Présent dans le processus électoral depuis le début, le directeur exécutif de l’Ong 3D crache ses vérités crues dans le plat électoral. Remplacement des membres du Conseil constitutionnel dont les mandats sont arrivés à terme, accès de l’opposition au fichier, la société civile électorale… Moundiaye Cissé dit tout. Sans langue de bois !
Globalement, quel regard portez-vous sur le déroulement de cette campagne de collecte des parrainages ?
En tant qu’observateurs, nous avons fait un monitoring du parrainage. Jusqu’ici, il n’y a pas d’incidents majeurs. La collecte se fait normalement. Pas de récriminations majeures, en dehors des accusations d’achats de conscience. Ce qui est difficile à traquer, à prouver. Nous ne pouvons donc dire, preuves à l’appui, que ces pratiques, qu’on pourrait qualifier de corruption électorale, existent. Pour nous, ce qui est important est que la vérification, in fine, des signatures, se fasse de façon efficace, équitable et qu’aucun candidat ne soit lésé. C’est pourquoi nous avons anticipé sur les choses, en allant voir notamment le président du Conseil constitutionnel pour un certain nombre d’éclairages.
Qu’est-ce qui est ressorti de cette rencontre avec le Conseil ?
Le président Sakho nous a rassurés. Il a dit qu’ils vont mettre en place le dispositif nécessaire pour permettre aux candidats d’être présents au moment du contrôle. Je pense que c’est fondamental pour la sérénité des débats. Il faut dire que la loi a prévu un tel dispositif, mais c’est à titre facultatif. Il ressort, en effet, du Code électoral que le Conseil constitutionnel peut mettre en place une commission de vérification des signatures en présence des candidats. Si l’on se fie à cette disposition, le Conseil pouvait donc ne pas le faire. C’est pourquoi, nous sommes allés rencontrer le président qui a donné des gages quant à la mise en place d’une telle commission. Nous sommes même allés plus loin, en demandant que la société civile puisse être représentée dans ladite commission. Cela permettrait de restaurer la confiance et de permettre à la population d’avoir la bonne information par rapport à ce qui va se faire. Sur ce dernier point, le président a promis de l’étudier, parce que n’étant pas prévu par les textes. Mais elle n’est pas non plus interdite et en droit, ce qui n’est pas interdit peut être permis.
Quels sont les autres points que vous avez abordés avec le Conseil constitutionnel ?
Avec le président du Conseil, nous avons aussi parlé des membres du Conseil constitutionnel dont les mandats sont arrivés à terme. Comme vous le savez, ledit Conseil est composé de sept sages. Au moment où on rencontrait le président, il y avait un parmi les sept dont le mandat était arrivé à terme. Ce qui nous a préoccupés. Le président nous a rassurés qu’il ne fait pas siéger le membre dont le mandat est arrivé à terme. Et comme à cinq, ils ont le quorum, il n’y avait pas péril en la demeure. Par la suite, un autre membre a vu son mandat s’épuiser en octobre. On se retrouve donc avec juste le quorum. Cela pose un véritable problème. Nous lançons donc un appel au président de la République pour le remplacement de ces membres.
Et il n’y a pas que le Conseil constitutionnel qui se trouve dans cette situation. Ces remarques sont aussi valables pour la Cena (Commission électorale nationale autonome) où 5 sur un total de 12 membres doivent être remplacés. Ceux qui sont censés veiller sur l’application de la loi doivent être les premiers à respecter cette loi. C’est dommage qu’on n’ait pas cette culture de renouveler les hommes au moment qu’il faut et conformément aux exigences légales. Nous n’avons rien contre ces gens, c’est juste une question de principe. La loi doit être respectée dans toute sa rigueur. C’est aussi valable pour le Cnra. Laisser ces personnes à leur poste, c’est la porte ouverte à l’illégalité. On ne peut pas être dans l’illégalité et statuer sur des questions de légalité. On pourrait en dire autant de l’Armp. Mais c’est un autre sujet. En tout état de cause, le président Macky Sall gagnerait à faire preuve de plus de rigueur sur ces genres de questions.
Quid de la vérification matérielle des signatures, puisqu’il y a beaucoup d’appréhensions à ce niveau. Le Conseil a-t-il donné des garanties à ce niveau ?
Là, c’est la loi même qui donne au Conseil la possibilité de s’adjoindre toute équipe pour accomplir cette tâche. Le président a affirmé que le nécessaire est déjà fait et qu’il n’y aura aucune difficulté particulière. C’est dire que c’était une rencontre très utile qui nous a permis d’avoir des gages sur un certain nombre de questions.
D’abord, il faut noter que les opérations de vérification vont commencer dès le 11 décembre. Et les candidats pourront procéder aux dépôts du 11 au 26 décembre. La liste définitive sera publiée au plus tard le 20 janvier 2019. Il faut également noter que beaucoup de ces acquis ont été enregistrés grâce au combat de la société civile. Il en est de même de la possibilité, pour les candidats, de régulariser au cas où ils ont des problèmes avec certaines signatures. Ça aussi, il faut s’en féliciter.
