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Sénégal L’utopique fixation des prix du loyer des locaux a usage d’habitation
Publié le jeudi 8 novembre 2018  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
Surface corrigée : adoption d’un Projet de loi portant baisse des loyers
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Le pouvoir d’achat de la majorité des sénégalais est aujourd’hui éprouvé par les prix astronomiques des loyers pratiqués dans le marché de l’immobilier.

Les prix du loyer ont atteint des sommets jamais égalés, hors bourses, alors que leur fixation a toujours été un véritable casse-tête du législateur Sénégalais.

HISTORIQUE DE LA REGLEMENTATION
Le droit au logement est un droit fondamental, et depuis 1952, le rapport entre bailleur et locataire fait l’objet d’une règlementation particulière au Sénégal. En effet, le législateur soucieux de la protection des citoyens d’éventuelles pratiques susceptibles d’anéantir son pouvoir d’achat a tenté d’encadrer de son mieux la fixation du prix des loyers des locaux à usage d’habitation.

De La distinction à la généralisation de la réglementation de la fixation des prix du loyer des locaux à usage d’habitation
Les pouvoirs publics avaient commencé par faire une distinction entre le bail à durée déterminée et celui à durée indéterminé. Cette différenciation est établie par le décret N°76-696 du 9 Juillet 1976 relatif au montant du loyer des immeubles donnés à bail pour une durée indéterminée. Elle sera précisée par l’article 572 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, qui indiquait que : « le prix des beaux à usage d’habitation à durée déterminée était fixé librement entre les parties tandis qu’il était règlementé pour ceux à durée indéterminée ».

Cependant, les bailleurs ne concluant que des baux à durée déterminée puisque leurs étant plus favorables, augmentaient les montants des loyers à leur guise. C’est en ce sens que le législateur, pour juguler cette hausse incontrôlée et injustifiée des montants des loyers de la part des propriétaires, finit par règlementer tous les loyers à usage d’habitation afin d’interrompre ces abus très pesants sur le coût de la vie.

Ainsi, il rajoute au Code des Obligation Civiles et Commerciales un article 572-1 par le biais de la loi n°77-61 du 26 Mai 1977 qui précise : « Que le bail soit à durée déterminée ou à durée indéterminée, le montant du loyer est fixé par rapport à l’évaluation faite de la valeur de l’immeuble ». Aujourd’hui, cette disposition (article 572-1) est maintenue dans l’article 572 de la loi n° 84-12 du 4 Janvier 1984 sur les baux à usage d’habitation dans son alinéa premier.

L’institution des commissions d’évaluation
Le législateur a mis sur place des commissions d’évaluation régionales chargées de l’évaluation de la valeur des immeubles et une commission nationale de contrôle des opérations immobilières dont l’avis est recueilli par le ministre chargé des domaines. Suite à des abus notés depuis le début de l’année 1976 et la complexité des travaux à accomplir par les commissions d’évaluation, le législateur fixe à titre transitoire le montant du loyer des locaux à usage d’habitation à travers la Loi n°77-62 du 26 Mai 1977.

Avec le décret n°77-527 du 23 Juin 1977 relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation, le prix du loyer qui était fixé à 8% de la valeur réelle de l’immeuble auparavant passe à 12% et les immeubles de haut standing admis jusqu’à 18%. Toujours cherchant à protéger les locataires contre l’évolution rapide de la valeur des terrains, des constructions et des charges d’entretien, le législateur prévoit que la valeur locative ne peut être révisée qu’à l’expiration d’une période de trois ans selon certaines modalités qu’il a définies.

C’est ainsi qu’avec le décret n°81-609 du 17 Juin 1981 abrogeant et remplaçant les articles 6 et 7 alinéa 2 et 12 du décret 77-527 du 23 Juin 1977 relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation, le montant du loyer passe au maximum à 14% de la valeur réelle de l’immeuble.

