais je connais les règles du jeu. C’est le sport roi au Sénégal. Je suis arrivée à la Fifa avec l’intention d’apprendre, de comprendre et d’agir. Je m’attendais à ces critiques, mais ce n’est pas le plus important. »
Chargée des réformes, du marketing, des finances, des contrats commerciaux ou encore du football féminin, Fatma Samoura affirme avoir malgré tout disposé d’une réelle autonomie. « En Afrique notamment, y compris dans les pays en crise, le football représente quelque chose de très fort. Il a un rôle unificateur. Souvenez-vous du Liberia : en 1996, quand des enfants soldats shootés à mort déposaient les armes, c’était souvent parce qu’il pleuvait, ou pour disputer un match. Et des années plus tard, au Rwanda, des Hutus et des Tutsis se sont retrouvés pour ériger un stade financé par la Fifa. C’est une image très forte. Aujourd’hui, le football est un instrument de socialisation pour les filles comme pour les garçons, et un accélérateur de diversité. »
À quelques mois de la fin de son mandat, Fatma Samoura continue de penser que le développement du professionnalisme sur le continent est une priorité absolue. L’organisation, qui alloue des sommes à certaines fédérations dans le cadre de différents programmes de développement, se montre d’ailleurs beaucoup plus attentive à la traçabilité des fonds. « Il faut que l’argent aille là où il doit aller et qu’il soit correctement utilisé, et nous y veillons. La Fifa ne peut plus se permettre de voir son image brouillée par des scandales financiers. » Elle explique que sur le continent l’organisation a ouvert des bureaux qui travaillent « main dans la main » avec les fédérations : « Le football africain a tout intérêt à se professionnaliser, à tous les niveaux. Si les joueurs évoluent dans de bonnes conditions, sur de bons terrains, avec des salaires décents, lors de compétitions qui se déroulent normalement, ils seront beaucoup moins tentés de partir. Il est inacceptable que les sportifs du continent fassent le bonheur de l’Europe, mais pas celui de l’Afrique ! »
Selon elle – et c’est un argument que, à son sens, les dirigeants des pays concernés ignorent trop souvent –, le football peut beaucoup apporter économiquement et aider à créer de nombreux emplois, directs ou indirects. « Pourtant, insiste-t-elle, les hommes politiques savent surfer sur la vague du foot quand elle leur est favorable ! Si les États aidaient à structurer ce sport, cela attirerait des sponsors, qui injecteraient des fonds. » Pour ce faire, et elle n’est pas la seule à dresser ce constat, « il faut promouvoir une nouvelle forme de gouvernance au sein des fédérations africaines, où il y a encore trop de présidents hyper puissants qui décident de tout ».
Son poste, stratégique, l’oblige à porter un regard avisé sur les finances de la Fifa. Dès son élection, Gianni Infantino avait promis une transparence totale. Désormais, toute dépense supérieure à 300 000 dollars passe obligatoirement par le bureau de Fatma Samoura avant d’être validée. La Sénégalaise, dont le salaire annuel atteint environ 1,2 million d’euros (hors avantages et bonus éventuels), a également mis fin à certaines habitudes datant de l’époque de son prédécesseur, le Français Jérôme Valcke. Cela lui a valu quelques inimitiés, mais elle paraît s’en moquer. « On demande seulement aux gens de rendre des comptes, ce qui me semble normal », conclut-elle. Peu après sa nomination, Fatma Samoura avait ainsi imposé aux dignitaires de la Fifa, habitués au luxe du prestigieux hôtel zurichois Baur au Lac, d’aller dormir ailleurs à l’occasion des réunions du conseil.
‘’Elle a une marge de manœuvre de plus en plus réduite’’
Depuis quelques mois, elle paraît avoir perdu le soutien de Gianni Infantino. Un rapport sur l’état de la Fifa commandé par l’Italo-Suisse a largement fuité en novembre dernier. Son management y est notamment critiqué. Un proche conseiller d’Infantino, cité dans les Football Leaks, y ajoute qu’elle « n’est plus en mesure de gérer et de motiver ses employés de manière appropriée ». « Elle a une marge de manœuvre de plus en plus réduite », confirme un proche de la Fifa, qui précise que le président de l’instance a veillé à placer plusieurs de ses « lieutenants », souvent venus comme lui de l’Union des associations européennes de football (UEFA). Dans les couloirs de la Fifa, les noms des possibles successeurs de la Sénégalaise circulent déjà, laissant penser que la première Africaine à occuper ce poste devra faire ses cartons dans quelques mois.