S'il est avéré que l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) est à posteriori au regard du classement de Sanghaï l'une des universités les plus cotées de la sous-région, il n'en demeure pas moins qu'elle s'est engouffrée depuis plus d'une décennie dans une brèche. Si les autorités n'y prennent pas garde, l'université de Dakar tend en grandes enjambées vers une direction qui risque de lui faire perdre son lustre d'antan. Une capacité d'accueil de 23 423 avec 217 d'infrastructures disponibles, l'université compte plus de 80 000 étudiants alors que le nombre d'enseignants chercheurs est loin d'attendre les normes de standards internationaux. A cela s'ajoute non seulement le paradoxe notoire de la répartition des enseignants et chercheurs par catégorie dans les facultés et établissements mais également l'offre de formation qui ne rime pas avec les besoins du monde de l'emploi. C'est l'hécatombe au temple du savoir.
L’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) est en perte de vitesse de nos jours à l’aune des Concertations nationale sur l’avenir de l’Enseignement supérieur (Cnaes) sensées apporter des réponses appropriées à la crise universitaire. L’application des recommandations des concertations traduites en directives assorties de mesures tarde toujours à donner un nouvel élan à notre Enseignement supérieur surtout à l’université de Dakar. Elle croule toujours sous le poids du nombre d’étudiants qui dépasse de loin sa capacité d’accueil, le déficit d’enseignants chercheurs, le Personnel administratif, techniques et de services (Pats).
La question qui mérite notre attention à l’heure des grandes réformes engagées par les autorités étatiques est Où va donc l’Ucad ? Pourtant les acteurs ont épluché cette problématique parmi tant d’autres pour sortir de l’ornière l’Ucad et les autres universités du Sénégal. On se rappelle pour dit : le pré-rapport du comité de pilotage des Cnaes avait connu l’objet de contestations chez les acteurs de l’espace universitaire, notamment les étudiants. L’équipe dirigée par le Professeur Souleymane Bachir Diagne était obligée, à l’issue des plénières des 6 et 9 avril 2013, de revoir leur copie en l’occurrence sur le montant des frais d’inscription et le désir de scinder l’Ucad en 5 entités différentes.
Malgré une révision à la baisse des frais d’inscription et autres propositions lors d’un Conseil présidentiel sur les recommandations des Concertations en aout 2013, la remarque est manifeste et alarmante : rien de nouveau dans le ciel de l’Enseignement supérieur et ce, malgré les réflexions, des décisions ou mesures de la communauté éducative qui ont couté des fortunes aux contribuables sénégalais.
En attendant de voir ces décisions sortirent de terre d’ici à 2017, l’Ucad est en train de mourir de sa belle mort. Le ton a été donné par le Syndicat autonome de l’Enseignement supérieur (Saes), coordination de Dakar en conférence presse mardi dernier pour s’exprimer sur la situation de l’Ucad.
A ce rythme où vont les choses, si les autorités n’y prennent pas garde, l’université de Dakar est appelée à perdre son lustre d’antan. Figurant dans le classement de Sanghaï et considérée comme la meilleure université de la sous-région, l’Ucad va droit au mur à la considération du nombre exorbitant d’étudiants et sa capacité d’accueil très limité, d’un manque criard d’infrastructures pédagogiques, déficit d’enseignants et du Personnel administratif, technique et de service (Pats). Sans oublier l’offre de formation qui ne rime pas avec les besoins du marché de l’emploi malgré l’introduction du système Licence-Master-Doctorant (LMD).
Dans un document mis à la disposition de la presse, la coordination de Saes de Dakar met à nu les problèmes de ce temple du savoir. Le coordonnateur du Saes de Dakar, Yankhoba Seydi et Cie ont relevé que « les infrastructures disponibles (amphithéâtres, salle de cours, travaux pratiques et dirigés) sont au nombre de 217 pour capacité totale en nombre de places physiques de 23 423. Ce qui n’atteint pas le tiers des effectifs des étudiants si l’on sait que l’Ucad compte 80 500 étudiants ».
