Officiellement investi candidat à la prochaine élection présidentielle de 2019 par son parti, à l’issue d’un congrès extraordinaire tenu hier à la place du Souvenir africain, Abdoul Mbaye a dévoilé son projet de société contenu dans un document d’une trentaine de pages. Devant ses militants, il a délivré un véritable cours magistral qui n’a épargné aucun secteur de la vie nationale. ‘’EnQuête’’ vous livre quelques extraits de ce discours prononcé sur plus de deux tours d’horloge.
Procès du régime de Macky Sall
‘’Des pratiques politiques étalées dans la durée sur plus d’un demi-siècle ont largement contribué à abîmer de façon progressive et insidieuse le socle de nos valeurs. Elles l’ont fait à un point tel que la restauration de ces dernières, plus qu’un impératif politique, est devenue une forte exigence citoyenne, sociale et identitaire pour ne pas perdre notre âme et voir notre peuple voué à la décadence.
La restauration de ces valeurs concerne aussi bien la sphère politique que sociale. Elle doit être comprise comme correspondant à une requête des populations sénégalaises en situation d’éveil de conscience politique après plusieurs années de vécu politique et le passage de deux alternances. Les valeurs les plus malmenées, ces dernières années, et en particulier par le présent régime, sont : la vérité, l’amour de la patrie, le respect de la parole donnée et de l’engagement public et solennel, la justice (à comprendre au sens large comme fin des injustices de toute sorte), le respect du principe de solidarité dans la réalisation de la croissance économique et dans son partage rationnel, juste et efficient. Ce sont les vertus de ‘’jom’’, de ‘’ngor’’, de ‘’mougne’’ assises sur la foi profonde ancrée dans nos cœurs et nos esprits ainsi que sur un remarquable consensus politique, œuvre d’hommes et de femmes de grande qualité, qui ont fait que notre pays a toujours évolué en paix et en totale harmonie.
Quelques furent les soubresauts, le Sénégal pouvait compter sur le comportement de dirigeants chevaleresques qui savaient, au nom de l’éthique, jusqu’où ne pas aller. Quand donc des travers mesquins, opportunistes, rétrogrades et exclusivistes visent à travestir la loi, à instrumentaliser des pouvoirs - singulièrement le Judiciaire - à brimer et à humilier des adversaires, à chercher à mettre une chape de plomb sur les hommes libres et sur la société, juste pour permettre à la famille et au clan d’accumuler, d’encore accumuler, de toujours accumuler au détriment d’un peuple presque devenu exsangue ; alors, face à la gravité d’une telle situation qui peut durablement affecter l’équilibre de notre pays aujourd’hui et demain, oui, ces hommes et ces femmes ou leurs successeurs, comme des millions de Sénégalais, doivent se lever et, debout, faire barrage à la mise à mort de notre grand et beau pays pour des intérêts bassement matériels, personnels et claniques.’’
Restauration des valeurs
‘’Notre premier engagement était, est et restera celui de demeurer fidèle à notre parole donnée. Nous faisons et ferons preuve de constance dans son renouvellement. Nous l’avions exprimé lors de notre décision d’entrer en politique en 2016, lorsque les premiers compagnons de l’Act nous avaient fait l’honneur de nous confier la direction de notre parti. Nous ne prendrons que des engagements que nous nous soucierons de respecter et de faire respecter. Nous redonnerons à la parole politique le respect qu’elle doit susciter lorsqu’elle s’exprime sous la forme d’un programme de parti ou de coalition de partis ; lorsqu’elle est propos d’un leader politique dépositaire de la confiance des membres de son parti ou de la coalition qui le soutient. Le ‘’wax waxeet’’, presque devenu une norme de la pratique politique au Sénégal, doit disparaître de nos mœurs politiques.
Les Assises nationales ont été trahies par certains de ses signataires et l’esprit du 23 juin par plusieurs figures politiciennes participant aux manifestations. Le programme ‘’Yoonou Yokete’’ a été vite versé aux oubliettes, en même temps que les slogans forts qui nous ont fait rêver d’une rupture véritable en 2012. Rappelons ‘’la gestion sobre et vertueuse des affaires publiques’’ ou ‘’la patrie avant le parti’’. Or, l’Histoire nous enseigne que la paix sociale craint les espoirs déçus. C’est pourquoi nous avons pris l’engagement de ne créer l’espoir dont notre peuple a grand besoin que par un discours de vérité. Et la vérité, en politique, est d’abord dans le parler vrai consistant à ne dire que le possible ; elle est ensuite dans le respect des engagements pris. A l’opposé, le mensonge et la trahison commencent avec le reniement d’engagements rendus publics sur la base desquels le citoyen vous avait attribué le bénéfice de son vote.
