A la suite de notre dossier d’hier sur les relations entre Energie R, le Cereec et l’Aser, la parole est aux résidents des 37 localités concernées. Entre sabotage, retard ou arrêt des travaux, escroquerie autour des cautions versées, conflit entre prestataires et élus locaux, Sédhiou et Kolda paient les pots cassés d’une situation qu’elles n’ont pas provoquée. ‘’EnQuête’’ a sillonné, durant six jours, cinq villages situés dans les deux régions.
‘’L’éclairage public est une nécessité impérieuse pour les populations en ville, et surtout en campagne’’. Cette phrase nous a été ressassée par les habitants des villages de Thiydelly, de Thiéwal Lao, de Médina Dinguiraye, dans la région de Kolda, ainsi que par ceux des villages de Tobor et de Soumboundou Fogny, dans le Sédhiou.
Dans ces communes du Fouladou et du Pakao situées au sud du pays, l’annonce de l’électrification avait été bien accueillie par les populations. Plusieurs rencontres ont aussitôt débouché sur la mise en place des comités de gestion des mini-centrales solaires et des cautions ont été versées pour l’obtention d’installations à domicile. Les souscriptions ont alors drainé un monde fou.
Le projet dénommé Développement durable par les énergies renouvelables (Dper Sud-Est) était censé fournir l’électricité à moindre coût à 3 000 ménages dans 40 villages, 100 infrastructures sociales de base (écoles, postes de santé, lieux de culte et lieux communautaires), 150 petites et moyennes entreprises évoluant dans près de 20 aires d’affaires dans les régions de Kolda, de Sédhiou, de Ziguinchor et de Tambacounda. D’ailleurs, 40 mini-réseaux électriques alimentés par des mini-centrales solaires d’une capacité totale de 800 kWc (20 kWc par localité) doivent être installés.
Ce projet, dit-on, évitera l’émission de 939 t de Co2 par an, contribuera à l’amélioration du cadre de vie des populations en milieu rural, à la réduction de la pauvreté, à l’exode rural, à la protection de l’environnement et à l’intégration de la stratégie genre dans les questions énergétiques. Il est également dit que ‘’les meilleures idées du projet et affaires qui doivent être réalisées par le biais de ces installations seront récompensées par une enveloppe financière allant jusqu’à 1 000 000 F Cfa’’. C’est pourquoi cette activité a regroupé toutes les couches sociales de la zone sud-est du Sénégal. Des hommes et des femmes, des jeunes, des adultes, des autorités administratives, des élus locaux, des personnes vivant avec un handicap, la presse, pour ne citer que ceux-là. Ainsi, pour bien gérer les mini-centrales solaires, des techniciens locaux ont été formés.
Formation techniciens locaux : un trompe-l’œil
Pour bien gérer les mini-centrales solaires dans ces villages, certains habitants ont été capacités. ‘’Nous étions formés, en premier temps, sur la gestion de l’ensemble du matériel qui sera mis en place, à savoir les mini-centrales et autres, et comment réparer ces matériels en cas de panne. Et la deuxième formation était accès sur les restes et explosifs de guerre’’, a expliqué Boubacar Sabaly, technicien local demeurant au village de Thiéwal Lao, commune de Dialambéré, région de Kolda. Le principe est louable, mais les résidents locaux vont vite déchanter en constatant que cette formation ne débouche sur aucune application concrète. ‘’Nous sommes opérationnels, mais voilà des mois, voire des années, nous ne parvenons pas à mettre en œuvre nos compétences au service des populations, du fait du retard noté dans la mise en place des mini-centrales solaires’’, s’inquiète Alassane Baldé, technicien local habitant à Thiydelly, dans la commune de Coumbacara (Kolda).
Dans la région voisine également (Sédhiou), les gens formés n’en disent pas moins. ‘’Finalement, nous ne voyons pas l’utilité de cette formation, si les choses perdurent comme ça’’, peste le technicien local à Tobor, dans le département de Bounkiling.
D’ailleurs, le contenu de la formation semble avoir été changé pour Lamine Diatta, technicien local à Soumboundou Fogny (Sédhiou) qui se demande pourquoi le deuxième module ‘’a été axé sur les restes et explosifs de guerre. Parce qu’au-delà de la région de la Casamance, on soupçonne qu’il ne reste pas des explosifs de guerre. Peut-être pour sécuriser les mini-centrales solaires’’.
Cependant, les locaux qui doivent abriter les mini-centrales solaires dans les villages visités ont été construits. A cela s’ajoutent également les installations à domicile.
37 villages plongés dans une incertitude totale
Mais, hélas, depuis plusieurs mois, sinon plusieurs années (2 ans), les populations des 37 villages des régions de Kolda et de Sédhiou concernés sont plongées dans une incertitude totale. La lenteur dans les travaux entamés depuis belle lurette dans ces villages et le manque de matériel obligeant parfois à l’arrêt des travaux sont les deux manquements qui sont relevés. ‘’Le sabotage noté dans les installations des poteaux électriques et des installations à domicile, sans compter l’escroquerie à grande échelle perpétrée par certains prestataires’’, souffle-t-on.
