L’indifférence de certains Sénégalais face à l’insalubrité, combinée au laxisme des autorités, fait de Dakar une capitale en proie à des déchets de tout genre. Pour preuve, aujourd’hui, plusieurs lieux de pêche sont transformés en décharge. Et, visiblement, le sentiment de ‘‘déjà vu’’ prime sur la volonté des uns et des autres de changer les choses.
En ces lieux, l’odeur de l’eau de mer se mélange à celle des eaux d’égouts du Canal IV. Comme chaque soir, aux environs de 17 h, les vendeuses attendent impatiemment l’arrivée des pirogues. Dès leur accostage, c’est la bousculade pour avoir les meilleurs poissons. Un enthousiasme renouvelé chaque jour qui cache mal leurs inquiétudes. Nichée sur la corniche-ouest de Dakar, la baie de Soumbédioune, l’un des points de pêche les plus populaires de la capitale, n’attire plus. Acheteurs habituels et touristes s’en détournent peu à peu.
Et pour cause, elle est envahie par des ordures, essentiellement constituées de matière plastique. Cette plage souffre de sa connexion avec le canal IV qui y déverse chaque jour son contenu de déchets liquides et solides. Selon El Hadj Amadou Dieng, Chef de la Division de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme à la Direction des services techniques communaux de Dakar, ‘‘ces ordures proviennent des ménages, mais en grande partie d’industries, d’entreprises comme les hôtels et restaurants situés aux abords de Soumbédioune.
Le canal a été conçu pour recevoir des déchets liquides, mais on se retrouve avec beaucoup de déchets solides, parce que ces dernières n’ont pas un système de prétraitement des eaux usées’’. Il estime que la baie de Soumbédioune pourrait générer beaucoup de revenus, si sa propreté était une priorité pour la mairie. Chaque jour, les eaux usées mélangées à d’autres déchets sont déversées dans l’eau de mer. A l’entrée du quai, trône un gros tas d’immondices dans lequel est enfouie la pancarte interdisant le dépôt d’ordures. Nombreux sont ces pêcheurs à se plaindre de cette pollution qui réduit considérablement la quantité de poissons pris. ‘‘Les déchets du canal ont tué tous les poissons qui vivaient en surface. Il nous faut désormais pêcher en haute mer, beaucoup plus loin, pour pouvoir ramener du poisson’’, affirme Mansour Faye, un pêcheur.
Panier sur la tête, Mariama Sarr s’empresse d’en déverser le contenu sur l’une des tables en ciment du marché. ‘‘Les recettes ne sont plus bonnes, parce que les clients se font rares. La plage, ses odeurs et ses déchets les font fuir’’. Cette insalubrité n’empêche point l’activité d’Ibra Fall, vendeur de fruits de mer. Le jeune homme accuse les vendeuses de poissons. ‘‘Le soir, après la vente, les femmes jettent leurs ordures en bordure de mer. On ne peut pas leur en vouloir non plus, elles n’ont pas d’autre endroit où le faire’’. Affairé à attiser le feu, il n’est nullement inquiété de fumer ses fruits de mer dans ce qui est devenu un dépotoir. ‘‘Il arrive souvent que des clients boudent mes produits, vu l’insalubrité des lieux, mais je n’ai pas le choix’’, reconnait-il.
Une gestion mal organisée
Depuis l’entrée en vigueur de l’acte 3 de la décentralisation, en mars 2013, la gestion des plages se fait autour d’un cadre mutualisé rassemblant la mairie, la Direction des services techniques et communaux et le ministère de la Pêche. Sauf que sur le terrain, il se pose un réel conflit de compétences. Cette nouvelle loi confère une certaine autonomie aux communes qui, paradoxalement, manquent de moyens pour agir. La mairie de Fass-Colobane-Gueule tapée affirme avoir effectué des séances de nettoyage trois fois cette année.
‘‘La dernière date du mois de novembre. Nous aurions voulu le faire chaque mois, mais il se pose un problème de moyens financiers et techniques’’. Tels sont les propos d’Ousseynou Sarr, Chef de la division technique de ladite mairie. Il a insisté sur le fait que la gestion environnementale de la plage est plus l’apanage de la Direction des services techniques communaux de Dakar. Selon lui, l’entretien de cette baie souffre d’influences politiques. Cependant, la direction précitée décrit une situation toute autre. En effet, elle estime que l’acte 3 a créé un flou sur les compétences des uns et des autres. L’autorité affirme que c’est à la commune de prendre ses responsabilités, parce qu’elle bénéficie des retombées des marchés de ces plages et des différentes activités économiques qui s’y déroulent. Surtout qu’elle empoche les patentes et autres taxes. Et M. Dieng de préciser : ‘‘Avant cette loi, nous agissions directement pour l’entretien de ces différents sites de pêche.
Aujourd’hui, d’un point de vue administratif, elle nous en empêche et confère une autonomie aux communes qui doivent émettre en amont un besoin pour pouvoir bénéficier des moyens nécessaires à l’exécution de leurs travaux.’’ A la problématique des moyens financiers évoquée par la mairie concernée, il objecte : ‘‘Le budget des mairies est décaissé en fonction des besoins qu’elles émettent. La question est de savoir si elles ont mis l’accent sur le nettoyage et la collecte d’ordures dans leur programme. Aussi, à mon avis, on peut créer des rentrées d’argent. Soumbédioune est entourée d’entreprises et d’hôtels de luxe. La mairie peut faire participer ces entrepreneurs à son projet d’assainissement. C’est dans leur intérêt ; il y va aussi de leur crédibilité. Nous, nous l’avons fait par le passé’’. Il en déduit que ces communes sont dans une logique individualiste, malgré leurs limites.
