Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Disparition des ressources halieutiques: Le désert maritime des pêcheurs
Publié le mercredi 10 octobre 2018  |  Enquête Plus
La
© aDakar.com par SB
La rareté du poisson ressentie à Dakar
Dakar, le 29 août 2018 - Une semaine après la fête de la Tabaski, les activités de pêche n`ont toujours pas repris normalement. Cette situation a créé une rareté du poisson dans les différents marchés de Dakar.
Comment


Des pêcheurs aux femmes transformatrices, en passant par les vendeurs, la rareté des ressources halieutiques est ressentie jusque dans les micro-activités. A Mbour, trouver du poisson relève de plus en plus d’un parcours du combattant. La mer, jadis nourricière, tend à devenir un désert maritime. Et les atermoiements et contradictions de l’Etat ne sont pas de nature à apporter des solutions.

Penchée sur un petit puits d’un mètre de profondeur environ, Oumou Sall plonge sa main nue plusieurs fois au fond du trou. Le corps parfois en déséquilibre, cette dame, transformatrice de produits halieutiques à Mbaling, à Mbour, sort des têtes de poisson d’un liquide sale et nauséabond. Le produit tiré du creux est mis dans un sac assez lourd, obligeant Oumy à le trainer derrière elle. Les têtes de poisson seront ainsi dépouillées, replongées dans le puits avec du sel, avant d’être séchées au soleil avec des moyens rudimentaires. Juste un séchoir en crinting avec des piquets fragiles, le produit exposé à l’air libre. Sur le site de Mbaling, il y a 28 groupements de femmes pour un total de 176 dames s’activant dans le séchage, le fumage et le braisage des poissons. La sardinelle reste la plus exploitée. Mais elle n’est pas la seule espèce.

D’ailleurs, le site en lui-même est assez révélateur de la surpêche au Sénégal. On n’y trouve des espèces interdites comme les ailerons de petits requins que des étrangers comme les Ghanéens transforment sur place et destinés à l’exportation, mais aussi des espèces de petites tailles appelées ‘’juvéniles’’. Malgré ce constat, on se défend, ici, de transformer des produits prohibés. Il y a tout de même une chose sur laquelle il y a un consensus : la difficulté de trouver de la matière première. Si Oumy Sall et d’autres femmes ont jeté leur dévolu sur les têtes de lotte depuis quelques semaines, c’est que la sardinelle se fait désirer présentement. ‘’Le poisson est devenu rare. Auparavant, on attendait les excédents, mais maintenant on essaie de s’approvisionner comme tout le monde, sinon, on n’aura pas quoi transformer’’, soutient Anta Diouf, Présidente de la Fédération des Gie Bokk Liguey Mbaling (Ensemble pour le développement de Mbaling).

Le produit se vendait à 2 000, voire 1 000 F Cfa la caisse, il y a moins de 10 ans. Actuellement, il est cédé à 7 000 f Cfa ou plus. En plus d’être cher, il est parfois introuvable. ‘’Hier, je suis rentrée à 22 h, j’avais du mal à trouver ces têtes de poisson. Finalement, ce sont les fournisseurs des hôtels qui m’ont permis d’avoir une petite quantité. Et quand j’ai fini, j’ai marché jusqu’à la maison, à Golf, car il n’y avait plus de moyen de transport’’, raconte Oumy assise sur un morceau de bois, la peau exposée sous un soleil brillant. Dépourvue de parasoleil, elle se contente d’un chapeau, le visage dégoulinant de sueur. Sans gants, avec des sandales comme unique chaussures, elle a le couteau trop près de la main. Elle passe les doigts de temps à autre sur du sable fin pour mieux saisir la peau lisse du poisson. L’opération est dangereuse, à l’évidence. ‘’Hier, je me suis coupée le doigt’’, lance-t-elle en levant la main en guise de preuve.

Les chiffres de la pêche

Lorsqu’il y a du poisson, les femmes comme Oumy Sall et Rokhaya Daba Lo peuvent transformer 6 à 8 caisses de têtes de lotte par jour. Mais il arrive des moments où elles ont du mal à avoir ne serait-ce qu’une seule caisse. ‘’Il y a des jours où on n’a rien, on reste sous les huttes du matin au soir sans rien faire’’, soupire Daba. Même complainte de la part de Mme Top, Anta Diouf. ‘’On peut rester 2 à 3 mois (octobre à décembre) sans presque travailler. Certes, on vient tous les jours, mais parfois c’est pour des quantités marginales’’, renchérit-elle.

