L’expansion turque se poursuit au Sénégal. Après l’éducation avec Maarif, l’aéroport international Blaise Diagne avec Summa-Limak…, c’est au tour de Tosyali (entreprise spécialisée dans l’exploitation du fer et de sa transformation en acier) de faire une entrée fracassante dans le secteur minier. Une arrivée objet de toutes les controverses.
L’enjeu est énorme. L’histoire si pesante. Miferso, ce projet des mines de fer du Sénégal oriental, dont on parle depuis plusieurs décennies, n’en finit pas d’alimenter la polémique. Cette fois, c’est l’entrée fracassante et spectaculaire des Turcs avec des engagements de plus de 2 milliards de dollars d’investissement qui défraie la chronique.
Comment ces citoyens d’Erdogan ont pu réussir à mettre tout le monde sur le carreau, en seulement quelques mois ? La question taraude tant d’esprits. Et le ministère des Mines et de la Géologie n’a d’ailleurs pas tardé à réagir aux nombreuses critiques sur le processus ayant abouti à l’octroi de cet important gisement. Des questions d’autant plus légitimes qu’en 2015, lors d’un ‘’tour de table des partenaires potentiels et acteurs intéressés par l’exploitation des mines de fer de la Falémé’’, il n’était point mentionné la présence de Turcs. Aly Ngouille Ndiaye était ministre en charge du secteur. Dans une interview avec ‘’Actusen’’ en novembre 2015, il renseignait qu’une trentaine de participants d’origine chinoise, coréenne, française, américaine, sud-africaine et sénégalaise avaient été enregistrés. Dans la même interview, l’actuel ministre de l’Intérieur révélait qu’à l’issue de ce tour de table, sept manifestations d’intérêt ont été répertoriées. Mais, jusqu’à hier, c’est encore le grand flou autour de ces postulants et des termes de leurs offres.
Mieux, en 2017, l’ancien ministre des Mines franchissait une autre étape, en se rendant en Afrique du Sud, dans le cadre de la Conférence internationale ‘’Mining Indaba’’. Il ne tarissait pas d’éloges pour les Sud-Africains d’Asmang qui exploitent la plus grande mine du pays de Nelson Mandela, Khumani. Il disait : ‘’C’est une mine qui, sur plusieurs points de vue, ressemble à celle de la Falémé. La qualité de fer est à peu près la même que celle de chez nous. Il est aussi transporté par un train sur 850 km. Alors qu’à Kédougou, nous allons transporter le minerai sur 750 km.’’ Le directeur de Miferso, Amadou Camara, annonçait, quant à lui, la signature d’un mémorandum assistanding avec un groupe de trois compagnies sud-africaines. Lequel mémorandum devait être suivi d’études de faisabilité bancable et de la phase de développement construction et réalisation.
Aujourd’hui, le gouvernement semble opérer un virage à 180 degrés. L’horizon ne semble plus se trouver à Durban, mais bien à Ankara. Il a fallu un tour de Racep Tayyip Erdogan au Sénégal pour que tout bascule. L’entreprise turque, Tosyali, spécialisée dans l’exploitation du fer et de sa transformation en acier, est finalement l’heureuse élue de la Falémé.
Pourquoi les Sud-Africains ont finalement été débarqués ? Amadou Camara explique : ‘’En 2017, on avait visité Asmang dans le sens de faire l’ancien projet Mine-Rail-Port. Entre-temps, on a changé de stratégie. Quand la ministre (Aïssatou Sophie Gladima) est venue en septembre 2017, elle a pris l’option de ne pas transporter le minerai de fer, mais de l’exploiter sur le terrain. Ce qui est beaucoup plus bénéfique.’’
En vérité, expliquent des spécialistes, le gouvernement s’est retrouvé coincé dans son projet initial. La Falémé, ajoutent-ils, malgré ses nombreux avantages comparatifs, présente également des contraintes qui ne sont pas des moindres. Parmi elles, les investissements lourds qu’elle requiert, l’absence des projets complémentaires comme le port et le chemin de fer, la présence, en Guinée, d’un projet similaire : Simandou… Autant de facteurs qui découragent les potentiels investisseurs. Pour l’alléger, le gouvernement a donc pris la décision de faire la scission. Ce qui n’est pas nouveau. ‘’Jeune Afrique’’, en 2013 déjà, nous apprenait qu’en fait, Kumba Ressources avait fait une proposition allant dans le sens de scinder le projet dans les années 2000. Laquelle offre avait était systématiquement rejetée par l’ancien régime, avec comme Pm l’actuel président de la République, géologue de son état et ancien ministre des Mines.
