La longue acalmie constatée depuis 2012 en Casamance, a vite été ébranlée par des événements malheureux et regrettables qui ont marqué l'année 2018. Actes isolés ou regain de violence ? Dans l'un comme dans l'autre, les tensions et les convoitises autour de l'exploitation des ressources naturelles expliquent, en grande partie, cette recrudescence de la violence qui a jalonné cette année.
Plus qu'une polémique, la tension née de l'exploitation du zircon de Kabadio et d'Abéné, dans le département de Bignona, a très vite été releguée au second plan lorsqu'éclata, le 6 janvier 2018, la tuerie de Boffa-Bayottes qui a fait 14 morts dans le département de Ziguinchor. Une "expédition plus que punitive" contre des exploitants forestiers et des coupeurs de bois qui, malgré les injonctions et les mises en garde aussi bien des populations environnantes que des bandes armées, s'entêtaient à fréquenter cette zone pourtant abandonnée par les autochtones, du fait notamment de l'insécurité. Violant, du coup, une bonne partie de cette "ligne Maginot" ou "zone rouge" tracée par "Atika", la branche armée du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) en son Front Sud.
C'est dans ce cadre qu'il faut inscrire la disparition, depuis le 5 août dernier, de quatre individus qui s'étaient rendus dans la forêt de Boussoloum, à la recherche de Saba senegalensis (fruits forestiers communément appelés "maad"), dans ce village fantôme, comme la centaine de villages abandonnés du fait de la crise en Casamance. Le chômage et la pauvreté poussent, en période de forte cueillette, de nombreux jeunes et pères de famille dans ces milieux à la recherche de produits forestiers. Ce qui, forcément, du fait d'intérêts divergents, suscite beaucoup de tensions et de convoitises. Lesquelles versent, très souvent, dans la violence, notamment quand des bandes armées s'y mêlent. Comme ce fut le cas le 24 mai 2018 à Samick, où un enfant de 6 ans a perdu la vie, suite à une incursion d'individus armés.
Le journaliste-consultant Aliou Cissé explique : "Dernier bastion forestier du pays en proie à un conflit armée vieux de plus de trente ans, son statut de région en reconstruction dotée de ressources naturelles riches et variées constitue un autre facteur explicatif de la forte convoitise qu'elle suscite, aussi bien dans le pays qu'au niveau de la sous-région. Nous assistons à une multitude d'acteurs avec des statuts, des méthodes et des approches aussi divers que divergents." D'ou, dit-il, la grande tension notée dans la région autour de l'exploitation de ces ressources.
Cette tension, selon lui, est nourrie par l'appât du gain, les intérêts individuels ou des groupes antagoniques autour des valeurs marchandes que constituent ces ressources. Ces tensions sont perceptibles dans les zones où la présence du Mfdc est forte. Il s'agit particulièrement des zones frontalières de la Gambie et de la Guinée-Bissau où il est très souvent noté un regain de violence, à chaque période de cueillettes.
Quand les bandes armées font la police
L'attaque du pont de Niambalang, survenue le 3 mai 2018, s'explique difficilement. Mais tout porte à croire qu'il s'agit d'une expédition punitive contre les pêcheurs implantés sur ce site. Et non à une réaction "épidermique" suite au ratissage de l'armée après les événements de Boffa-Bayottes. Selon nos sources, il n'existe aucun représentant des services de pêche sur toute l'étendue de l'arrondissement de Nyassia. L'Inspection régionale du service de pêche de Ziguinchor a tout le temps attiré l’attention des autorités compétentes sur l'existence d'une pêche "sauvage", notamment au niveau de la rive gauche du pont de Niambalang qui mène vers Youtou, et sollicité un représentant dans cette zone. Une demande qui est restée sans suite, depuis.
La nature ayant horreur du vide, ce sont, la plupart du temps, ces bandes armées qui y font la police. Après plusieurs injonctions et menaces, elles finissent par agir contre ceux-là qu'elles considèrent comme des déprédateurs des ressources naturelles. "On coupe de plus en plus. On saccage. La forêt recule. Cela crée des conflits pour l'accès à cette ressource qui se raréfie. Il y a des gens qui en ont marre de tout cela et qui prennent les armes. Ce n'est pas la solution, mais ça fait longtemps que ça dure", déplore l'ancien ministre de l'Environnement Ali Aïdar.
Les combattants du Mfdc, en plus de leur volonté déclarée de protéger la forêt et les ressources naturelles de la Casamance en général, dit Aliou Cissé, tirent une grande partie de leur économie de l'exploitation de ces ressources. D’où les nombreuses attaques dont sont souvent victimes les populations civiles. L'armée, de son côté, toujours selon M. Cissé, en plus de l'exploitation clandestine dont elle est accusée, à tort ou à raison, veille à la sauvegarde de ces ressources forestières, eu égard à ses missions régaliennes, non sans priver le Mfdc de sa principale source de revenus.
Les autres acteurs du champ de bataille autour de l'exploitation des ressources naturelles sont, naturellement, les populations. Celles-ci, de façon autorisée ou clandestine, s'activent autour de ces richesses, contribuant grandement à la dégradation et à la raréfaction des ressources naturelles.
C'est ainsi qu'en Casamance, les produits naturels favorisant le coût relativement bas de la vie sont devenus des denrées rares et chères qui renchérissent le coût de la vie. Lorsque l'Etat y va avec ses nombreux codes, les populations, elles, tentent de s'organiser en comités de lutte pour veiller sur ce qu'elles considèrent comme leurs propres richesses. Malheureusement, la mise en application de ces mesures normatives et non réglementaires qui, à priori, devraient être complémentaires, parce que visant les mêmes objectifs de transparence et de bonne gouvernance, constituent, aujourd'hui, les principales sources de conflits sociaux menaçant, du coup, la sécurité transfrontalière. Comme en attestent la tuerie de Boffa-Bayottes et le regain de violence noté en 2018 dans la région de Casamance.