De la répression des hausses illicites des loyers
En 1981, on assiste à un déficit de logement au Sénégal surtout dans les centres urbains. Ceci aura comme conséquence une augmentation vertigineuse des prix du loyer dépassant toute limite raisonnable. Cette situation engendre des conséquences graves sur le coût de la vie des citoyens et même pour l’Etat dans la prise en charge des logements conventionnés. Ainsi la loi n°81-21 du 25 Juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage d’habitation est adoptée, afin d’inciter bailleurs et preneurs à respecter la fixation légale à la surface corrigée des loyers des locaux à usage d’habitation. La surface corrigée est en fait, la surface réelle du logement à laquelle on applique des coefficients de correction pour tenir compte de son état, de son équipement et de sa situation.

Les pouvoirs publics infligent dès lors, des sanctions à tous ceux qui enfreignent à cette obligation en pratiquant des hausses de loyers qui deviennent de facto illicites. Ces sanctions sont d’ordre pécuniaires à titre d’amende et ou des peines d’emprisonnement. Cependant, une possibilité de transaction financière est offerte aux délinquants primaires consistant à verser le montant indûment perçu, augmenté d’une pénalité du double droit. En l’occurrence, le décret n°81-683 du 07 Juillet 1981 fixant les éléments de calculs du loyer des locaux à usage d’habitation revient sur les éléments de calculs du montant des loyers des locaux à usage d’habitation. En effet, chaque local d’habitation fait l’objet d’une évaluation séparée tendant à déterminer sa valeur réelle ou valeur vénale puis sa valeur locative. Cette évaluation à la surface corrigée prend en compte la valeur du terrain (situation géographique et superficie), la valeur des locaux construits (qualité des matériaux et équipements utilisés) et les correctifs appliqués aux éléments composant le local (commodités offertes) : domaine de prédilection des experts immobiliers.

De plus, un décret d’application insiste sur la constatation et la poursuite des infractions dont l’organisation de la procédure est la même que celle existante en matière de contrôle économique. Ce décret n°81-1034 du 26 Octobre 1981 portant application de la loi 81-21 du 25 Juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage d’habitation, allège également les règles d’établissement du décompte que chaque propriétaire devra présenter à son locataire avant la prise d’effet de son bail. Il s’agit des immeubles appartenant aux petites catégories D, E, F, G, H, I, J, K, L et M ou ceux situés en dehors des capitales régionales.

En l’occurrence toute infraction est constatée par un procès-verbal établit :

Soit par des agents assermentés de la Direction générale des Impôts et des Domaines ;
Soit par des officiers de police judiciaire
Ou par les fonctionnaires et agents de l’Etat ou des établissements publics spécialement commissionnés par le Ministre de l’Economie et des Finances.


L’institution des cellules de contrôle dans les centres des services fiscaux
Le circulaire N° 000178/MEF/DGID du 18 Avril 2008 portant règlementation des loyers et définissant les modalités d’intervention de l’administration fiscale en matière de contrôle des loyers, adopte l’institution des cellules de contrôle des loyers dans tous les centres des services fiscaux. Ces chefs de centre sont amenés à effectuer au nom et pour le compte du directeur de l’enregistrement, des domaines et du timbre, le suivi des réclamations des parties dans le cadre de procédures contentieuses engagées. Du coup, le formulaire type à remplir dans cette démarche permet aux agents d’avoir un maximum d’informations très utiles sur l’état fiscal du bailleur et du preneur.

En ce qui concerne le prix du mètre carré des terrains sur l’ensemble du territoire sénégalais et selon les zones, le décret n° 2010-439 du 6 Avril 2010 abrogeant et remplaçant le décret n°88-74 du 18 janvier 1988, fixe le barème du prix des terrains nus et des terrains bâtis, applicable en matière de loyer.

Cependant malgré toutes les mesures prisent par le législateur pour réglementer le prix du loyer des locaux à usage d’habitation dont le non-respect est assorti de sanctions de toutes natures, ces dispositions n’ont pas reçu d’applications effectives de la part des assujetties. Ainsi, suite à ces hausses illicites réalisées jusqu’à un niveau insoutenable, le législateur finit par imposer une baisse généralisée des loyers en 2014.