La pêche est une activité centrale au Sénégal. Le pays est deuxième en l’Afrique de l’Ouest, derrière le Nigeria. Selon les statistiques, au moins 600 000 personnes travaillent dans le secteur. ‘’C’est plus que ça, rectifie le directeur des Pêches Mamadou Goudiaby. Il faut compter le double’’. Autrement dit, l’activité génère plus d’un million d’emplois directs et indirects. Rien que les pêcheurs font pas moins de 60 000 individus. Du côté de l’Etat comme des chercheurs, on s’accorde à dire que 70 % de la protéine animale consommée par les Sénégalais provient du poisson. ‘’Un Sénégalais ne peut pas rester toute une journée sans manger du poisson’’, soutient Aliou Sall, anthropologue, économiste des pêches. Les débarquements sont estimés à 450 000 tonnes en moyenne par an, contre 1 000 tonnes pour l’aquaculture en 2017. Estimée à 3,2 % du Pib, la pêche, premier poste d’exportation, génère près de 200 milliards par an.

Et pour avoir une idée de tous ces chiffres, il suffit d’aller au quai de pêche de Mbour. Un chaos magnifique ! Sur les lieux, rien ne semble en ordre. On dirait un bazar où chacun est libre de faire ce qu’il veut et comme il l’entend. Déchets plastiques, reste de poissons, eaux de ruissèlement, excréments de chevaux… Le tout donne une odeur pestilentielle chargée de souhaiter la bienvenue à la narine d’un visiteur. Quant aux pêcheurs, vendeuses, charretiers et autres, ils semblent à l’aise dans leur milieu. Mais ce qui retient surtout l’attention, c’est le nombre impressionnant des pirogues et leur taille parfois gigantesque. Accostée à la berge, l’une des deux embarcations de Ganna Gningue s’étend sur 22 m de long contre 4 m de large. Il prend 70 personnes et utilise une senne tournante de 3 tonnes. La barque a une capacité totale de 7 tonnes. Des mastodontes comme celle-là, il y en a à la pelle.

Identification des pirogues

A perte de vue, s’alignent des pirogues de toutes les couleurs. Il y a sans doute des centaines, mais on ne sait pas combien exactement. ‘’On ne peut pas les dénombrer’’, affirme le vieux Badou Ndoye, un patriarche de près de 80 ans qui a passé toute sa vie à la mer. En fait, le métier se transmet de père en fils, dans cette communauté léboue. Mais avec l’exode rural, d’autres personnes venues de l’intérieur du pays ont aussi investi le milieu. Au point que la capacité de pêche soit supérieure à ce que la mer peut offrir. ‘’Il y a beaucoup de pirogues qui n’ont pas de licence. L’Etat a gelé les licences, mais les gens continue à fabriquer des pirogues et à se lancer en mer’’, souligne Aliou Lakhone, Président de la section locale de l’Union nationale des pêcheurs artisanaux du Sénégal. ‘’Si votre femme meurt, l’Etat ne peut pas vous empêcher de vous remarier’’, résume dans un langage imagé le vieux Badou Ndoye.

Comme quoi, l’obtention d’un permis n’est nullement considérée par les pêcheurs comme un préalable pour aller en mer. D’où la difficulté de déterminer le nombre. Selon le ministre de la Pêche Oumar Guèye, le Sénégal compte 21 000 pirogues pour 19 000 déjà immatriculées. ‘’Même si la pêche artisanale assure les 80 % des mises à terre, force est de reconnaitre qu’avec le nombre de pirogues utilisées, la ressource ne peut pas augmenter. Donc, il faut que certains pêcheurs se reconvertissent dans d’autres secteurs, comme c’est le cas à Mbodiène où beaucoup se sont illustrés dans l’élevage avec des sources de revenu très importantes’’, préconisé le ministre lors d’une sortie dans le sud du pays, en mars 2015. Seulement, ce même ministre a révélé, en mars 2018, que l’Etat va dégager 200 milliards pour subventionner 20 000 moteurs de pirogue.

