Mandiaye Gaye se présente volontiers comme un autodidacte dont l’histoire individuelle est portée par ses engagements dans la lutte anticoloniale, puis contre le régime néocolonial qui lui a succédé après les indépendances. Il connut la prison et la clandestinité qui ont forgé en lui un patriotisme de conviction toujours renouvelé au gré des luttes inlassables pour un Sénégal libre et démocratique. Dans cette tribune, l’écrivain et militant dénonce le « traitement irrespectueux »infligé aux demandeurs de visas pour la France.
« Au Sénégal, une demande de visa au consulat de France, même déposée en bonne et due forme, peut durer plus de deux mois, sans aucune explication.Les demandeurs de visasne me contrediront pas. Pour les Sénégalais, c’est la croix et la bannière pour obtenirun visa dans un délai raisonnable. Les autorités sénégalaises observent et laissent faire le Consulat de France et le centre de visas VFS Global (partenaire externe de l’ambassade de France à Dakar pour le dépôt de demandes de visas, NDLR).
L’attitude des autorités françaises n’est ni plus ni moins que la preuve manifeste de leur manque total de considération à l’égard des autorités sénégalaises, qu’elles prennent comme leurs simples subordonnés. Cette attitude inconcevable de la France signifie que les anciens rapports entre la France coloniale et le Sénégal colonisé n’ont nullement changé. Malgré l’indépendance du Sénégal et sa souveraineté nationale supposées depuis de 58 ans.
C’est bien ce comportement indigne et peu patriotique (des dirigeants) de notre pays qui permet à la France de continuer d’agir comme par le passé avec le Sénégal. Oui, parce que le Sénégal accepte encore de se soumettre aux désirs de la France, mêmes ceux les plus extravagants et inacceptables,sans broncher ou exiger, tout au moins, le respect réciproque. Cet état de fait ressemble fort bien au rapport entre le cavalier et son cheval.
Présentement, et en l’état actuel des choses,la France bénéficie de tous les privilèges souhaités au Sénégal, sans aucune contre partie équivalente pour notre pays. La preuve,le Sénégal a accordé à la France des facilités exorbitantes dans tous les domaines, tant, au plan commercial, industriel que touristique. C’est ainsi que ses ressortissants peuvent entrer et circuler au Sénégal sans visa. Sans contrepartie significative. Bien au contraire, c’est une restriction quasi-totale synonyme de discrimination que l’on oppose aux Sénégalais désireux d’entrer sur le territoire français.
Cette attitude hostile de l’État français à l’encontre des Sénégalais est une insulte que la France jette à la figure de nossi dociles dirigeants. Ce traitement dégradant des Français à notre égard est tout le contraire des faveurs que les autres ex-puissances coloniales accordent en matière de visa aux ressortissants de leurs ex-colonies. Mais, dans le cas d’espèce,il faut bien admettre que la faute incombe, entièrement, aux autorités sénégalaises qui acceptent de satisfaire docilement, comme un État colonisé, toutes les sollicitations (exprimées) par la France sans oser exiger une contrepartie équivalente.
C’est pourquoi la France nous traite comme un département et non d’égal à égal et des rapports basés sur le principe de la réciprocité. Comme le dit un adage de chez nous : « Le cordonnier exécute votre commande en fonction de votre personnalité et tenue en face de lui » ou autrement dit : « Qui se fait brebis, le loup le mange ».
L’État français est bien amnésique. Car, il oublie totalement que (nos) grands parents tirailleurs sénégalais ont donné, lors des deux guerres mondiales leurs vies pour libérer la France des griffes de l’Allemagne nazie. Ce souvenir doit être impérissable dans la mémoire historique de l’État français quels que puissent être ses dirigeants d’aujourd’hui comme de demain. Oui, le sang des Africains, à savoir ceux dont les petits-fils sont aujourd’hui indésirables et considérés comme des pestiférés sur le sol français, a pourtant coulé sur ce même sol hier pour défendre et sauver la France, occupée par l’Allemagne nazie.
La France doit réviser son comportement. Certes, elle est libre et souveraine d’accorder ou de refuser le visa aux demandeurs, mais elle n’a pas le droit, surtout pour un service payant, de garder les dossiers, prétendument, pour traitement, plus d’une semaine, au plus. La question s’adresse aussi au Sénégal et globalement à tous les pays ex-colonies françaises afin qu’ils adoptent enfin une attitude plus digne devant la France. Ensuite, au nom de leur souveraineté proclamée, qu’ils fassent au moins prévaloir le principe universel de la réciprocité dans les rapports entre États. Il est temps que les ex-colonies françaises se départissent de leur complexe face à la France. »