L’heure est venue de créer la rupture avec l’habitude devenue insistante de la parole non respectée. 2019 devra être une année d’alternance par sa quête de porteurs de paroles de vérité, par la sanction de ceux qui se seront singularisés par reniements et mensonges. C’est à ce prix que la démocratie sénégalaise aura enfin réussi un saut qualitatif digne de son histoire. Un saut qui la libérera des rets dans lesquels la retiennent les politiciens professionnels de notre pays depuis de trop nombreuses années. Car, que l’on ne s’y trompe pas : un engagement de nature politique est pris pour gagner la confiance populaire ; une fois ce but atteint, son reniement a pour rationalité de prendre ce qui appartient au peuple au profit de l’auteur de l’engagement, de sa famille, de son clan. Il ne s’agit point d’un mensonge gratuit, mais plutôt planifié et associé à de la spoliation. Il s’agit de parjure. Nous avons cru à ‘’la patrie avant le parti’’. A l’inverse, la politique mise en œuvre a profité à la famille, puis au clan, confisquant ressources naturelles, deniers publics, fonctions de responsabilité, emplois dans le secteur public, ne laissant que portions congrues et pauvreté au reste de la nation.’’
Transformation structurelle de l’économie sénégalaise
‘’L’organisation du développement agricole de notre pays engendrera le recul de la pauvreté dans les zones rurales. Mais vous n’ignorez point que l’échec du développement économique du Sénégal ne réserve pas la pauvreté aux seules zones rurales. Elle est également très présente dans les zones urbaines et semi-urbaines où elle sera combattue par la création d’activités et d’emplois. Elle le sera par notre conception de l’émergence que nous ne faisons pas reposer sur une logique de grands projets ayant le défaut d’être gourmands en ressources budgétaires et d’emprunts, d’une part, et aussi celui de privilégier leur réalisation par des entreprises étrangères, d’autre part. Nous construirons l’émergence du Sénégal autour d’une transformation de la structure de son économie, en faisant évoluer son artisanat vers la semi-manufacture, puis la manufacture et, enfin, l’industrie. Les secteurs devant accueillir la croissance sont identifiés comme ceux déjà fortement utilisateurs de main-d’œuvre, capables de productions de qualité, renfermant des processus de formation par l’apprentissage et susceptibles de renforcement. L’émergence passe par une transformation structurelle d’une économie. Elle est celle du constat de son évolution vers une économie de manufacture, de production de biens et services contenant davantage de valeur ajoutée pour couvrir des besoins nationaux et alimenter des exportations.’’
L’émergence à travers une nouvelle politique locale
‘’La gestion du développement local requiert de nouveaux paradigmes, de nouvelles compétences de management. La mise en place d’un Conseil économique social et environnemental par pôle économique permettra de mobiliser les compétences citoyennes aujourd’hui empêchées de jouer un rôle actif dans le développement de leurs terroirs. Créés dans une logique de développement solidaire et partagé, également de nécessaire aménagement du territoire, un effort particulier sera consacré aux 6 pôles suivants : pôle Ouest-Littoral : Dakar, Mbour et Thiès ; pôle Centre avec le Sine-Saloum et la région de Diourbel ; pôle Vallée du Fleuve avec les régions de Matam, Saint-Louis et le département de Bakel ; pôle Sénégal oriental avec les régions de Tambacounda et Kédougou ; pôle Sud avec les trois régions de la Casamance, Ziguinchor, Kolda et Sédhiou ; et pôle Zone sylvo-pastorale du Ferlo et Louga.
C’est aussi le lieu de dire que nous accorderons un poids particulier aux contrôles citoyens par les populations, aux budgets participatifs, à de nouvelles formes de certification et de rating. Ainsi sera bâti un leadership nouveau avec des politiques et non des politiciens, des élus et managers désintéressés et motivés par la seule prospérité des populations au niveau local, tous résistant face aux pressions politiques ou autres conduisant à gonfler inutilement les charges de fonctionnement des collectivités, à une mauvaise utilisation des ressources au gré d’intérêts politiques, à l’inflation de personnels sans rapport avec les métiers, la compétence et le mérite.’’
Energie
‘’A la faveur du démarrage des productions de pétrole et de gaz, il conviendra d’aller très vite vers une énergie compétitive à l’échelle mondiale comme soutien majeur à l’amélioration de la productivité de l’économie sénégalaise. La faiblesse de cette dernière est sans doute l’obstacle majeur à son émergence. Cela commencera par une énergie subventionnée en faveur des ‘’villages de métiers’’, point clé de notre projet. Nous mettrons, par ailleurs, en œuvre un mix énergétique dynamique qui prendra en compte le caractère épuisable des ressources en hydrocarbures et fera une place de plus en plus importante aux énergies renouvelables (solaire en particulier, éolien).’’
Industrie numérique
‘’La transformation de l’économie sénégalaise ne concernera pas uniquement les secteurs traditionnels de la révolution industrielle. L’accélération significative du développement de l’industrie numérique devra également être engagée. Le Sénégal attend de pouvoir libérer la créativité de sa jeunesse et créer de la compétitivité économique par une plus grande accessibilité et une réduction des coûts de l’Internet. Cela passera par un renforcement de la régulation des oligopoles, notamment au niveau de leurs tarifs de facturation. L’absence d’une vision stratégique basée sur une approche parfaitement intégrée de la révolution numérique n’a pas permis de mieux appréhender la façon dont elle transforme la vie des citoyens, non plus d’en tirer le meilleur parti et d’aider ceux qui risquent d’être laissés pour compte afin d’éviter un gap numérique entre citoyens sénégalais.