Outre ces changements majeurs de paradigme, il est aussi à signaler que le projet, dans ses ambitions, a considérablement été revu. Si, initialement, il était question de produire 20 millions de tonnes de fer par an, avec les Turcs, il ne sera question que de 4 millions de tonnes. Ce qui fait dire au directeur de Miferso que les portes ne sont pas encore totalement closes pour d’autres partenaires. A l’en croire, il reste encore des opportunités pour d’autres partenaires qui peuvent se positionner pour la production des autres 15 millions de tonnes.
Inscrite dans les 27 projets prioritaires du Pse, la relance du projet des mines de fer de la Falémé s’articulait initialement autour de 4 volets : minier, ferroviaire, portuaire et sidérurgique. Les impacts, sur le plan socio-économique, étaient d’industrialiser le sud-est du Sénégal, mais aussi de Bargny qui devait abriter le port. Il devait aussi permettre la création de 20 000 emplois, dont 4 000 directs, en plus de contribuer de façon substantielle au Pib. Même si tous ces volets du projet sont toujours d’actualité, les Turcs, eux, ne s’occuperont que de la transformation du minerai en acier. Le calendrier indicatif du Pse avait fixé le lancement de l’exploitation à partir de 2020. Reste à savoir si, avec ces multiples tergiversations, l’échéance sera respectée.
Le syndrome Mittal
Avec Tosyali, nous sommes loin des fausses ambitions pharaoniques d’Arcelor Mittal qui promettait monts et merveilles à l’ancien président, avant de finir par cracher sur la Falémé. Découvertes depuis 1933, il a fallu attendre 1975 pour que les premières études de faisabilité soient menées sur les mines de fer de la Falémé. Mais c’est vers 2005 que les choses ont commencé à véritablement bouger. D’abord, le projet avait été octroyé à Kumba Ressources, puis l’ancien président, jouant au plus malin, avait évincé les Sud-Africains, suite à des promesses mirobolantes de l’Indien Mittal, qui s’engageait à créer plus de 10 000 emplois et rapporter chaque année 114 millions d’euros à l’Etat. A cause de ces promesses, les autorités de l’époque avaient chassé sans ménagement les Sud-Africains qui n’ont pas hésité à saisir le tribunal arbitral de Paris. Le Sénégal s’est vu condamner à payer 37,5 milliards de francs Cfa. Plus tard, Arcelor Mittal a failli à ses obligations et fut condamné, à son tour, à payer au gouvernement sénégalais 75 milliards.
Depuis lors, les autorités étaient à la recherche de partenaires. Plusieurs se sont présentés, mais ont été éconduits par la Falémé, toujours si exigeante.
Selon les informations fournies par la Miferso, le coût du projet est de 2,9 milliards de dollars Us, soit 1 450 milliards de francs Cfa. Le projet, qui table sur une production annuelle de 15 à 25 millions de tonnes de fer, se compose d’une mine à ciel ouvert, dont le coût est estimé à 700 millions de dollars, un port minéralier à Bargny pour le même coût, une unité sidérurgique qui permettrait de transformer une partie du minerai en acier pour une consommation locale et sous-régionale.
Dans son entretien avec ‘’Actusen’’, Aly Ngouille Ndiaye déclarait, pour justifier l’intérêt de son tour de table organisé en 2015, que son viatique est : ‘’Pas de troisième arbitrage après Kumba Ressources et Arcelor Mittal. La page des contentieux judiciaires est définitivement tournée et il convient, désormais, de prendre toutes les précautions utiles, pour identifier un partenaire suffisamment crédible, avec qui convenir d’engagements clairs et réalistes dans l’intérêt de toutes les parties. C’est le point de départ de tout bon projet.’’
AMADOU CAMARA (DIRECTEUR MIFERSO)
‘’Ce qui a été déterminant dans le choix des Turcs…’’
‘’On a évolué. Dans un premier temps, il s’agissait d’un projet intégré Mine-Rail-Port. C’est ce qui était prévu avec Asmang. Ce projet intégré demeure, mais on a changé de stratégie. Il s’agit, dans un premier temps, du projet Mine et sidérurgie. C’est de l’acier que nous allons maintenant exporter ; ce qui crée plus de valeur. En 2017, nous avions signé le mémorandum avec Entonga, qui est un groupe de compagnies sud-africaines.
Ce mémorandum, qui avait une durée de deux ans, a expiré depuis le mois de mai. Pour dire vrai, les tendances ont été renversées lors de la visite du président Erdogan. Les Turcs ont fait une offre au même titre que tous les autres. La configuration du projet est telle que rien ne s’oppose à ce que d’autres partenaires puissent intervenir. Ce qui a été déterminant dans le choix des Turcs, c’est leur expérience, leur professionnalisme et leurs capacités techniques et financières. Dans l’ancien projet, il était question de 20 millions de tonnes ; avec les Turcs, c’est 4 millions de tonnes par an.’’