Votre campagne de communication autour du parrainage signifie-t-elle qu’il y a un manque d’engouement du citoyen ?
Pas exactement. Nous avons initié une campagne de communication portant sur trois étapes. Comme il y a eu beaucoup de confusions autour de ce parrainage, il était de notre devoir, en tant qu’organisation de la société civile, d’aider ces populations à mieux comprendre ce qu’est le parrainage, les inviter à plus de civisme, en évitant les achats de conscience, leur montrer que le parrainage multiple est interdit, leur faire savoir également que parrainer un candidat ne signifie pas qu’on va voter pour lui. Dans une deuxième partie, nous allons faire une campagne pour inciter les Sénégalais à aller retirer leurs cartes au bon moment. On se rend compte parfois que les gens ont la volonté, mais ne savent pas quoi faire. C’est pourquoi, il ne faut se lasser de leur montrer certaines choses basiques, mais très utiles. Nous devons aussi reconnaitre que le monitoring qu’on a fait montre qu’il n’y a pas d’engouement par rapport à cette campagne pour le parrainage, que ce sont les candidats qui arrachent le parrainage difficilement. Les gens ne se lèvent pas volontairement pour parrainer. C’est aussi une question de culture.
Malgré cet obstacle, on note une multitude de candidats. Aujourd’hui, ne faudrait-il pas être plus sévère dans l’encadrement de cette loi électorale ?
Il faut plutôt dire qu’il existe une multitude de candidats à la candidature. In fine, vous verrez qu’on n’aura pas plus de 15 candidats. Déjà, quand on parlait de 10 000 signatures avant la réforme, certains peinaient à les mobiliser. Et ce n’était pas n’importe qui. Aujourd’hui, on a multiplié la difficulté par 6. Vous vous rendez-compte ! Les jours à venir vont vous édifier, mais je suis sûr que le nombre de candidats sera fortement en baisse. Je suis cependant d’accord qu’à l’avenir il faudra tirer des enseignements par rapport à cette pagaille dans les déclarations de candidatures. On pourrait, par exemple, demander la caution avant le retrait de la fiche de parrainage. Les acteurs politiques vont devoir discuter de tout ça.
Vous vous êtes ligués avec l’Usaid et l’Ums pour la régularité du scrutin. Qu’est-ce qui justifie une telle démarche ?
Il s’agit de mutualiser nos forces pour renforcer les capacités de ceux qui interviennent dans le processus électoral. C’est le cas des magistrats qui sont présents durant tout le processus. C’est eux qui ont la charge de trancher les litiges. Il faut donc qu’ils soient au top, d’autant plus qu’il y a des magistrats qui viennent chaque année. C’est dans ce cadre que s’inscrit notre projet articulé autour de ce qu’on appelle ‘’Sunu élections’’. C’est d’ailleurs l’occasion de saluer le travail de ces magistrats qui ont toujours fait preuve, dans l’ensemble, de professionnalisme. Le seul aspect qui soulève parfois des équivoques, c’est par rapport au Conseil constitutionnel qui s’est souvent déclaré incompétent. Nous avons bon espoir que les choses vont s’améliorer au bénéfice de la paix et de la stabilité sociales. D’ailleurs, nous avons, à partir de demain (aujourd’hui) un atelier dans le cadre du même programme. Seront présents la justice, la Cena, le ministère de l’Intérieur, la société civile, tout le monde. On va discuter de comment arriver à des élections apaisées, libres, démocratiques et transparentes.
Avec la cristallisation des positions de part et d’autre, n’avez-vous pas peur de lendemain électoral mouvementé ?
Bien sûr qu’il y a de quoi avoir peur. Les nerfs sont hyper tendus. Comme à l’approche de chaque scrutin d’ailleurs. C’est la grande incertitude. On ne sait pas de quoi demain sera fait et c’est ce qui n’est pas normal. On doit pouvoir aller à des élections avec un esprit tranquille. Ce qui n’est toujours pas le cas. Cette fois-ci, cela a été exacerbé par les affaires Karim Wade et Khalifa Sall. C’est la première fois qu’on va à des élections avec l’absence des principaux challengers. On peut également citer, dans le même registre, le manque de consensus autour des règles du jeu, tout comme la récusation des maillons essentiels que sont le ministre de l’Intérieur et la Cena. Voilà un cocktail Molotov qui n’est pas de nature à apaiser le climat. Il faut aujourd’hui une ultime concertation sur la question. Et je pense que l’opposition doit accepter de rencontrer le chef de l’Etat dans ce sens. On pourrait ainsi décrocher quelques acquis qui ne vont que renforcer la stabilité de notre pays.
Justement, cette opposition exige la mise à sa disposition du fichier électoral. Que pensez-vous d’une telle requête ?
