Des acteurs de l’éducation, dont des inspecteurs d’académie, s’interrogent sur la pertinence de la proposition de réforme du Baccalauréat du candidat du Parti de l’unité et du rassemblement (PUR), El Hadj Sall dit El Hadj Issa Sall, notamment en son volet portant sur la suppression des séries, une idée difficilement applicable dans le cas où elle serait adaptée au modèle sénégalais.
Dans son programme de campagne pour l’élection présidentielle du 24 février prochain, le candidat du PUR propose de supprimer les séries, pour un tronc commun de tous les élèves de la sixième à la terminale.
"Techniquement, c’est impossible parce cela va mettre en difficulté beaucoup d’élèves qui ont des compétences en littérature et pas en sciences, et vice-versa", a soutenu Moustapha Diouck, en charge de l’enseignement moyen secondaire à l’inspection d’académie (IA) de Dakar.
Il juge cette mesure "utopique", notant que dans l’élémentaire, les compétences sont orientées vers la maîtrise de la lecture et du calcul, et une fois au collège, en fonction des moyennes obtenues, l’élève est orienté vers les séries, d’où leur pertinence.
Le syndicaliste Amadou Diaouné du Syndicat unitaire et démocratique des enseignants du Sénégal (SUDES) s’interroge sur le profil des élèves devant être orientés dans l’enseignement supérieur en cas de suppression des séries, ce qui fait que cette réforme, ’’de prime abord’’, n’est pas pertinente à ses yeux.
"Il est nécessaire que les élèves soient orientés et formés en fonction de leur profil à partir de la Première et de la Terminale. Les séries +S+ et +L+ doivent subsister. En France, c’est le tronc commun jusqu’en seconde et après, il y a la spécialisation à partir de la Première et de la Terminale", dit-il.
L’inspectrice de l’enseignement moyen secondaire Fatima Ibra Sy Seck souligne également la pertinence des séries, en raison de profils "parfois plus littéraires que scientifiques" de certains élèves, et vice-versa, ajoutant que "ce n’est pour rien qu’on les oriente selon leur profil à l’issue des conseils de classe".
Même si Mme Seck estime que cette suppression des séries "n’est pas possible et ce n’est pas ce qu’il faut pour le système éducatif sénégalais", elle ajoute que "ce n’est pas une mauvaise idée en soi", à l’analyse des avantages que peut comporter une telle mesure.
"Peut-être avec des mesures d’accompagnement’’, il est possible d’arriver à la suppression des séries, explique-t-elle, ce qui supposerait que les méthodes d’enseignement soient revues, une approche nouvelle mise en place suivant laquelle on insisterait sur les compétences et "enseignerait autrement".
A en croire Mme Seck, "ce n’est pas une mesure que l’on peut appliquer du jour au lendemain. Il faut des préalables dès la sixième, faire des apprenants des élèves bivalents littéraires et scientifiques, pour qu’ils puissent se retrouver dans toutes les disciplines".
"Si l’on parle d’égalité de chance, il ne faut pas que nous imposions à nos apprenants une orientation", fait valoir Fatima Ibra Sy Seck, se prononçant pour le maintien des séries dans la mesure où les enseignements seraient adaptés aux besoins des élèves.
"Il faut revoir les programmes, former les enseignants pour qu’ils soient capables de permettre à l’élève de se mouvoir dans toutes les disciplines scientifiques et littéraires. Nous sommes dans un monde où l’élève doit être compétent et capable de réagir dans sa société et de s’ouvrir au monde et il a besoin de toutes les disciplines pour le faire", plaide Mme Seck, en poste à l’inspection d’académie de Dakar.
Son collègue Moustapha Diouck de la même inspection d’académie reprend en rappelant que l’Etat a mis en place une réforme datant de 2014 et qui vise à à financer des projets orientés vers les sciences.
"Après constat que plus de 70 % des élèves sont des littéraires, l’Etat a pris l’engagement de renverser la tendance pour avoir au moins 50/50 et par exemple, au niveau de l’IA de Dakar, un projet d’appui au développement de l’enseignement moyen est mis en place’’, avec comme premier critère d’éligibilité l’orientation des projets vers les sciences, a signalé Moustapha Diouck.
Selon lui, avec l’exploitation pétrogazière, "le Sénégal est obligé de tendre vers la formation technique et scientifique afin de préparer les élèves à gérer ces secteurs".
Pour Amadou Diaouné du SUDES, un inconvénient de la réforme prônée par le candidat du PUR tient à la difficulté d’établir les programmes d’enseignement dans le cadre d’un tronc commun.
"Les littéraires et les scientifiques auront-ils les mêmes matières et programmes et comment seront établis les coefficients ?, s’interroge-t-il.
Concernant l’enseignement obligatoire jusqu’à 16 ans, également prôné par le candidat du PUR dans son programme de campagne, ces acteurs de l’éducation rappellent que c’est une mesure qui existe déjà.
Selon le syndicaliste Amadou Diaouné, "cette mesure existe depuis 2004 avec la loi d’orientation de l’éducation modifiée dans le sens de rendre la scolarité obligatoire pour tous les enfants de 6 à 16 ans".
Mais, estime-t-il, "la mise en œuvre fait défaut car un million cinq cent mille enfants sont dans la rue, ils ne sont pas intégrés", notamment des pensionnaires des écoles coraniques.
Les inspecteurs d’académie abondent dans le même sens. Si Moustapha Diouck fait observer que cette mesure portant sur la scolarisation universelle est appliquée "depuis plus de dix ans", son collègue Fatima Ibra Sy Seck relève que "théoriquement cela existe, mais dans certains coins du Sénégal, l’école n’est pas prioritaire".
Les trois spécialistes sont de même d’accord pour dire que la mesure du professeur El Hadji Issa Sall concernant le regroupement des ministères de l’Alphabétisation, de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle "est impossible" à appliquer.
"Il n’est pas possible de regrouper tous ces ministères parce que c’est balèze, c’est une utopie. Il faut plutôt un travail de synergie", suggère Mme Sy.
Amadou Diaouné voit dans cette idée "une centralisation poussée", se demandant "si les sous-secteurs du Supérieur et de la Formation professionnelle pourront s’épanouir’’ dans ce cadre. "Ce sera difficile de gérer les départements", répond-il.
Moustapha Diouck affirme des réformes doivent être entreprises et soutient qu’il "faut un nouvel organigramme pour le ministère de l’Education par exemple, la mise en place des bureaux de cycle fondamental préscolaire et moyen et une direction de l’enseignement inclusif à la place d’une coordination".