Ce gap s’est malheureusement parfois creusé au-delà du raisonnable, entre le Sénégal et le reste du monde, notamment plusieurs pays d’Afrique. La faiblesse, voire la quasi-inexistence du soutien au renouvellement des compétences à la recherche et à l’innovation freine le développement d’une industrie du numérique au plan national pouvant assurer la compétitivité du secteur de l’économie numérique sénégalaise. C’est dans le cadre d’un partenariat visant une collaboration durable au travers d’une approche Ppp (partenariat public-privé) et la mobilisation de fonds de soutien à l’innovation, que sera organisée la gouvernance opérationnelle de notre vision de l’économie digitale.
Ce partenariat inclura le secteur privé national et international, les institutions académiques, les collectivités locales et les partenaires internationaux dans la mise en œuvre d’un plan directeur national des Tic sur une période de 5 ans. Il est essentiel de quitter la logique du secteur des télécommunications ‘’vache à lait fiscale’’ pour résolument faire le choix du développement du secteur transformé en locomotive de la plus grande partie du reste de l’économie.’’
Sources de financement
‘’Une politique d’endettement extérieur agressive, menée par le régime actuel, malgré les nombreux avertissements du Fond monétaire international, de la société civile et des économistes sénégalais, laissera peu de marge au gouvernement de la prochaine alternance. L’absence de croissance suffisante a limité celle des recettes publiques. En outre, ce régime a donné la priorité au remboursement de la dette extérieure. Cette attitude a eu pour conséquence l’augmentation de la dette intérieure. Les difficultés vécues par les entreprises nationales qui portent trop longtemps des créances au titre de la commande publique, ont eu des incidences sur l’activité économique du Sénégal et, subséquemment, un resserrement des recettes budgétaires.
La mauvaise gouvernance a régulièrement, et dans la durée, affaibli les capacités à gérer des organisations et services d’une certaine taille et/ou complexes. Le Sénégal est devenu un pays où on ne peut prétendre à des fonctions de direction (Administration, parapublic) si vous n’avez pas la carte du parti au pouvoir et si vous ne faites pas de bons résultats aux élections ; ce qui leur est toujours rappelé par le chef de l’État à la veille des scrutins. Le sous-développement relatif du Sénégal s’est aggravé, gonflant les besoins de progrès dans une mondialisation vécue et créant un besoin d’accélération de croissance. Sans risque de caricature, deux constats s’imposent : ou l’État ne peut plus ou l’État ne peut plus tout seul. De mauvais choix et des contraintes budgétaires et managériales l’engagent dans un processus d’enfermement progressif et durable, dans une situation de stagnation économique. Dès lors, les apports majeurs et significatifs des privés nationaux et étrangers sont devenus indispensables à la création de richesse, très souvent par substitution à l’État.
Ce dernier doit toutefois demeurer arbitre, régulateur et veiller à ce que le renforcement de la qualité des services assurés par le secteur privé ne soit pas accompagné de l’exclusion des citoyens les moins nantis. Bien au contraire, l’objectif recherché devra également être l’extension de l’accès à des services de meilleure qualité. Le Sénégal a déjà mis en place le dispositif légal et réglementaire permettant le recours au Ppp. Le réexamen de l’ensemble des textes permettra son réaménagement et son alignement sur les meilleurs standards internationaux.’’
Profession de foi
‘’L’heure de se redresser et se tenir debout pour une refondation en profondeur : celle dont notre pays a besoin. Menons le Sénégal sur une route des possibles, une route sur laquelle nous ont déjà précédé des pays comme le Cap-Vert, le Rwanda ou le Ghana. Une route de citoyenneté active qui renforcera notre profonde et féconde adhésion aux valeurs qui nous rattachent à notre cher pays en réactivant notre sentiment d’identité nationale et en cimentant notre partage d’un destin commun pour lequel s’engager, donner et servir devrait être le meilleur viatique.
Une route où le travail sera élevé au rang de priorité et d’institution, capable de conférer ou de restaurer chez l’individu son être social, capable de ranimer son éminente dignité et de lui donner des raisons de croire en lui, en sa communauté, en son pays et d’y vivre en paix et en harmonie en contribuant positivement à son développement et à son rayonnement. Ce défi nous interpelle tous. Il interpelle plus encore les jeunes générations héritières d’un pays aux grandes et anciennes traditions qui doivent se lever comme un seul homme pour construire et défendre un avenir à la mesure de leurs espérances. Compagnons de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail, aujourd’hui, Sénégalaises et Sénégalais, demain, il me revient l’honneur de solliciter votre confiance, pour reconstruire ensemble le Sénégal. Devant Dieu, je fais le serment de ne jamais faiblir face à l’exigence de la mériter.’’