Et les questions ne manquent pas de surgir dans le Fouladou et le Pakao. Que se passe-t-il ? L’opérateur Energie R a-t-il rompu le contrat ? Est-il en désaccord avec l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (Aser) ? Des questionnements sans réponse qui donnent le temps aux termites de ronger les supports en bois fixés à certains endroits. Tout ceci pousse les populations à se demander si le projet verra le jour. Le manque d’information sur le sujet accroit leurs appréhensions.
Face à ce retard accusé, les bénéficiaires commencent à s’agacer. Pour cause, aucune explication ne leur est fournie sur la destination des cautions déjà versées, allant de 20 à 100 mille francs Cfa pour l’obtention des installations à domicile. ‘’Jusqu’ici, rien de concret. On nous leurre en nous faisant croire que nous aurons bientôt l’électricité. Vraiment, si c’est l’Etat maintenant qui trompe ses administrés, on se demande où va le monde’’. Le chef du village de Tobor (Sédhiou), Almamo Mansal, décrie ce manque de transparence et exhorte les parties concernées à se comporter de manière plus responsable. ‘’S’il y a des difficultés liées à la poursuite des travaux, que l’on porte à la connaissance des bénéficiaires des informations précises. Face à cette pauvreté grandissante des populations en campagne, il est difficile de faire débourser de l’argent pour la réalisation d’une activité et qu’en retour l’on ne connaisse pas sa destination finale. Aussi, pour plus de clarté dans la gestion des biens publics, le bon sens voudrait que la qualité de l’œuvre qui est en voie d’être réalisée soit constamment portée à la connaissance des bénéficiaires. Autrement dit, il faut plus de transparence dans les rapports entre responsables et bénéficiaires du projet’’.
Le premier adjoint au maire de la commune de Bona (Bounkiling, Sédhiou) Mamadou Lamine Diémé, a affirmé que ‘’c’est en 2014 que les travaux de l’électrification ont démarré par la campagne de sensibilisation et d’appropriation, jusqu’en 2016. A partir de 2017, on croyait à l’effectivité du projet, car il n’était plus un mythe, il fallait juste passer à la phase de concrétisation. En 2017, les locaux devant abriter les mini-centrales solaires ont été construits. Là, on pensait qu’on allait sortir de l’obscurité. Mais, au fil du temps, nos espoirs ont fondu comme du beurre au soleil’’.
Dans sa tournée récente en Casamance, le président de la République a soigneusement omis de faire le point autour de ce projet pourtant important. Nfamara Diémé, chef du village de Soumboundou Fogny, de dénoncer ces effets d’annonce qui ne sont pas suivis d’actes concrets. ‘’De 2017 à maintenant, les travaux de l’électrification rurale vont à pas de caméléon. Pas d’électricité dans nos villages, malgré le tintamarre que l’Etat avait fait sur ce projet de l’électrification rurale’’.
Escroquerie autour des cautions versées
D’après Oumar Cissé, chef du village de Médina Dinguiraye, dans le Médina Yoro Foula (Kolda), les cautions versées à l’entreprise et qui sont destinées à l’obtention des installations à domicile vont de 20 à 100 mille francs Cfa. ‘’Ils nous avaient dit qu’il y a quatre niveaux. Pour le niveau 1, les bénéficiaires doivent obtenir 4 lampes et 1 prise, en payer la somme de 20 000 F Cfa chacun. Et à la fin de chaque mois, ils doivent payer une facture de 3 500 F Cfa. Ceux du niveau 2 doivent débourser 40 000 F Cfa pour obtenir 7 lampes et 1 prise dans leur maison et payer une facture mensuelle de 6 000 F Cfa. Les autres bénéficiaires du niveau 3 doivent, quant à eux, payer 70 000 F Cfa chacun pour avoir 10 lampes et 2 prises dans leur concession et payer à chaque fin du mois une facture de 10 900 F Cfa. Tandis que ceux du niveau 4 doivent avoir 14 lampes et 3 prises et à la fin de chaque mois, ils doivent payer une facture de 16 000 F Cfa’’, a-t-il expliqué.
Le procédé qu’utilisent le duo de prestataires (Aser-Cereec) est décrié par les populations. Le nombre de lampes à installer par maison n’est pas respecté vis-à-vis de la caution déjà versée. ‘’Les prestataires qui ont procédé à l’installation à domicile n’ont pas respecté le protocole signé. Ils n’ont installé que 5 ampoules dans chaque maison à travers tous les villages bénéficiaires. Pas de différence entre les niveaux, comme cela a été dit. D’ailleurs, parfois, les prestataires demandent de l’argent aux bénéficiaires au cas où ils aimeraient avoir plusieurs lampes dans leur maison’’, ont expliqué, à l’unanimité, les bénéficiaires.