Cependant, au-delà du nombre d’embarcations, il y a aussi les mauvaises pratiques pointées du doigt. Les pêcheurs utilisent des monofilaments qui sont dangereux pour les espèces. Le gouvernement a beau interdire leur utilisation, les acteurs s’y accrochent, parce que, disent-ils, la prise est plus importante. De ce fait, même si l’Etat a fait passer la taille des espèces autorisées de 12 à 15 cm, puis 18 cm, il n’en demeure pas moins que les juvéniles continuent d’être servies dans des assiettes.

D’autres utilisent des filets dormants, c’est-à-dire que l’instrument qui permet de capturer les poissons est placé quelque part dans la mer pour qu’il y passe la nuit, afin de piéger les poissons qui y entrent. Seulement, il arrive que des poissons meurent et commencent même le processus de décomposition. Ce qui fait fuir les autres, d’après les pêcheurs. ‘’A chaque fois que le poisson est dérangé dans son confort, il migre’’, explique Moustapha Diatta, Président de l’Union nationale des pêcheurs artisanaux du Sénégal. C’est pour cette raison également que les acteurs ne veulent pas d’une pêche nocturne de longue durée. En lieu et place des 8 mois de pêche nocturne décidés par la tutelle, ceux qui officient au quai de Mbour demandent que l’activité de nuit se limite à 4 mois au plus, à défaut 6 mois l’année. En fait, selon eux, les torches-laser utilisées figurent parmi les facteurs qui font fuir les espèces.

Faible niveau de surveillance des côtes

A tout cela s’ajoutent les bateaux étrangers qui sont accusés par Greenpeace de piller les fonds marins. Le Sénégal a signé des accords de pêche avec l’Union européenne. D’autres bateaux battant pavillon russe, chinois, etc., sont dans la zone économique exclusive (Zee) du Sénégal, même s’il est difficile de savoir s’il y a des accords ou pas, du fait d’un manque de transparence sur la question. En plus, le pays n’a pas les moyens de surveiller ses côtes. L’avion de patrouille est tombé en panne depuis des années. Le Sénégal ne compte qu’une à deux sorties de 5 heures par semaine à bord d’un appareil prêté par les forces françaises. Sur les 80 enquêteurs dont disposait la Direction de la protection et de la surveillance des pêches (Dpsp), il ne reste que 13 personnes. Or, ce sont eux qui embarquaient dans les bateaux pour surveiller la quantité des prises, mais aussi les espèces capturées. Les plongeurs aussi viennent déranger, dit-on, les poissons dans leurs habitats naturels.

Bref, il existe tout un ensemble de facteurs combinés qui concourent à menacer l’existence et la pérennisation de la ressource.

La conséquence est aujourd’hui visible sur le terrain. Le poisson se raréfie de jour en jour. Elle est aussi confirmée par les recherches. Selon docteur Massal Fall, Directeur du Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye, les pêcheurs font trop d’efforts pour peu de captures. Ils ont dépassé l’effort optimal il y a bien longtemps. Celui-ci a été multiplié par 2,3 depuis les années 1980. Les acteurs ne disent pas le contraire. Dans les années 1980, Moustapha Diatta partait en mer à 8 h pour revenir à 11 h, l’embarcation pleine. ‘’Maintenant, je peux rester de 8 h à 17 h, parfois sans poisson’’, regrette-t-il. Adepte du langage imagé, le patriarche Badou Ndoye déclare : ‘’Il y a une différence entre : il est là, il est là-bas et où est-il.’’ Selon ce Vieux, le poisson était à 3 km des côtes. Aujourd’hui, il faut parcourir des centaines de kilomètres.

Des pêcheurs de Mbour vont jusqu’au Cap Skirring et même en Guinée-Bissau. En fonction de la taille de la pirogue, certains font 3 jours, une semaine et même un mois en mer, faisant la cuisine dans l’embarcation. Et alors que les prises sont de moins en moins importantes, les dépenses augmentent. En 1978, le Vieux Ndoye avait deux pirogues. Pour l’ensemble des dépenses, il lui fallait juste 9 000 F Cfa, y compris le thé. Aujourd’hui, il faut au minimum 200 000 F Cfa pour une barque, carburant et consommation compris.
Commentaires