La baisse généralisée des prix du loyer n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée et fixation de nouveaux taux pour la détermination de la valeur locative
Le législateur de 2014 reconnait l’échec du système de régulation des loyers malgré tous les efforts fournis sur le plan législatif et règlementaire. Il le justifie par une méthode d’évaluation et de recours administratifs et judiciaires inadaptés aux réalités sociologiques. Cette conclusion est tirée des travaux de la commission d’enquête parlementaire, instituée en Juillet 2008 par l’Assemblée Nationale. Elle avait surtout pour mission d’identifier les voies et moyens qui permettront d’atténuer les conséquences sociales néfastes du phénomène de la hausse des loyers. Ainsi, la loi n°2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des prix des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée, diminue les taux des loyers qui n’ont pas subis la méthode de la surface corrigée, en terme de pourcentage et selon leurs montants de 29%, 14% et 4%. Le décret n°2014-143 du 5 février 2014 portant modification de l’article 7 alinéa 2 du décret 77-527 du 23 Juin 1977 relatif au montant du loyer des locaux à usage d’habitation, établit désormais au maximum pour l’année trois types de taux à savoir 10%, 12% et 13,44% en fonction de la catégorie de l’immeuble en question pour la détermination de sa valeur locative. Ce décret a pour souci d’encourager l’investissement locatif mais aussi et surtout de lutter contre les tendances inflationnistes des loyers.

Suite à cette baisse modulée des taux applicables à la valeur réelle des immeubles pour en déterminer le prix du loyer, le décret n°2014-144 du 5 février 2014 modifiant le décret 81-683 du 07 Juillet 1981 fixant les éléments de calculs du loyer des locaux à usage d’habitation, revient sur l’obligation de cette évaluation qui comprend celle de la valeur du terrain et celle de la construction.

QUELQUES RAISONS DU NON-RESPECT DE LA REGLEMENTATION
La non application de la règlementation se justifie par quelques facteurs fondamentaux :

La libéralisation du secteur d’activité : La libération du secteur a ouvert la porte à des gens peu ou non qualifiés pour exercer de telles activités. Du coup, un problème de professionnels avertis qui disposent de connaissances suffisantes sur la réglementation en vigueur se pose. Aussi, c’est la loi du marché qui prévaut. La demande est très forte mais l’offre est soit inexistante soit inaccessible pour la majeure partie des bourses demandeuses. De ce fait, le souci des locataires est loin de savoir sur quelle base ils sont taxés ou de réclamer un décompte quelconque du montant de leur loyer mais plutôt de trouver un logement décent ou tout simplement un logement peu importe à quel prix.
La défaillance des acteurs : elle s’explique par une carence de formation et d’engagement de leur part dans ce sens. En réalité, une connaissance de la règle de droit applicable en matière de fixation des prix du loyer devrait amener les professionnels du secteur à véhiculer la bonne information sur l’obligation de la présentation d’un rapport d’expertise de la part des propriétaires. Cette volonté de faire respecter la réglementation en vigueur serait le gage d’établissement d’une relation d’affaire durable et avantageuse aux deux parties mais aussi un gage de crédibilité du bailleur aux yeux des preneurs.
L’inertie des citoyens face à leur droit d’exiger le décompte en matière de location d’habitation (méconnaissance de la réglementation) : on ne note pas cette lutte solidaire et engagée des consommateurs pour le respect de l’application des prérogatives qui leurs sont reconnues par la loi. Aussi, les mesures règlementaires de contrôle face à ces dérives dans la fixation des prix du loyer demeurent inefficaces. Pourtant, le prix du loyer fixé sur la base de la surface corrigée même cher rassurerait le locataire parce que paraitrait juste dans sa conscience et contribuerait à sa tranquillité. N’oublions pas comme disait Lacordaire, « qu’entre le fort et le faible c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère ».
L’empressement des propriétaires à vouloir rentrer dans leurs fonds : ils se basent sur la cherté des terrains et de la lourdeur des investissements (matériaux de construction, crédits immobiliers, frais notariés, impôts et taxes…) pour fixer les montants des loyers. Les prix sont surtout conditionnés par la forte demande sur le marché, la zone de situation, le standing et les prix pratiqués dans le voisinage. Ils le font soit par pure ignorance de la règlementation existante soit par un empressement de l’obtention d’un retour sur investissement. Mais en tout état de cause, le rapport qualité prix est pris en compte par la réglementation à travers la surface corrigée. Il s’agit en réalité d’un investissement à long terme et le respect de la règlementation en vigueur procure l’assurance d’une location paisible et sereine dans le long terme. Constat est fait, que la surestimation des loyers entraîne très souvent des conséquences fâcheuses à savoir : des impayés de loyers, des départs fréquents de locataires, des périodes de vacances locatives et donc des frais de remise en l’état ou d’entretien assez couteux.
Coût élevé des rapports d’expertise : L’expert immobilier n’a pas été un professionnel très connu dans le milieu de la gestion locative. Sa place incontournable dans la fixation des prix du loyer à usage d’habitation a été dévoilée suite à l’engouement créé autour de la loi n°2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des prix des loyers n’ayant pas été calcules suivant la surface corrigée. Leur nombre serait insuffisant et leur coût élevé pour certains, vu le nombre d’immeubles à évaluer dans le marché de l’immobilier. En plus, on note un déphasage énorme entre les prix du mètre carré des terrains, fixés par le décret de 2010 et les prix réels appliqués sur le marché donc son actualisation s’impose.
Cependant, à l’instar de leur présence dans le milieu bancaire, les experts immobiliers ont un grand rôle à jouer pour retrouver leur place dans ce marché locatif.

