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Engagement politique des artistes - Entre opportunisme et réalisme
Publié le lundi 15 octobre 2018  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
Engagement politique des artistes
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A travers leur art, les artistes donnent souvent leurs avis sur l’évolution des sociétés. Différentes thématiques peuvent les inspirer dont la gestion de la Cité. Ce qui poussent d’aucun à critiquer les gouvernants ou à chanter leurs louanges. Jusqu’où peuvent-ils aller dans leur engagement, que peuvent-ils espérer de leur public, que peuvent-ils apporter aux politique ? Voilà autant de questions auxquelles EnQuête a tenté d'apporter des réponses.



‘’L’art et la politique, c’est un mariage depuis une très longue date’’, disait l’enseignant-chercheur au département de Lettres modernes de la faculté des Lettres et Sciences humaines à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et spécialiste de la littérature africaine orale, Ibrahima Wane dans un entretien avec Sud Quotidien. Sous le régime du premier Président, le Sénégal a connu des artistes pro Senghor et d’autres qui s’opposaient à ses idées comme feu Joe Ouakam. Malgré tout, à chaque fois que naît, sous nos tropiques, un mouvement de soutien à un homme politique formé par des artistes, les commentaires se multiplient même si de Senghor à Macky Sall les manières de s’engager diffèrent. C’est le cas actuellement avec la naissance du mouvement ‘’Xatiando doora ndo’’ dirigé par le chanteur Mame Goor Jazaka.

A l’instar de ‘’li nu guiss doyna’’ crée en 2011, à la veille de la présidentielle, par le chanteur Idrissa Diop en soutien à Wade, ‘’Xatiando doora ndo’’, se veut un levier sur lequel peut s’appuyer le Président de la République Macky Sall. En conférence de presse mardi dernier à Dakar, Mame Goor Jazaka a déclaré qu’ils ont décidé de soutenir le parti au pouvoir parce que convaincu par la politique actuelle du Président. Un bilan qu’il n’est pas pourtant capable d’expliquer demandant au ministre de la Culture, Abdou Latif Coulibaly présent à la conférence de presse de le faire.

L’artiste prête ainsi le flanc fortifiant dans leurs idées ceux qui pensent qu’ils n’ont rallié l’APR que pour des raisons pécuniaires. D’autant plus, quelqu’un comme l’auteur de Jazaka disait en 2013, dans un entretien avec EnQuête, regretter le départ d’Abdoulaye Wade parce qu’avec lui, au moins, l’argent circulait. Ce qui n’est pas le cas avec Macky Sall. Il déplorait alors la manière dont était géré le pays par le Président Sall. ‘’ Abdoulaye Wade est parti et Macky Sall est venu. Mais il faut le dire, on vit pire qu'avant.

Je profite de cette occasion pour dire au Président de la République que le pays ne marche pas. J'ignore ce que ces conseillers lui disent mais le plus important est que rien ne marche dans ce pays. L'argent ne circule pas. Il avait pris l'engagement de donner du travail aux jeunes. On avait fondé beaucoup d'espoir sur lui. Aujourd'hui, cet espoir s'étiole. Dès qu'on évoque le nom de Macky Sall la première chose à laquelle on pense est la prison. C'est la première fois qu'on a un Président né après les indépendances. Il ne doit pas être le dernier venu et remplir le plus mauvais mandat. Je lui demande d'être sensible aux problèmes des Sénégalais. Les conseillers ne lui disent pas souvent tout ce qui se passe. Je veux qu'il sache à travers cette interview que les Sénégalais sont fatigués, ils ne mangent pas à leur faim et l'argent ne circule pas’’, disait-il à l’époque. Qu’est-ce qui a bien changer entre temps puisqu’aujourd’hui encore les gens dénoncent la vie chère et tout ce que déplorait l’artiste de Rufisque. Aurait-il transhumé parce que sa femme l’a fait ?