En effet, pendant qu’on parle d’une absence de la collecte d’ordures sur ces plages, on compte dans les locaux de la Direction des services techniques communaux un bon nombre de bacs à ordures qui n’ont jamais servis. Ce qui fait dire à M. Dieng que c’est une question de priorité, parce qu’aucune de ces communes n’a émis un besoin technique. ‘‘Je pense qu’il faut concrétiser ce cadre mutualisé afin que chacun bénéficie de l’expertise, des compétences de l’autre, sinon rien ne sera réglé’’.
Pour l’heure, un mois après le nettoyage, la baie de Soumbédioune est encore à la case départ. D’aucuns proposent une veille régulière des services de la gendarmerie et pourquoi pas la mise en place d’une brigade marine.
Autres lieux, même décor
A quelques 6 km à l’est de la corniche, le quai de pêche de Yarakh, un quartier de la commune de Hann Bel-Air, en cette matinée ensoleillée, ne grouille pas de monde. A part le débarquement de quelques rares pirogues, des vendeurs de poissons attendent tous la grande moisson du soir. Sauf que cette étendue de sable fin est aujourd’hui un dépotoir qui ne dérange plus personne. L’eau de mer noirâtre, parce que mélangée aux eaux d’égouts drainées par un canal de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas), est le lieu de baignade de plusieurs enfants. Les ordures ménagères, du plastique, des pneus traînent sur une plage qui, pourtant, reçoit poissons et fruits de mer.
Descendant de sa pirogue, Abdou Fall accourt sur le rivage, portant à l’épaule un panier bourré de petits poissons. Sans aucune gêne, il déverse le contenu sur le sable, à deux doigts d’un écoulement d’eaux d’égouts. En effet, faute de canalisation, les travailleurs du quai ont creusé dans le sol une rigole pour évacuer les eaux usées. Elle part des étals des vendeurs à la rive. ‘‘Ce n’est pas à nous d’assurer la propreté des lieux. C’est le rôle des agents de la mairie qui, pourtant, ne font rien. Ils sont néanmoins pressés d’encaisser les taxes’’, fustige Abdou Fall affairé à marchander ses poissons avec une vendeuse du coin. Sous les étals, des déchets de poissons, des nids d’asticots et plusieurs couches verdâtres offrent un décor qui pourrait couper l’appétit à l’estomac le plus solide.
Ce ne serait pas exagéré de dire que ces tas d’immondices font partie du quotidien des habitants du secteur. Si certains marchent tranquillement pieds nus dans cet environnement insalubre, d’autres choisissent de faire du thé, de prendre le repas, de discuter et même de fumer tranquillement près de ces montagnes d’ordures. Un peu plus loin du marché de poissons, l’on est accueilli par une puanteur due à des tonnes de déchets hautes comme un mur d’habitation. A cela s’ajoutent de vieux frigos en panne depuis plusieurs mois et un bon nombre de vieilles pirogues. Le groupe de Moussa Diop semble s’accommoder à ce décor. Cigarette en main, ils s’accordent tous pour dire que ‘‘tard le soir, les gérants de restaurant, de gargote et même d’hôtel viennent déverser ici toutes leurs ordures. Les collecteurs d’ordures ménagères dans les quartiers le font aussi. Pourtant, les responsables du quai le savent, mais ils ne font rien’’. Ils estiment que, d’autre part, c’est aussi aux populations de revoir leur comportement.
Responsable du prélèvement des taxes, Mamadou Diop affirme que le nettoyage est assuré chaque jour et que ce sont plutôt les habitués du quai qui sont indifférents à la saleté.
Si l’eau de mer est encore bleue et claire, ici, c’est le ballet incessant de femmes déversant leurs ordures ménagères mélangées aux eaux usées sur la rive ou dans la mer qui attire l’attention. La plage de Yoff, située au nord-ouest de Dakar, est aussi confrontée à un problème d’insalubrité. A la question de savoir pourquoi le choix de la mer, elles répondent toutes d’un air gêné ne pas avoir d’autres endroits pour le faire.
C’est une routine dans ce quartier de la commune dénommé Yoff-Tonghor. Pourtant, selon Abdoulaye Diop, un groupe de femmes délégué par la mairie assure le nettoyage collectif. ‘‘Il faut que les jeunes nous aident. Les ordures ne cessent d’augmenter et malgré les multiples séances de nettoyage, rien ne change. Peut-être qu’on devrait imposer des taxes à tous ceux qui déversent des ordures ici’’. Le vieil homme habite Yoff depuis plus de trente ans. Il tient à la propreté des lieux, ce qui lui vaut d’être engagé auprès des agents de la mairie. Sur une partie de la rive, les déchets et l’eau de mer ne font plus qu’un. Pour lui, tant que les populations ne prennent pas conscience des dégâts de leurs actes, on ne sera pas encore sorti de l’auberge.