Bien que provisoire, l’attribution, par l’Etat du Sénégal, de la gestion et de la distribution de l’eau en urbain et en péri-urbain au Groupe Suez, indispose la Sénégalaise des eaux. Celle-ci dénonce une grosse forfaiture et annonce une riposte dans les tout prochains jours.
La guerre franco-française que se livrent la Sénégalaise des eaux et le Groupe Suez a finalement tourné à l’avantage du dernier nommé. L’Etat du Sénégal a, après moult tergiversations, rendu public l’avis d’attribution provisoire du contrat d’affermage qui tient en haleine l’opinion publique sénégalaise depuis plusieurs mois.
En effet, quelques heures seulement après que la Sde est monté au créneau pour durcir le ton après plus de cinq mois d’attente, l’Etat du Sénégal est passé à la vitesse supérieure, en portant à la connaissance de l’opinion l’adjudication provisoire du marché de l’eau. Et la décision a été accueillie à la Sde comme un coup de massue. ‘’C’est une forfaiture’’, dénonce-t-on d’emblée au sein de ladite société présente au Sénégal depuis 1996. ‘’Nous ne comptons pas nous laisser faire. Nous ne sommes pas une société qui va croiser les bras et attendre que le train lui roule dessus’’, fulmine, au bout du fil, le président du Conseil d’administration de la Sde, Mansour Kama, contacté hier par ‘’EnQuête’’.
Au sein de la Sde, l’on se prépare ainsi à introduire, dans les délais, un recours pour casser le verdict rendu par le ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement. ‘’C’est une voie qui s’offre à la Sde d’introduire un recours. Elle ne peut pas s’en priver, d’autant plus qu’elle estime qu’elle a gagné légalement. Les délais sont assez courts, mais elle a moins d’une semaine’’, analyse un observateur proche du dossier.
Selon un autre responsable de la Sde contacté par ‘’EnQuête’’, si les parties se conforment à la légalité, il n’y a aucun doute que le verdict sera cassé, ‘’parce que c’est une forfaiture’’.
‘’On ne peut pas, sur la base d’un terme de référence bien clair, changer les règles du jeu en plein match. On dit : vous avez tous passé la phase technique. Ce qui va vous départager, c’est l’offre financière ; et dans cette offre, le moins-disant va l’emporter. Suez reconnait qu’il n’est pas moins-disant. Le ministre a rappelé partout dans sa communication que c’est la Sde la moins-disante. On ne sait pas quel est le tour de passe-passe qui a prévalu pour prendre le deuxième. Parce que, justement, c’est le deuxième qui a été choisi’’, soutient notre interlocuteur. Ce dernier reste persuadé que, dans cette affaire, les autorités en charge du dossier ont mis de côté les termes et ont fait prévaloir d’autres considérations qui ne figurent pas dans le dossier d’appel d’offres. ‘’Il y a des développements qui, s’ils étaient rendus publics, les populations vont être ébahies et ahuries. Dans quelques jours, les choses vont s’éclaircir et tout le monde sera au courant de ce qui se passe réellement’’, annonce notre interlocuteur.
Quoi qu’il en soit, la messe semble être dite pour la Sde. Et d’ores et déjà, beaucoup d’inquiétudes sont nourries du côté des travailleurs. Même si, dans le cahier des charges, il est clairement indiqué qu’il n’y aura aucun problème avec les employés et que tout le monde sera maintenu, sauf ceux qui désirent partir. Il n’empêche que certains employés ne savent plus où donner de la tête. Ils dénoncent ainsi une situation confuse qui risque même de déteindre directement sur la fourniture correcte de l’eau.
‘’Le problème, aujourd’hui, c’est comment gérer le passif social, comment faire une passation de service entre la Sde et la nouvelle société. Dans ce cadre, rien n’est encore clair’’, fustige Elimane Diouf. Selon le secrétaire général de l’Intersyndicale des travailleurs de la Sde, les employés sont plus inquiets par rapport aux conditions d’attribution du contrat d’affermage. ‘’L’appel d’offres devait être bouclé au plus tard le 31 juin 2018 et permettre à une nouvelle société de se créer. Mais depuis cette date, c’est motus et bouche cousue jusqu’à aujourd’hui (Ndlr : hier). Le ministre a juste sorti un communiqué pour dire que Suez a été choisi au détriment de la Sde. Mais on ne sait pas comment ce choix a été fait. C’est cela le débat’’, fulmine le patron de la Confédération des syndicats autonomes du Sénégal (Csa).
Aussi, de l’avis d’Elimane Diouf, ‘’la Sde, qui doit acheter des produits et faire des investissements lourds, doit passer les commandes six mois avant’’. Ce qui n’a pas été fait. D’où son inquiétude par rapport à la phase de transition. ‘’C’est cette confusion que nous dénonçons. Nous ne comprenons pas comment un Etat aussi responsable peut arriver à ce niveau d’irresponsabilité’’, rouspète-t-il. Avant d’annoncer des risques qui pèsent sur la distribution correcte de l’eau. ‘’Il faudra que l’Etat nous dise comment il va prendre en charge cette période ; parce qu’il faut acheter des intrants, des produits chimiques pour traiter l’eau, des pompes, des moteurs de forage dans la période pour fonctionner pendant six mois au moins. Tout ça, ce sont des difficultés’’. Aussi, dénonce-t-il la non-prise en charge des avis des travailleurs dans ce processus. Pour autant, il avertit que ‘’les agents de la Sde savent, malgré tout, se battre pour sauvegarder leurs actions et leurs avantages’’.
Outre le passif social que l’Etat doit gérer, les travailleurs nourrissent également d’autres inquiétudes sur la préservation de leurs acquis, notamment en ce qui concerne les 5 % d’actions qu’ils détiennent au sein de la Sde. ‘’On ne sait pas encore ce que ces actions vont devenir avec la nouvelle dynamique qui est créée par la publication de l’offre. Il va falloir, d’abord, qu’on sache que tous les recours qui vont être introduits seront vidés dans les délais. Après cela, on saura avec l’Etat du Sénégal’’, confie Elimane Diouf qui s’interroge d’ailleurs sur le respect des accords signés.
Le Forum social sénégalais dans tous ses états
L’attribution provisoire du contrat d’affermage au Groupe Suez au détriment de la Sde, a occasionné une levée de boucliers contre l’Etat du Sénégal. Outre les cadres et les travailleurs de la Sde, le Forum social sénégalais, qui s’est épanché hier sur la question, au cours d’une conférence de presse tenue à Dakar, pointe du doigt ‘’un flou total qui a entouré tout le processus d’attribution provisoire de ce marché’’.
Le coordonnateur, Mamadou Mignane Diouf, de dénoncer même une tentative d’immixtion de Suez dans la production et la distribution de l’eau au Sénégal, au détriment des nationaux. A l’en croire, le groupe français qui a été choisi a fait faillite partout où il s’est implanté. Aussi, annonce-t-il des pertes d’emplois énormes avec l’arrivée de cette société qui compte plus, selon ses dires, ‘’s’appuyer sur des expatriés que sur des nationaux’’. C’est d’ailleurs pour combattre une telle perspective que lui et ses camarades annoncent déjà un plan de bataille ‘’qui impliquera les autres centrales syndicales’’.