En 2013, il récusait ce fait. ‘’ Il ne faut surtout pas que les gens pensent que c'est parce que ma femme est une députée du PDS que je m'étale sur ces questions. Je ne suis pas du PDS. Je suis du côté du peuple. Et si je devais vraiment choisir un parti politique je me rangerai du côté de l'UCS d'Abdoulaye Baldé. C'est mon ami’’, disait-il, justifiant ainsi les propos tenus à l’encontre du régime en place.

Quoi qu’il en soit, au Sénégal, les artistes qui se rangent derrière le pouvoir sont souvent vertement critiqués. Ce fut le cas des membres de ‘’Li nu guiss doyna nu’’ dont Requin Noir qui avait quitté Y en a marre pour intégrer le mouvement de Idrissa Diop, Makhou Lebou gui et Bill Diakhou. Parlant de ce dernier il fait partie de ‘’Xatiando doora ndo’’. Et ce sont ces changements comme celui de Requin ou Bill Diakhou qui font croire aux Sénégalais des fois que les alliances des artistes ne sont qu’opportunistes. Une thèse que les membres de ‘’Xatiando doora ndo’’ dont d’aucuns trouvent impopulaire réfutent.

‘’Je me produis tous les lundis au Club Gaindé et c’est toujours plein. Je vis de mon art’’, se défend Mame Goor. ‘’Nous ne sommes pas des artistes alimentaires. Vous l’ignorez mais j’ai des entreprises’’, ajoute-t-il.

Nonobstant les critiques et a priori, quelles que soit les motivations des uns et des autres, les musiciens ont le droit de soutenir qui ils veulent. ‘’L’artiste, c’est un homme, c’est une femme ; et ça, on l’oublie, malheureusement, assez souvent. Cette personne est engagée en tant qu’homme ou femme dans des dynamiques qui le dépassent, même si l’acteur social qu’est l’artiste a toujours une marge de manœuvre en dépit de certaines contraintes. Donc, c’est quelqu’un qui est socialisé, qui a grandi dans un certain nombre de milieux, qui subit des influences comme toute personne normale, qui forge ses opinions, qui évolue, qui connaît des expériences, lesquelles contribuent également à redessiner peu ou prou ses orientations et opinions. L’artiste peut avoir des opinions politiques, des sensibilités politiques. Il peut, comme toute personne, utiliser son outil, l’art, pour exprimer cette sensibilité-là’’, a analysé dans un entretien le socio-anthropologue et enseignant chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Abdoulaye Niang.

Pr Wane : ‘’Chacun décide en fonction de sa conviction ou de ses intérêts…’’

Ainsi c’est souvent à travers leur art que s’expriment les artistes. Soit ils composent des textes comme l’avaient fait Pape et Cheikh pour Wade, Thione Seck pour Abdou Diouf avec son fameux ‘’Numéro 10’’ ou Souleymane Faye qui a posé sur les beats de l’hymne de campagne de Macky Sall en 2012. Seulement, comme le dit, dans un entretien avec EnQuête, le rappeur Makhtar Fall aka Gunman Xuman, ‘’l’engagement politique c’est d’abord avoir une notion et une option idéologique (socialiste, maoïste, wadiste, libérale, etc ; se retrouver dans la pensée idéologique d’un leader politique, connaître l’importance de telle ou telle autre décision sur son avenir et celui de son entourage et militer pour répandre cette idéologie’’.