Amadou Baldé, Maire de la commune de Coumbacara, région de Kolda, a confirmé que dans sa localité, cette manœuvre dolosive a cours. ‘’A Thiydelly, il y a des gens qui ont payé beaucoup d’argent pour pouvoir obtenir 12 à 15 ampoules à domicile. Mais, à notre grande surprise, les prestataires n’ont pu installer partout que 5 ampoules par concession. Il y a même certaines maisons qui se sont retrouvées avec 2 à 3 ampoules. Ce qui n’est pas normal. Ils ont réclamé à certains 15 mille francs pour augmenter le nombre d’ampoules dans leur maison, tandis que d’autres ont refusé’’, avant de poursuivre que ‘’les bénéficiaires n’avaient plus le droit de payer une autre somme’’.
Mais Mamadou Lamine Diémé, premier adjoint au maire de Bona, persiste et signe que ‘’cette escroquerie qui ne dit pas son nom ne va pas se passer dans sa localité. Nous alertons ces prestataires de mauvaise foi que nous allons les dénoncer, si toutefois ils procèdent à leurs manœuvres frauduleuses ici’’.
Le sabotage des travaux effectués
Des câbles, des fils et des poteaux électriques trainent par terre, d’autres poteaux électriques déjà implantés sont sur le point de tomber, faute d’être bétonnés, des trous béants… Voilà le constat amer noté dans les villages de Thiydelly, Soumboundou Fogny, Tobor, entre autres.
‘’L’emplacement des poteaux électriques ne respecte pas les bornes. Et pourtant c’est un village loti. Les prestataires devraient obligatoirement respecter les bornes, en implantant les poteaux électriques. Ce qui n’a pas été fait. Je leur ai même expliqué qu’ils n’ont pas mis les poteaux au bon endroit. Certains sont implantés sur un passage d’eaux de ruissellement’’, a déploré Amadou Baldé, l’édile de la commune de Coumbacara, avant d’ajouter : ‘’Les poteaux ont été plantés sans gravillons. Ce qui a fait que certains poteaux sont sur le point de tomber avec la pluie qui s’abat dans notre région. Je leur ai parlé, mais ils ont catégoriquement refusé. Vraiment, c’est un travail de sabotage qu’ils ont effectué dans mon village.’’
Les prestataires pointés du doigt
Selon les maires interrogés, les prestataires leur manquent de respect et de considération. ‘’Quand ils arrivent dans la commune, ils ne viennent pas nous le notifier. Ils passent à l’acte et quand nous les interpellons sur certains travaux, ils nous répondent d’une manière maladroite, en nous disant qu’ils ont été envoyés pour venir faire un travail précis et n’ont pas besoin de directives de qui que ce soit. Or, en réalité, nous ne leur dictons rien. Mais la logique voudrait, quand des prestataires de ce genre arrivent dans une commune, qu’ils passent rencontrer les maires et non les chefs de village comme ils le font. Ils ne nous considèrent pas comme élus, des démembrements de l’Etat’’, ont-ils fustigé, avant de conclure : ‘’C’est inadmissible. Car nous sommes élus et nous devons être mis au courant de toutes les activités qui devraient se faire dans nos communes. En tant que démembrements de l’Etat, nous sommes tous tenus de promouvoir les actions de l’Etat.’’
Les prestataires contestent
‘’Avant d’effectuer une descente dans une commune, nous rencontrons d’abord le préfet du département pour lui parler de notre mission à mener dans la localité. Et c’est ce dernier qui est habilité à les informer de notre présence dans les localités qui doivent nous recevoir et non nous. C’est pourquoi, après la rencontre avec le préfet, nous descendons sur les lieux pour mener la mission qui nous a été assignée’’, a expliqué Almamy Faty, un des prestataires qui a eu à effectuer des installations dans des villages.
Dans tous les cas, les bénéficiaires soutiennent que ‘’les régions de Kolda et de Sédhiou sont très jeunes, surtout au plan économique. Pour cela, une attention particulière doit être portée à ce niveau, pour éviter aux populations pauvres une mauvaise utilisation de leurs maigres ressources financières par des individus avides d’argent. Car elles ont déjà souffert de la famine, de la pauvreté, de l’analphabétisme, de l’excision. Il est temps, donc, de les aider à vivre mieux, en réalisant effectivement les projets qui vont diminuer leur misère dans les années à venir’’.
Aussi, les 37 villages bénéficiaires du Dper Sud-Est sollicitent de l’Etat une accélération des travaux pour doter ces localités de l’électricité continue leur permettant de s’adonner aux activités génératrices de revenus, notamment les productions agricoles pour lesquelles Kolda et Sédhiou disposent d’un potentiel énorme.