Absence d’encadrement suffisant et de contrôle efficient de la part de l’Etat :
L’échec de l’Etat dans sa mission de contrôleur et d’arbitre est une source de difficultés dans l’identification légale des acteurs et le suivi de l’application de la réglementation. Malgré tous les textes existants les services de l’Etat sensés veiller sur la bonne exécution de ces normes demeurent inefficace et ceci dans presque tous les niveaux de la chaine. De l’obtention des crédits immobiliers jusqu’à la mise en location des bâtiments construits. L’Etat se doit de décentraliser le contrôle jusqu’au niveau municipal pour permettre aux différents acteurs de dénoncer certaines pratiques males saines dans le milieu comme par exemple un phénomène qui prend de l’empileur aujourd’hui : le refus de louer aux sénégalais et de ne loger que des étrangers.

Conclusion : Il sera toujours très difficile de règlementer une quelconque procédure ou un mécanisme légal de fixation de prix des loyers lorsque le secteur d’activité en question est insuffisamment encadré et qu’il y a une pénurie manifeste d’offre de logement. En réalité il existe une réelle prédominance de la demande sur l’offre et c’est ce qui explique la montée continue des prix et peut être le non-respect de l’application durable de la réglementation. Dès lors une politique de fabrication de logements sociaux accessibles surtout aux primo-accédant s’impose davantage.

Par ailleurs, un système d’encadrement, d’organisation, d’accompagnement, de contrôle, de suivi et d’évaluation bien structuré du secteur et des acteurs doit nécessairement être mis en place. Il va falloir redynamiser les dispositions législatives et règlementaires caduques, obsolètes ou inopérantes préexistantes. Aussi, créer une structure administrative ad hoc adaptée voire une autorité de régulation du secteur de l’immobilier tout en impliquant les délégués de quartier et les mairies dans l’organisation. L’octroi des cartes Promoteur, gestionnaire, Intermédiaire, agent immobilier, courtier en immobilier etc… est impératif dans le but d’assainir le secteur d’activité mais aussi et surtout de situer les responsabilités de tout un chacun dans ce milieu.

PAR ANGELIQUE DIONGUE

JURISTE IMMOBILIERE.

angediongue@hotmail.com
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