Ce que semble en parti dire Pr Wane : ‘’Chacun décide en fonction de sa conviction ou de ses intérêts, il n’y a pas de leçons à donner à qui ce soit. Chacun assume ses choix et sa démarche politique. Un artiste, il est libre de faire ce qu’il veut faire tant qu’il est dans les limites de la décence’’. A Xuman de renchérir : ‘’un rappeur ou un artiste est un homme public dont la parole a plus de portée qu’un citoyen lambda donc son engagement implique sa réputation. Il doit faire attention à ses prises de décision, à ses promesses et à ses partis pris au risque d’hypothéquer sa carrière et sa crédibilité’’. Ce que confirme le Pr Wane : ‘’un public peut sanctionner un artiste parce qu’il s’est comporté de cette façon-là ou d’une autre, ça c’est la liberté et la conception individuelle de l’artiste. La voix de l’artiste a plus d’impact que celle des autres et c’est pour ça qu’il doit tenir compte de ça mais ça n’aliène pas sa liberté’’.

Pr Abdoulaye Niang : ‘’Au Sénégal, le hip hop a contribué au changement de deux régimes’’

Par ailleurs, il est quasi rare de voir des rappeurs s’engager aux côtés du pouvoir. ‘’Je pense que les rappeurs ont souvent peur d’être associé à des politiciens à cause de leur intégrité douteuse. Le rappeur se veut porte-parole du peuple et les politiciens ont par de nombreuses occasions trahi la confiance de leurs concitoyens au profit de leurs intérêts personnels’’, a tenté d’expliquer l’un des présentateurs du JT Rappé. Aussi, a indiqué Pr Abdoulaye Niang, ‘’ dans le rap, c’est un trait culturel fondamental que d'être engagé, ici au Sénégal et même dans d’autres pays, africains ou pas’’. Au Sénégal, le hip hop a contribué au changement de deux régimes. Les rappeurs se rangent souvent du côté du peuple et dénoncent à travers des morceaux engagée. L’on se rappelle de ‘’Politichien’’ sorti en 1998 ou encore de ‘’lii lumu doon’’ sorti à la veille de la présidentielle de 2012 au même titre que ‘’Faux pas forcé’’, hymne de Y en a marre, à l’époque.

Cependant, il y a eu, dans l’histoire, quelques rappeurs qui ont soutenu le pouvoir. ‘’Il y a eu plusieurs tentatives de rapprochements entre rappeurs et politiques mais ce sont juste des relations d’intérêts qui se rompent après les élections. A l’exception près de Pacotille qui était resté proche du PDS même après leur perte du pouvoir’’, a rappelé Xuman. Ce qui n’est pas le cas d’artistes comme Alioune Mbaye Nder ancien soutien de Wade car cité aujourd’hui comme membre de ‘’Xatiendo doora ndo’’.

L’une des pertinentes questions qu’on peut se poser est si ses artistes peuvent influer sur le choix des Sénégalais. Ceux qui aiment la musique iront-ils jusqu’à répondre à la consigne de vote de leurs idoles ? ‘’Non’’, répond sans détours Xuman. Sa position repose sur le fait que ‘’l’amour du votant pour l’artiste s’arrête à la scène. Il sait faire la part des choses entre la musique de l’artiste et son appartenance politique’’, prévient-il. Mais pour Mame Goor Jazaka les choses sont claires : ‘’un fan qui n’aime pas Macky Sall peut me laisser tomber’’.

‘’Je suis allé voir le directeur d’une société et il m’a confié qu’un musicien qui organisait une soirée est venu le voir pour qu’il achète 200 tickets de ce spectacle que l’artiste lui-même va distribuer à ses fans. A quoi sert à un artiste un fan qui ne peut même pas acheter un ticket de soirée. Rien’’, a raconté l’ancien manager du groupe Bamba Ji Fall. C’est dire que s’il avait à choisir entre le Président Sall et ses fans, il choisirait le locataire du Palais sans réfléchir.

‘’Avec les artistes qui composent ‘’Xatiendo doora ndo’’, nous allons organiser des tournées nationales pour sensibiliser l’électorat’’, a-t-il annoncé.

En attendant, ce 19 octobre ils seront dans le sud du pays en compagnie du Président Sall. Pourvu qu’ils ne soient pas réduits aux seuls rôles d’accompagnateurs ou d’amuseurs de la galerie.

BIGUE BOB
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