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Tirailleurs sénégalais: «La France n’a pas respecté intégralement ses promesses»
Publié le jeudi 8 novembre 2018  |  RFI
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© Autre presse par DR
Un défilé de tirailleurs à Dakar
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« Pendant la Première Guerre mondiale, quelque 200 000 combattants africains se sont battus pour la France, mais aussi pour eux-mêmes », a lancé avant-hier le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, lors d’une cérémonie du souvenir à Reims, dans le nord-est de la France. Entre 1914 et 1918, près de 30 000 tirailleurs africains sont morts dans les tranchées. Mais leur sacrifice a-t-il été reconnu par la France ? Le professeur sénégalais Mor Ndao enseigne l’histoire à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. En ligne du Sénégal, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Est-ce que la France a été reconnaissante à la hauteur du sacrifice consenti par les tirailleurs sénégalais ?

Mor Ndao : Je serais un peu dubitatif parce que la France a été reconnaissante, mais sur le tard. Il me semble que des gens mobilisés dans un contexte extrêmement difficile, qui ont contribué par l’impôt du sang et la mobilisation de la colonie par rapport à l’effort de guerre méritaient reconnaissance de la France après la démobilisation. La preuve, on peut prendre l’exemple d’Abdoulaye Ndiaye qui, des décennies durant, ne savait même pas, dit-il, qu’il y avait des pensions. Donc il a vécu dans la misère, dans l’isolement, dans le dénuement après la campagne, les grandes campagnes de la Grande Guerre. Il a été blessé à plusieurs reprises. Mais dès qu’il a été démobilisé, il a plongé dans l’oubli, dans le dénuement, dans la pauvreté. Et lui, c’est par hasard qu’on lui a dit qu’il y a des pensions, qu’il faut aller à Dakar. Le jour où il devait être décoré et reconnu par la France avec la Légion d’honneur, le lendemain il est décédé. C’est tout un symbole. Donc si la France a reconnu le rôle majeur de ces tirailleurs durant la Grande Guerre, c’est sur le tard. Et toute la production agricole de l’Afrique occidentale française a été réquisitionnée par le ministère du Ravitaillement.

Pendant les trois premières années de la guerre de 14, le recrutement de soldats africains s’est très mal passé. Il y a eu des révoltes dans les villages. Puis sont arrivés Georges Clémenceau et Blaise Diagne. Qu’est-ce qui a changé avec ces deux hommes ?

Vous savez Clémenceau a une vision un peu plus humaniste de la colonisation. C’est la théorie de l’association, c’est un peu la reconnaissance de ces populations qu’il faut civiliser, mais aussi qu’il faut assister. C’est ça le génie de Clémenceau. Blaise Diagne aussi, c’est la rupture, c’est la première fois qu’un Noir a été porté à la tête de la colonie pour représenter « les quatre communes » [Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar]. Et Blaise Diagne a noué des alliances avec les chefs religieux, avec Cheikh Amadou Bamba pour établir une alliance, une coopération entre l’administration coloniale et les chefferies traditionnelles. Et ces chefs religieux ont mobilisé leurs fidèles comme troupes qu’ils ont mises à la disposition de l’administration coloniale. Donc il y a une alliance avec Blaise Diagne qui a travaillé le terrain, qui s’est allié avec les chefs religieux pour progressivement faciliter l’adhésion des populations à la cause sacrée, c’est-à-dire défendre la France. Donc si dans un premier mouvement, il y avait une réticence, à partir de 1916-1917, il y a un engouement avec l’appui des chefs religieux.

Est-ce qu’on peut dire que les quelque 77 000 Africains recrutés par Blaise Diagne l’ont été sous la contrainte ou bien sans la contrainte ?

Durant la première phase, il y a la contrainte qui a prévalu, ce qui s’explique par des évitements, des fuites vers la Gambie, vers la Guinée Bissau, des révoltes partout. Mais dans le cas spécifique du Sénégal, l’apport des chefs religieux a calmé, disons la situation. Il y a eu une adhésion massive des populations durant la seconde phase. Et dans la seconde phase, à partir de 1916, en fait avec la venue de Blaise Diagne, il a pu réussir à concilier les chefs religieux, comme les chefs mourides, Serigne Touba, Cheikh Amadou Bamba, comme le chef des Tidiane. Et ceux-ci progressivement ont adhéré avec les fidèles aux opérations de recrutement. Donc dans cette seconde phase, on peut dire que la contrainte n’a pas été de mise parce que c’est une sorte de coopération qui a été établie entre les chefs religieux, les chefs traditionnels et l’administration coloniale, lesquels chefs traditionnels ont mis à la disposition de l’administration coloniale, les talibés, les fidèles. Et pour donner l’exemple, ils ont donné leur fils aîné. Je donne l’exemple de Ahmed Sy qui est mort à Salonique, le fils ainé du Khalife des Tidiane. On peut dire en résumé, si dans la première phase il y a eu des évitements, des révoltes, des soulèvements partout, à partir de 1915, lorsque Blaise Diagne avec la mission Blaise Diagne, il y a eu adhésion construite avec un impôt du sang pour mettre à la disposition de l’administration coloniale les fidèles et les populations locales.

Donc le fils aîné du khalife général des Tidiane est mort au combat en Europe. Et alors dans ces tournées dans l’actuel Sénégal, l’actuel Mali, l’actuel Burkina Faso, Blaise Diagne disait à ses frères africains : « En versant le même sang que les Blancs, vous obtiendrez les mêmes droits que les Blancs ». Est-ce que sa promesse a vraiment été tenue ?

Pas du tout. Franchement. Il y a eu des révoltes de tirailleurs en Guinée de retourner au front, des grèves à travers l’Afrique occidentale française. Donc la France n’a pas respecté vraiment la parole avancée. Et même sur la question du travail forcé aussi, ni Blaise ni la France n’ont tenu intégralement leur promesse. Le système colonial, c’est ici parce que d’abord Blaise Diagne a défendu le travail forcé au Congrès de Genève de 1932. A côté, il y a un mouvement nationaliste comme Lamine Senghor qui ont posé la question de la dignité de l’homme noir qui a été appuyée par des éléments de la diaspora comme René Maran. Donc il faudrait attendre 2001 pour que la décristallisation soit effective sous le président Wade. Donc la France n’a pas joué le jeu. Elle n’a pas respecté les engagements. Et pourtant ce sont des frères d’armes. Pourquoi pas le même traitement avec leurs frères d’armes que ça soit en à Calais, à Reims ou à Verdun. Partout, ils ont subi les risques de la confrontation. Et de retour, ces promesses n’ont pas été tenues par la France.
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