On ne devrait pas en arriver là. L’Etat aurait dû autoriser l’opposition à y accéder depuis longtemps. La requête de l’opposition est non seulement légitime, mais elle est légale. Le fichier est le nerf de la guerre pour une élection. C’est donc tout à fait normal que les partis aient au moins accès à ce fichier. Rien ne l’interdit. L’article L11 prévoit que le fichier doit être mis à la disposition des candidats 15 jours au moins avant le scrutin. Cela veut dire que l’Etat peut le faire bien avant et cela ne ferait que renforcer la confiance des acteurs. Maintenant, du côté du ministère, on pourrait dire qu’ils ne peuvent remettre le fichier à des gens dont la candidature même n’est pas assurée. Cet argument passerait moins pour le droit de regard des parties prenantes prévues à l’article L48. Nous ne parlons que de l’accès, non de la mise à disposition. L’Etat peut même aller plus loin, en permettant aux experts de l’opposition de venir faire un audit complémentaire.
Comme à la veille de chaque élection, on constate une prolifération d’organisations se réclamant de la société civile. N’y a-t-il pas un business des élections dans cette société civile ?
Vous savez, dans tous les secteurs, c’est valable pour les syndicats, les partis politiques, la presse… il y a une prolifération partout. Certains utilisent ces structures pour en faire un fonds de commerce. C’est aussi valable pour la société civile. Les brebis galeuses sont partout. Mais il ne faut jamais généraliser. Il y a, à côté, des gens qui croient profondément aux idéaux de la gouvernance transparente, à la démocratie et qui se mobilisent matin et soir, en investissant leur temps, leurs ressources, pour faire avancer les choses dans ces domaines. Nous le faisons avec ou sans financements parce que nous y croyons fermement. Maintenant, pour l’accomplissement de certains projets, nous avons besoin de partenaires. Ces derniers n’engagent pas leurs fonds dans n’importe quelle structure. Ils travaillent avec les plus crédibles.
Mais aujourd’hui, cette société civile a été infiltrée par des hommes politiques qui ont fait long feu dans l’arène politique, avant de se reconvertir. Cela ne donne-t-il pas raison à ceux qui disent qu’au Sénégal, il y a une société civile encagoulée ?
Moi, je n’en fais pas partie. Je n’ai jamais milité dans un parti politique. De tout temps, j’ai opté d’être du côté des citoyens, de contribuer à l’amplification de la voix de tous ces Sénégalais, tout aussi vaillants, mais qui ne peuvent accéder à certaines instances pour se faire entendre, et il y en a qui le font mieux que moi dans cette société civile. D’autres ont choisi de faire la politique, ils ont aussi un grand mérite ; j’ai pour eux le plus grand respect. Mais il y a des gens qui étaient, comme vous dites, dans les partis, qui, à un moment de leur existence, ont voulu abandonner les luttes politiques pour intégrer la société civile. C’est le cas, par exemple, de nos amis du Gradec qui ont quitté la sphère politique depuis 2012. C’est leur droit le plus absolu. Je ne veux juger personne.
N’est-ce pas un problème, du point de vue de la crédibilité ?
Ce n’est pas à moi de le dire. C’est l’Etat qui décide, qui donne les autorisations. L’inverse est également vrai. Il y a des gens qui étaient dans la société civile et qui finissent par rejoindre l’Etat. Les gens sont libres d’agir dans un sens ou dans un autre. De toute façon, les Sénégalais sont suffisamment intelligents pour savoir qui est qui.
Où en est cette société civile avec votre demande d’être impliquée dans le processus d’élaboration du nouveau code pétrolier ?
Il faut souligner que c’est le président de la République lui-même qui avait pris cet engagement. Et c’est tout à fait normal que la société civile soit impliquée pour des questions aussi importantes. Nous déplorons donc la non implication de la société civile dans le processus d’élaboration et d’approbation du nouveau code pétrolier, malgré les instructions fermes du président de la République. Nous sommes dans un pays où le chef de l’Etat donne des instructions à ses ministres qui passent outre. Au moment où on refuse ce droit à la société civile, on l’accorde à certains partenaires financiers de l’Etat. C’est anormal, dans un pays qui se respecte. C’est inacceptable que la gestion de nos ressources ne puisse incomber qu’à une poignée de personnes. Je pense qu’au-delà de la société civile, il faut aussi impliquer le Parlement dans toutes ses composantes. Aujourd’hui, tout se décide entre trois personnes et c’est regrettable.
L’actualité est aussi marquée par les multiples fatwas du chef de l’Etat contre les usagers des réseaux sociaux. Pourquoi tant d’aversion contre ces moyens de communication ?
C’est vrai qu’il y a quelques écarts au niveau des réseaux sociaux, mais ce n’est pas aussi catastrophique qu’on veuille nous le présenter. Je suis d’accord qu’il faut plus de responsabilité, mais ce n’est pas par la répression qu’on va le régler. La réponse doit être pédagogique et non policière. Le gouvernement gagnerait à éduquer, à sensibiliser les populations, non à jouer sur le registre de la répression. Cette réforme envisagée par les pouvoirs publics nous préoccupe. Elle traduit un recul démocratique notoire, un recul sur les libertés. Il faut que l’Etat sache que la répression crée la rébellion et la rébellion mène au chaos. Aujourd’hui, on ne sait pas ce qui sous-tend cette réforme liberticide. Les gens sont en droit d’être inquiets sur les motivations d’une telle loi, en cette veille d’élection présidentielle.