Dans un tableau sur l’effectif d’étudiants et capacité d’accueil par établissement, il est clairement indiqué que la Faculté des Lettres et Sciences humaines compte 26 993 étudiants, a une capacité d’accueil de 6 780 seulement. La faculté des Sciences Juridiques et Politique avec un effectif de 14 446, a 3 486 de places disponibles au même moment la Faculté des sciences économiques et Gestion (Faseg) qui a une capacité d’accueil de 2820, enregistre 8 870 étudiants. C’est le cas aussi des Facultés de Medecine, de Sciences techniques et l’Ecole supérieur polytechnique (Esp) qui ont vu leurs effectifs doublés voir triplés leur capacité d’accueil.
Cette insuffisance de la capacité d’accueil, note le Saes, se traduit par la difficulté de facultés de respecter le calendrier universitaire, les départements ont du mal à programmer les différents enseignements, le recours aux emprunts et locations de salles ou de cohortes ».
Le paradoxe ?
Au-delà du problème de l’effectif, l’Ucad a aussi d’énormes difficultés, notamment le déficit d’enseignants occasionnant un retard des cours, le problème d’encadrement pour boucler l’année académique avec le démarrage tardif des cours. Selon toujours le document mis à notre disposition, les enseignants et chercheurs de la catégorie A, autorisés à faire des cours magistraux, ne font que 34,7% du personnel.
« Ce qui veut dire que 467 (y compris ceux qui exercent des fonctions administratives, les chercheurs, les contractuels, les détachés, etc.) doivent donner des enseignements fondamentaux à quelques 80 500 étudiants, corriger des milliers de copies dans toutes les matières de toutes les filières, encadrer et faire soutenir ceux qui, de plus en plus nombreux, atteignent les licences 3, masters 2 et doctorat », lit-on dans le document intitulé « Asphyxie de l’Ucad ».
Pour le Saes, le personnel appartenant à la catégorie B est très loin de pouvoir assurer les travaux dirigés et pratiques. Dès lors, il a fallu depuis plusieurs années pour sauver l’université en assurant toutes les activités d’enseignement et d’encadrement. Un constat qui est de loin cohérent compte tenu des normes fixées par l’Unesco qui exige un enseignant encadreur pour 25 à 30 étudiants.
Au-delà de cette incohérence sur l’utilisation des vacataires qui dépassent largement les permanents à la Faseg et la Fst, il existe une disproportion dans les facultés. Un véritable paradoxe. Le cas le plus patent est la Flsh où il n’y a que 197 enseignants permanents pour environ 27 000 étudiants alors que la faculté Médecine compte 378 enseignants pour 5 601 étudiants. A la Faculté de Droit, le fossé est notoire. Pour un effectif de 14 446 étudiants, la faculté a 96 enseignants seulement. Pour les Camarades de Yankhoba Seydi, « tous les établissements souffrent des mêmes déficits, à des degrés différents. Le corps enseignants se sacrifie pour sauver les années universitaires en dispensant des cours souvent jusqu’à 22h».
Les Contrats de performance pour «endiguer le mal»
Pour venir à bout de cette hécatombe qui se poursuit, le gouvernement du Sénégal et la Banque mondiale ont scellé un partenariat dans le cadre du Contrat de performance (CDP). D’un montant estimé à 43 millions de dollars (24 milliards FCfa), ce partenariat, 2012-2016, a pour objectif principal d’améliorer la qualité de l’enseignement, de la gouvernance universitaire, développer les infrastructures universitaires (bâtiments et Tic). Sans oublier la construction d’une nouvelle université à Dakar. L’université de Dakar et ses sœurs de Thiès, Saint Louis, Ziguinchor et Bambey ont procédé à la signature du Cdp pour s’ouvrir à de « nouvelles perspectives jusque-là difficiles à envisager », dira Mary Teuw Niane, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Toujours est-il que si les ressources mises à la disposition des universités sont utilisées de façon efficiente, il est permis de garder un espoir sur la disparition de ces goulots d’étranglements qui minent les universités sénégalaises.